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Caligula, prince de l’absurde

Par Balndorn
« Si le Trésor a de l’importance, alors la vie humaine n’en a pas. Cela est clair. Tous ceux qui pensent comme toi doivent admettre ce raisonnement et compter leur vie pour rien puisqu’ils tiennent l’argent pour tout. Au demeurant, moi, j’ai décidé d’être logique et puisque j’ai le pouvoir, vous allez voir ce que la logique va vous coûter. J’exterminerai les contradicteurs et les contradictions. S’il le faut, je commencerai par toi. »   

Caligula est une pièce de l’absurde, au sens fort du terme. Non pas que la pièce n’ait aucun sens, par défi envers toute logique ; au contraire, le personnage éponyme pousse la logique jusqu’au bout afin d’enseigner aux patriciens romains l’absurdité de la condition humaine.   

L’empereur que décrivait Suétone, dont s’inspire Camus, n’est pas fou ; il est trop rationnel, et la raison finit inexorablement par buter sur l’écueil de la mort.   


Alors le seul refuge pour le jeune tyran, c’est la poésie. Pas n’importe quelle poésie : la poésie lyrique, celle qui exalte les forces presque magiques qui irriguent le monde. « Ce monde, tel qu’il est fait, n’est pas supportable. J’ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l’immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde. »   

Le tour de force de Camus consiste à rendre compréhensible, si ce n’est sympathique, un assassin. Comme pour Meursault (L’Étranger) ou Jean-Baptiste Clamence (La Chute), Camus tente de cerner les raisons souterraines qui se cachent derrière des actes apparemment absurdes pour souligner le caractère profondément humain de ces hommes étrangers au monde et à eux-mêmes.    

Avec Caligula, c’est la poésie d’un jeune homme désœuvré qui se fait cri de révolte d’une humanité indifférente à la préciosité de la vie. Le désir de dépasser l’humanité motive toute la pièce : aussi bien par le haut, lorsque Caligula se déguise en Vénus grotesque, ou par le bas, par les multiples humiliations que l’empereur impose aux vieux patriciens.   


Tant de vexations finissent infailliblement par provoquer une révolte contre le tyran. Peut-être Caligula n’attendait-il que cela ; exacerber la faiblesse des cœurs humains pour en amener un, plus fidèle que les autres, à donner un sens à une existence essentiellement absurde. Blasphémer pour encourager la prise de pouvoir de l’homme sur son destin. Un suicide à grande échelle pour stimuler la prise de conscience.   

S’ils comprennent le désir suicidaire de Caligula, Cherea et Scipion lui opposent cependant un mode de vie plus pragmatique, une existence ancrée dans un monde qu’elle refuse de consumer pour en faire advenir un meilleur. Cherea tient des propos proches de Kaliayev (Les Justes) : « J’ai envie de vivre et d’être heureux. Je crois qu’on ne peut être ni l’un ni l’autre en poussant l’absurde dans toutes ses conséquences. »   


Le théâtre de Camus met en scène la tension entre dépassement nihiliste de l’humanité et délimitation d’une mesure pour le bien commun. La raison n’a rien à faire dans le perfectionnement humain ; écrit pendant ou peu après la guerre, le théâtre de Camus sait parfaitement où mène un excès de raison. Au calcul purement numérique, abstrait, de l’humanité, la révolte chez Camus, essentiellement affective, fait communier de manière morale l’humanité. « Je me révolte, donc nous sommes. »
Caligula, d'Albert Camus
Maxime

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