La culture du binge watching : un secteur prometteur

Publié le 18 janvier 2017 par Edelit @TransacEDHEC

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Le géant américain du service de SVOD, Netflix compte aujourd’hui plus de 70 millions de fidèles abonnés. Chaque jour, ces derniers ont accès à des milliers de films et séries et ce public est jeune : il est composé à 70% de spectateurs âgés de 15 à 34 ans. Si l’utilisation de ce type de services est devenue monnaie courante dans le secteur de la diffusion culturelle, il faut aujourd’hui tout de même s’inquiéter de l’ampleur du phénomène : une angoisse grandissante émane de la part des artistes, écrivains et créateurs en tout genre, celle d’un gavage culturel qui dénaturerait la consommation de leurs oeuvres. Si pour Victor Hugo « L’avenir sans fin s’ouvre à l’être illimité » (Odes), il y a tout de même du souci à se faire.

Une offre alléchante

Pour chaque service et chaque envie, le consommateur moderne a désormais l’embarras du choix : musiques, livres, vidéos, informations… Toutes ses envies deviennent réalité. Au 21ème siècle, on est satisfait, et on est satisfait rapidement. De plus, cette satisfaction peut aller jusqu’à l’overdose : le consommateur ne sait plus où donner de la tête. Rien que pour les sites de musique en streaming, il se retrouve confronté à plus d’une dizaine d’offreurs, tous aux offres similaires mais pourtant subtilement différentes : allant du désormais mainstream Spotify, jusqu’aux discrets MusicMe, MusicTonic ou encore Jango, en passant bien évidemment par le classique Deezer, on peut en un clic avoir accès à des millions de titres, jusqu’à l’indigestion.

On recense qu’en France 78% des internautes sont des utilisateurs réguliers des sites de streaming musicaux. Même l’empire du livre n’aura pas su y résister : les formules telles que Kindle Unlimited ou encore Oyster offrent, pour un montant allant jusqu’à 58€, la possibilité aux abonnés d’avoir accès à une quantité illimitée d’oeuvres littéraires. Somme toutefois étrange si l’on garde à l’esprit que 90% des Français lisent uniquement un livre par an !

Votre temps c’est leur l’argent

Il est vrai qu’à première vue, ce business model semble altruiste : donner aux masses un accès culturel illimité depuis le confort de leur propre maison ? Jamais la gratuité des musées, des bibliothèques, et offres avantageuses proposées dans les cinémas ne pourront rivaliser avec cela. Un bon client se doit d’être paresseux, et sa paresse doit se traduire en un binge watching accru s’il souhaite se faire désirer par de telles entreprises.

Mais ce système est, capitalisme oblige, bien évidemment lucratif. Il a vu le jour aux Etats-Unis dans les années 80, sur les chaines télévisées telles que CNN qui ont fait le pari d’une diffusion de l’information en continu. De même, la culture populaire s’est saisie de ce modèle : MTV propose dès cette période une diffusion en boucle de clips vidéos à longueur de journée. Si les couch potatoes étaient heureuses de la situation, cette dernière se dirigeait le long d’un terrain glissant. En effet, sur ce modèle, on en est venu à imposer le dictat de l’illimité à tous les champs de consommation possibles. Résultat ? Toute consommation est soumise à condition, la quantité a dépassé la qualité. Dans le cas de Netflix, c’est 88% des utilisateurs qui confessent regarder plus de trois épisodes de la même série chaque jour. Cette dépendance aux écrans profite fortement à Netflix, qui, au cours du troisième trimestre de 2016 a vu le cours de son action bondir de 19% et son chiffre d’affaire de 31,7%, culminant ainsi à 2,29 milliards de dollars.

Comment rendre ses clients fidèles ?

L’épineuse question pour les offreurs est bien entendu celle de la rentabilité des services. Spotify ce n’est pas la Soupe Populaire et lorsque l’on donne, il faut bien un jour s’attendre à recevoir. Pour ce faire, une recette simple : celle du freemium. Il s’agit de proposer un service gratuit pendant une courte durée, et, si le consommateur est satisfait il peut passer à l’achat d’une version Premium. C’est avant tout une affaire de visibilité auprès d’une cible : parler de gratuité permet en effet de lever un certain frein psychologique et attirer plus facilement le consommateur.

Pour commencer, il faut amadouer sa proie en lui faisait miroiter une plateforme pouvant lui amener tout ce qu’il désire. Il est vrai qu’à première vue, écouter de manière illimitée 30 minutes de titres en échange de 30 secondes de pub semble peu cher payé. Une fois que le poisson a mordu à l’hameçon, il s’agit pour les entreprises de le conserver, donc de lui offrir ce qu’il ne trouvera nulle part ailleurs, et la différence se fait sur la qualité de l’expérience consommateur. En règle générale pour qualifier l’opération de succès, le taux de conversion doit atteindre les 25%, sans quoi on peut parler de flop marketing.

Ce modèle est si prometteur que même des géants du service de vente musicale comme Apple ont décidé de se lancer dans l’aventure : Apple Music propose à ses utilisateurs pour 9,99€ par mois, de pouvoir écouter de la musique en illimité, mais toujours avec une redirection sur sa plateforme d’achat, ITunes. Pas sur que l’offre soit suffisamment alléchante pour permettre d’éliminer la concurrence.

Ne soyez pas radin ! Partagez !

Moral notre consommateur 2.0 ? Peut être, mais il est avant tout fatigué, et son confort est pour lui inestimable. Exit les heures passées à chercher des liens pour télécharger illégalement le dernier titre ou dernier épisode de notre série favorite. Désormais un simple clic suffit, et c’est d’ailleurs l’argument de la facilité qui assure à ces entreprises de prospérer.

« Comme tout le monde par le passé, je me suis essayé au téléchargement de contenus en torrent, et puis en vieillissant je me suis responsabilisé, estimant qu’il n’était pas cohérent de demander des programmes de qualité et de ne pas rémunérer ceux qui les créent » témoigne un abonné à Netflix

Le formidable tour de passe-passe qu’ont réalisé les entreprises a été de culpabiliser les consommateurs, afin de pousser ces derniers à agir dans les règles et dans le respect des droits d’auteurs. Même si l’ADAMI, qui représente les artistes-interprètes en France a dénoncé la trop faible rémunération des artistes, qui ne touchent que 4,6% de la somme versée par l’internaute, les plateformes de streaming n’ont jamais connu une aussi grande fréquentation ! En juin dernier, Spotify a atteint le cap symbolique des 100 millions d’utilisateurs.

Même si à force d’ingurgiter des données, le consommateur ne soit pas forcément en mesure de les assimiler complètement, il convient tout de même de faire honneur à ses créateurs, question de respect.