Ça va bientôt être une histoire d’amour entre ma mère et les pompiers d’Amou. Si je compte bien c’est la quatrième fois qu’ils l’embarquent non pas vers une utopique Cythère mais vers les disciples et descendants d’Asclépios à l’hôpital de Mont de Marsan. Loin de moi l’idée d’avoir des pensées salaces ou graveleuses en des temps indigestes mais comment ne pas toujours rire à la vie, comment ne pas être tenté par retrousser le cotillon de la camarde - ainsi que le fît en d’autres temps tonton Georges - afin de lui compter ses osselets. Les pompiers d’Amou au tempérament de feu et aux torses impeccablement bombés, ont donc emmenés mom samedi soir. Catatonie. Quand la vie qui n’a plus aucun intérêt à cause de la grande vieillesse, de la maladie, de la déchéance physique, pèse de tout son immense poids sur l’âme et le corps.
Tout à l’heure j’étais dans la grande maison désormais vide de mes parents et j’ai entendu ma voix appeler « maman ». Aucun écho n’y a répondu.
Je me suis alors souvenu de celle de Jean Rochefort dans l’admirable film de Cavalier « Un étrange voyage ». Il joue le rôle d’un homme d'un âge qui va vers le mûr, droit dedans, un fils qui attend sa mère à la gare où elle n’arrivera jamais. On saura plus tard que la vieille dame, Ginou, est descendue malencontreusement en rase campagne où le TER s’était momentanément immobilisé. Perdue dans la nature, les prés, les buissons et la forêt, elle marche, déboussolée, elle meurt. Rochefort et Camille de Casabianca (père et fille) la cherchent plusieurs jours et je me souviendrai toute ma vie de la voix du comédien qui lance à un moment donné, au vide et au silence de la nature, du cut final, un mot : « maman »...
« Maman » pas avec une voix mièvre, pleurnicheuse, inquiète, chouinarde, non, « maman » d’une voix douce et assurée, une voix d’enfant, une voix vraie, une voix qui demande sa mère. La voix du fils que l’on reste même à soixante-cinq balais.
Il vient un jour dans nos vies un temps où l’on ne peut et pourra plus dire « maman » de cette même voix. Ce temps s’approche pour moi.