Vers midi, j'ai pris une heure de route
sur le temps et l'envie qu'il me reste pour aller à Montcuq voir le géniteur
détenteur des morceaux, de mon nombril et des morsures, à la poursuite d'une
caduque quête identitaire histoire de comparer nos fardeaux.
Dés l'accueil, j'ai su mon désir de ne
pas troubler sa quiétude de dépositaire amnésique.
Je n'ai pas voulu faire revivre, sous
prétexte de mon seul bien-être, à ce vieil homme un passé qu'il veut sans doute
oublier.
J'ai laissé les questions au vestiaire
des rancœurs pour ne pas que ce tout à l'égo ne devienne un tout à l'égout et
me suis régalé de cette soupe de bien, venue de dessus le poêle à bois
"Godin", de ces patates qui ont pris le temps de cuire lentement et
de cette barbaque d'origine inconnue tant elle est méconnaissable "de
braise et de caramel" qu'il dit : moi j'appelle ça de la cramure
d'oignons.
Alors, au lieu de regarder derrière,
j'ai observé mon futur de dans vingt ans à travers ce visage édenté toujours
vivace malgré ses 70 années de labeur d'ouvrier entamées dés huit ans comme
garçon de ferme, dormant quelques heures par nuit dans le lit cage d'un grenier
sans chauffage,
Dans les misères antérieures du siècle
d'avant, il y avait des tragédies banales et rurales où le fruit des amours
ancillaires devenait à son tour domestique à bon compte. Le bâtard grandissait
sans pain blanc mais avec un quignon et un oignon pour salaire.
A bout de démarche comme un saumon
remonte le courant, j'ai suivi le fil de mairie en hôtels de villes de ces eaux
saumâtres pour conclure que je suis issu de cette hérédité là.
Sa vie se terminant aujourd'hui, encore
vert, en aventures de cavaliers et, sans doute l'ai-je déjà rejoint dans la
cavalcade peut-être, chevauchant une moto et, plus surement, dans la calvitie.
Contrairement à la maison de poupée de
"chez ma sœur", il y a ici des licols et des selles enchevêtrés, des
couteaux à la lame longue comme l'avant bras, des outils sur la table et au
sol, des sacs de céréales ou de flocons de maïs, des cuirs lustré dans l'odeur
du suif, des vareuses suspendues à des clous en guise de patères.
Beaucoup de place pour les chevaux et un
peu pour des images d'enfants, des dessins d'arbres sans racines, des maisons
sans fenêtres et des créatures dentues punaisés sommairement aux murs qui
disent sa souffrance et son remord.
L'été, il me souvient d'un canasson à la
porte d'entrée et qui parfois pénètre dans la pièce vers le sac de pain dur,
des poules et du coq, de l'œuf que l'on va chercher au cul de la poule, des
tomates qui saignent sur la planche à découper.
J'oublie encore sa colère rustique du
temps où j'urinais au lit et la mienne aujourd'hui quand il m'obligeait à partir à l'école avec les sous vêtements afin de
soigner mes nuits d'énurésie à charge pour moi de me faire des potes et des
études en sentant la pisse.
J'oublie aussi et dans la foulée, mes
souvenirs d'enfant impuissant à protéger maman du haut de mes six ans
terrorisés des violences de cet homme effrayant de jalousie injuste, forcément
injuste.
Je crois que j'ai repris de la soupe.
Nous avons fait rouler des bottes de
foin dans le hangar à coté des chevaux.
Deux sont mort cette année, reste une
haridelle, avec un pedigree de pur sang quand même, et deux anglo-arabe bon
pied bon œil.
Nous sommes rentrés boire en guise de
café une sorte de champoreau de Daudet tiré de la débelloire de Giono qui nous
attendait sur la fonte du poêle.
Et j'ai repris de la soupe.
Et mes griefs.