Magazine Humour

Projet

Par Frédéric Joli

Le soleil caresse oblique l’épais tapis de la salle d’armes du château, monte aux rideaux, guilite une abeille en statique zézeye, allonge l’ombre de mes mains surexposées sur la page blanche. Je suis à ma table de travail et morse Fernand d’une petite batterie contre la fonte froide du radiateur. Des caves du château, où il travaille sur son aéronef SPLQLAG™ (*), il gutturale enfin, le groin dans le conduit de la cheminée :

- Kesnya, patron ?

- Viens mon bon. Nous avons à travailler, hurle-je vers l’âtre.

Et le voici qui déboule, le bleu de chauffe étroit débardant avantageusement le gras de ses aisselles de crins gris. Les coques ferrées de ses chaussures de sécurité à glands conservent le goutte à goutte de ses trop pleins d’efforts.

- Tu travailles trop, mon bon… Fernand, j’ai décidé de créer un nouveau monde, une nouvelle planète. Un truc sympa pour accueillir sans exclusive celles et ceux qui rêvent et désespèrent. Redescend à l’atelier et réalise moi une Terre nouvelle, réduite, par commodité, au 100 milliardième. Prends ce numéro du Monde à l’actualité navrante, déchire-le, mouille-le, malaxe-le dans une solution à 60% de colle vinylique bien blanche. De cette pâte, maquette une planète. Crée mon bon, déblaye le nouveau monde. Va.

-  Pfffff, patron j’ai pas le temps. Et mon aéronef ?

- Tu t’y remettras plus tard lorsqu’il s’agira d’atteindre la planète. Tu ne crois pas que les gens iront à pieds, tout de même ?

- Ah ben vi, patron. Chouette.

-  Allez, va, mon bon, va.

J’attends et transate sur les hauts du château dans la rassurante aveuglance du soleil d’aplomb. Un héron à l’air con tire tout droit dans l’azur où je sais qu’au-delà, bientôt, nous y mettrons notre planète, loin, très loin. J’entends vaguement  beugler dans la cheminée. Fernand s’y égorgille depuis l’atelier, me demande de venir voir.

- Monte, mon bon, je suis trop bien ici, lui exaspère-je.

- Pffffff, patron.

Et le voici de jais, en grosse gueule de mineur,  planté face à moi et me mangeant le soleil.

- Diable ce que tu ramones bien à la voix, Fernand, lui sers-je en considérant ses sueurs goudronnées de lourde suie. Il ne te manque que les plumes. Bien. Alors, où en sont nos travaux ?

- Sont sur la table de la salle d’armes, patron.

-  Allons voir cela.Et là, que découvre-je ? Une sorte de Une du Monde d’environ deux mètres carrés, malaxée, aplatie, séchée puis durcie. Voici la planète de Fernand avec filigranées dans le pâle support quelques restes de navrances d’actualité.

- C’est quoi, cette merde, trépigne-je sobrement ?

- Ben c’est not’ planète, patron, c’est plat, c’est net.

-  Dis-moi, Fernand, la terre a quelle forme ?

- Ben, plate patron.

- Tu me prends pour un con, obtus calotin ? M’en vais t’envoyer en stage vaticanier chez Mercedes Ben16 et ses robes blanches ! Même le pape accepte que la terre soit ronde, alors c’est quoi cette planche ?

-  Pfffff, en fait patron, comme j’avais pô d’idées et que l’humanité sur une terre ronde, on a vu ce que ça donne, j’me suis dis qu’il convenait p’têt de changer de forme. Bref, suis un peu parti sur le concept Planète Tapis Volant.

-  Dis-moi, tu ne serais pas en train de détourner mes brillants projets, Fernand ? Tu ne serais pas en train de piquer mes idées de nouveau monde au profit de la voilure de ton aéronef SPLQLAG™ ?

-  Si, patron, j’avoue, me défie-t-il en repartant avec sa planète sous le bras.

Mon bon achève l’aéronef, cloue sur la grosse croix du calvaire de la colline (qu’il avait piqué la semaine passée) la Une du Monde fernandocompressée, traîne l’engin dans les graviers de l’allée, pose son cul massif sur les navrances d’actualité ; fiérote enfin :

-  Allez, hue ! Vole, mon aéronef.Et il décolle en plus lourd que l’air (con du héron de tout à l’heure). Aurore applaudit comme l’ombre du curieux engin vient griser son corps beau tout inondé de soleil.

Elle crie :

- Hou, hou, Fernand, reviens ! Hrundi n’a pas encore inventé le nouveau monde. Tu ne saurais où aller !

- Et merde c’est vrai, grommelle-t-il avant d’aller s’empéguer dans les hauts du grand tilleul.

A défaut de nouveau monde nous nous contenterons pour l’instant d’une tisane.

- Vouich, patron, m’édente-t-il 

(*)  Le SPLQLAG™ ou Super Plus Lourd Que L’Air – Grave, est un projet aéronautique développé par les Ateliers Fernand Mondain Concept et conçu sur la base d’une lourde croix de calvaire piqué par mon bon au sommet d’une colline.


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