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Ce que vivent les professeurs au quotidien

Publié le 01 février 2017 par Soseducation

Claire Polin
Chère amie, cher ami,

« J’en ai encore les mains qui tremblent sur le clavier. Plus de 10 h après… Autant de violence gratuite, d’hystérie concentrée… »

C’est ainsi que commence le témoignage d’une professeur, sympathisante de SOS Éducation, que je viens de recevoir. Je vous l’ai reproduit entièrement ci-dessous.

Cette jeune femme, à qui j’ai conseillé de porter plainte sans délai, a été victime d’une violence qui confine à la sauvagerie.

Malheureusement, cette réalité s’est installée dans des milliers d’établissements scolaires.

Rien qu’en Ile-de-France, la peur est quotidienne pour nombre de professeurs : dans un sondage IFOP – SOS Éducation datant de l’an dernier, 21% des enseignants du secondaire de la région déclarent « ne pas se sentir en sécurité » sur leur lieu de travail.

Comment peuvent-ils transmettre leur savoir de manière efficace, s’ils ont en permanence la boule au ventre ?

Cette question n’a pas l’air de préoccuper les responsables politiques engagés dans la primaire de gauche, qui ne font AUCUNE proposition pour rétablir la discipline dans nos écoles, collèges et lycées.

Manuel Valls a perdu là une occasion de se différencier de Benoît Hamon, dont on connaît la sympathie pour le laxisme et la culture de l’excuse.

Voici la comparaison ligne à ligne de leur programme éducatif : http://soseducation.org/docs/benoit-hamon-manuel-valls-quel-candidat-pour-l-ecole.pdf

Tous les candidats à l’élection présidentielle devraient pourtant avoir conscience de la profonde demande d’autorité qui traverse le corps professoral.

C’est un des thèmes sur lesquels SOS Éducation compte bien s’engager pendant la campagne. Je ne manquerai pas, chère amie, cher ami, de vous faire parvenir les propositions de notre association à ce sujet.

Claire Polin

Présidente de SOS Éducation

===============TÉMOIGNAGE EXCLUSIF===============

J’en ai encore les mains qui tremblent sur le clavier. Plus de 10 h après… Autant de violence gratuite, d’hystérie concentrée… Rarement vu…

Je regarde l’écran de mon téléphone : en morceaux… J’ai mal au côté gauche… Je pensais que ça allait, mais non, ça ne va pas

Habituellement, dès le début de la journée de cours, quand j’arrive et que je traverse ce hall B, j’ai déjà l’impression d’être agressée… Des élèves trop bruyants pour l’intérieur d’un bâtiment, certains affalés par terre, téléphone à la main, d’autres convenablement assis, d’autres encore faisant l’équilibriste allongés sur les rampes centrales de l’escalier… jusqu’au jour où un élève glissera et s’éclatera la tête sur une marche… Alors que s’est-il passé aujourd’hui, de plus que d’habitude ?

Je sortais d’une salle de devoir, la 201. C’est 12h15. La faim au ventre. Il me tarde de rentrer…
J’entends des cris, ça ressemble à une dispute. Plus je m’approche, plus ça monte en puissance. D’habitude, c’est plutôt la musique dans les couloirs que l’on entend, des élèves rigolant en « tapant » la balle dans un hall… Là, ça a l’air tendu.

Arrivée sur place : une professeur et une élève face à face, des cris, des insultes, les bras tendus, des mains dans les cheveux… Ouh là, c’est chaud. Intervenir vite. Approcher, demander à l’élève qui hurle, hystérique de se calmer… La professeur lui rappelant que certaines règles étaient à respecter… L’élève qui fait mine de s’en aller, vociférant insultes, gazouillis et j’en passe. Ne la connaissant pas, je lui demande très poliment, très calmement son carnet. Elle me crie : « Mais t’es qui, toi ? Casse toi ! Elle (la professeur) m’a mis une gifle… ».

Garder son calme : « Viens avec moi à la vie scolaire. » « Occupe-toi de ton cul ! Mais t’es qui toi ?! » L’élève toujours hystérique, descendant les escaliers, ma collègue et moi à ses côtés, continuant de se faire insulter… 10 fois, j’ai dû lui demander poliment son carnet. 10 fois, je lui ai demandé son nom… 10 fois, je lui ai dit de m’accompagner à la vie scolaire… J’ai dû essuyer autant d’insultes (« Occupe toi de ton cul », l’expression n’est pas sortie par inadvertance de la bouche de l’élève mais répétée et répétée avec d’autres expressions que mon cerveau a zappé, au moins aussi violentes, et aussi des menaces : « je vais appeler ma mère, on se retrouvera »…)

Toujours collée à ses baskets pour obtenir son identité afin de faire un rapport à la vie scolaire… Impossible de l’avoir… Faire un rapport sans nom d’élève… Pfff… La jeune fille se dirigeant vers le portail et se tournant à plusieurs reprises pour continuer à nous insulter. Je sors le téléphone : faire une photo, avoir son portrait pour retrouver son identité. L’élève me file une claque de haut en bas : « Me filme pas ! »… Sous l’effet du coup, le téléphone tombe. Je le ramasse… Je repointe le téléphone pendant qu’elle est occupée à vociférer encore sur ma collègue : 2e claque plus violente. Quelque chose a frôlé mon œil gauche, et à côté de l’œil, ça chauffe… Je ramasse de nouveau le téléphone…Je prends enfin la photo.

Et je me dirige vers la vie scolaire pour faire un rapport. J’en ai pour mon compte, mon téléphone aussi. Écran brisé en petits morceaux… Je demande un CPE. Personne… Mais Monsieur G. est à l’administration. Je me dépêche de l’y trouver pour lui dire que nous avons un problème urgent avec une élève hystérique… D’ailleurs, on entend toujours crier. Par « chance », la troupe s’est rapprochée de la vie scolaire… L’élève hystérique entre dans le bureau de Monsieur G., elle crie qu’elle veut être vue sans nous… Elle hurle dans le bureau. On l’entend à travers les murs.

Je rédige mon rapport, dans ses hurlements. J’ai la main qui tremble. L’écriture tordue. J’ai faim. Monsieur G. sort de son bureau. L’élève aussi, bien qu’il lui ait demandé de rester là. La surveillante, non loin de moi, m’annonce que la mère de l’élève arrive et que je ferais mieux de m’en aller car elle n’est pas commode. On ne va quand même pas se battre à la vie scolaire ? Non, je ne m’en irai pas, il ne manquerait plus que je fuie… La mère et la fille débarquent.

Un bonjour très poli de ma part. La fille rehurle : « C’est elle ! Elle est folle ! C’est elle qui m’a filmée. » La mère vociférant : « On va porter plainte contre vous ! Pourquoi vous avez filmé ma fille ? » Très calmement, je lui explique que comme sa fille, après maintes demandes, ne me donnait ni son carnet, ni son nom, je l’ai prise en photo pour pouvoir par la suite retrouver son nom avec la vie scolaire. « Ah, parce que vous ne connaissez pas ma fille ? Vous êtes nouvelle ! »

Non, je suis là depuis presque 10 ans. Et non, n’ayant pas eu votre fille en classe, je ne la connais pas. « Ah, vous la connaissez pas, c’est pas normal. Vous avez pas le droit de la filmer, on va porter plainte, viens ma fille, on va à l’hôpital… » Par contre que votre fille m’ait frappée, ce n’est pas grave ? Madame T. ouvre son bureau pour faire rentrer mère et fille et me demande de ne pas rester là. En faisant le trajet entre salle des profs et bâtiment sciences, on me demande de ne pas traîner à proximité et de me cacher pour ne pas que la mère m’insulte de nouveau, pour « me protéger »…Et là, je me dis, mais c’est le monde à l’envers… J’ai faim.

On me demande d’attendre pour être reçue par le proviseur. J’ai toujours faim, j’ai le haut de la joue qui chauffe toujours, et j’ai toujours un peu mal côté gauche. Mais ça va passer. Je vais de mon propre chef à l’administration pour leur dire que je n’attends plus (c’est 13h40, ça fait 1h15 que j’attends d’être reçue par le Proviseur). Ah, le chef me reçoit enfin et me conseille de ne pas porter plainte. Je rentre chez moi, je ne suis pas bien, j’ai toujours la joue qui chauffe, mal au côté gauche… La sensation d’avoir fait mon job, enfin un peu plus que mon job, d’avoir subi à la fois agressions verbales, insultes, menaces, agressions physiques, agressions matérielles… Sans que l’on me dise que l’élève va être sanctionnée à la hauteur des faits.

Même si je sais que j’ai bien agi, je me sens frustrée… par autant d’injures, les coups reçus, et probablement l’élève n’aura aucune sanction… Si j’avais répliqué à ses coups, j’aurais probablement couru le risque d’avoir des sanctions. Un professeur ne tape pas un élève. Mais jusqu’où la provocation de l’élève peut-elle aller ? Tous les jours, elle va trop loin… Aujourd’hui un peu plus que les autres…

Ce soir, je n’ai plus faim, la joue gauche ne chauffe plus, j’ai toujours mal côté gauche, le téléphone est toujours en sale état, c’est l’heure d’aller au lit, et je n’ai pas envie de dormir. Je suis dégoûtée. Je pense que si j’ai toujours mal, j’irai voir le médecin. Pas pour être arrêtée, non, mais voir si ce n’est pas grave… Et demain, j’irai faire mon travail, j’irai à l’école.

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