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Le sens des maux

Publié le 18 janvier 2017 par Sineurbe

Après quarante années passées à travailler en hôpital psychiatrique en tant qu’infirmier, j’ai décidé d’écrire, pour parler de ce métier, pour faire part de mon expérience et pour évaluer aussi l’évolution de la psychiatrie.

Ce métier m’a beaucoup appris et les malades en général m’ont beaucoup appris.

Ma profession aidant, j’ai été amené au cours de ma vie, à m’occuper de nombreuses personnes autour de moi qui sont tombées malades, aussi bien physiquement que moralement et qu’il a fallu soigner et accompagner.

Et ce parcours me conduit aujourd’hui à une réflexion sur le soin, sur le sens de la maladie, qu’elle soit mentale ou physique, sur la place qu’elle vient prendre dans notre vie. Je ne crois pas que l’on tombe malade par hasard.

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Les neurosciences, ces dernières années,  à l’aide d’imageries cérébrales, de dosages des récepteurs, de scanners sophistiqués étudient la biologie des cellules neuronales et visent à comprendre, à prédire, à diagnostiquer et à traiter les troubles mentaux, qu’ils soient neurologiques, psychiatriques, sociétaux, éthiques, juridiques…

Ainsi la psychiatrie est devenue, en quelques années, une psychiatrie biologique. On fait des analyses de sang, des scanners cérébraux, on recherche des bio-marqueurs, des gênes de susceptibilité. On est persuadé de reconnaître les troubles de la pensée sur les images cérébrales.

La folie redevient cette « maladie des organes du cerveau » comme l’appelait autrefois Voltaire.

On utilise la stimulation magnétique transcranienne et les électrochocs font un retour en force.

On pense aussi guérir de nombreux troubles par la chirurgie cérébrale, à l’aide d’électrodes implantées dans le cerveau. La neurostimulation, au départ limitée à certaines maladies neurologiques comme la maladie de Parkison, semble pouvoir s’étendre à de nombreux troubles tels que la dépression, l’anorexie, la boulimie, les tocs, les délires…

Du coup, on ne se pose plus de question, il n’est plus nécessaire de s’intéresser à la vie des gens, à leur histoire puisque la genèse de leurs troubles n’est que somatique.

Les neurosciences cherchent à identifier et à comprendre les dysfonctionnements des circuits neuronaux de la pensée, des émotions, des comportements et à découvrir les causes des maladies neurologiques et psychiatriques et d’élaborer des traitements. Cela a entraîné un changement important dans les pratiques de soin et dans la définition des maladies mentales. Dans le même temps, le DSM V, la bible de tous les psychiatres, a fait disparaitre l’ancienne nosographie des maladies mentales et propose à la place une liste impressionnante de troubles, d’anormalités tous susceptibles d’être traités chimiquement.

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La psychiatrie abandonne sa clinique et rationalise sa pratique. On revient à la fusion de la psychiatrie et de la neurologie qui s’étaient autrefois séparées.

La cause des troubles psychiatriques est donc à rechercher dans les connexions cérébrales et nulle part ailleurs. Du même coup, la spécificité de la psychiatrie, de ses soignants, de ses malades, de son travail devient obsolète et inutile. On a créé le même diplôme pour les infirmiers et on veut traiter de la même façon la maladie qu’elle soit psychique ou physique.

Ainsi les neurosciences ont éliminé la réflexion clinique, il n’est plus question de s’intéresser à l’histoire du patient, au rôle de l’environnement, de la famille, de la culture, de la religion dans la genèse de sa maladie.

On pense être capable d’expliquer l’humain, sa psychologie (le mot est même de trop), ses émotions, sa conscience, sa subjectivité, sa manière d’être au monde uniquement à partir de son cerveau biologique.

La pensée, l’âme, l’intériorité semblent ainsi se réduire à un dosage plus ou moins  harmonieux de neuromédiateurs chimiques. Cela voudrait dire que l’individu est irresponsable, incapable d’agir lui-même sur ses troubles. Il attendrait, bon patient passif, que la solution lui soit apportée de l’extérieur, par un traitement chimique, une opération, un électrochoc… Adieu donc la psychothérapie, l’introspection !

 

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Croyez-vous qu’en tant que soignant, on doive se satisfaire de cela ?

L’être humain n’est-il pas autre chose, de plus grand, de plus beau, de plus inconnu, de plus énigmatique. Ne révèle-t-il pas parfois des ressources insoupçonnées ?

Après avoir soigné beaucoup de patients, après avoir accompagné quelques personnes sur le chemin qui les menait à la mort, j’ai compris que « les forces de l’esprit » dépassent parfois nos connaissances et nos certitudes purement biologiques. Je crois que l’être humain a en lui les capacités de se soigner, de faire face à ses troubles, de les comprendre et d’y remédier. La pensée, l’esprit, ce qui fait la force de vie d’un individu, ne se résument pas à quelques molécules chimiques.

Quel sens alors peut avoir l’expression « prendre soin » ?


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