Mouche tsé-tsé et mouche du coche
Quelle mouche a piqué Associated Press ? Je suis tombé ce matin sur une dépêche d’Emmanuel GeorgesPicot, dont le ton m’a semblé particulièrement polémique et partial.
L’objet de la dépêche incriminée est l’incendie du centre de Vincennes. Le rédacteur ne fait pas dans la dentelle : « Frédéric Lefebvre n’a pas tardé à faire entendre sa voix après l’incendie du centre de rétention administrative (CRA) de Vincennes. Utilisant une stratégie de diversion souvent utilisée par son mentor, l’ultrasarkozyste porte-parole de l’UMP a trouvé un responsable: le collectif RESF, qui manifestait avec d’autres organisations à proximité du centre au moment de l’incendie. »
Relevant que l’incendie a éclaté peu après une manifestation non-déclarée de RESF, Associated Press en met une seconde couche : « Une coïncidence promptement exploitée par l’UMP. Dans un communiqué publié lundi matin, Frédéric Lefebvre a accusé les « collectifs type RESF » de « provocations aux abords de ces centres, au risque de mettre en danger des étrangers retenus ».
Pour mémoire, la page de présentation d’AP rappelle que « Loin du style « agence » traditionnel, l’AP écrit ses dépêches dans un style accrocheur, alliant objectivité et couleur » tout en expliquant « Au Service français comme dans le reste du monde, les hommes et les femmes de l’AP sont tous dévoués au même idéal : la précision, la vérité et l’impartialité. » Tous, sauf un !
Selon moi, ce type de dépêche traduit bien l’inverse, une certaine paresse journalistique, qui consiste à rapporter des faits sans se soucier de creuser, tout en donnant son avis. Or, l’avis de GeorgesPicot, c’est comme le trou du cul : tout le monde en a un.
Dans ce monde où la signature passe avant le journal, l’important est de paraître, d’être mainstream sur le fond (surtout, n’ayons pas d’idée qui pourrait nous isoler !), tout en se distinguant sur la forme. Regardez Barbier, qui passe ses journées sur les plateaux – mais quand fait-il son boulot au Point ? Tel est le laisser-aller général commun à la profession. Peut-être Lefebvre a allumé un contre-feu, mais dans ce cas, leur boulot est de le prouver. Et encore, je ne pense pas qu’AP soit là pour faire du journalisme d’investigation.
Qui se sent morveux, qui se mouche
Toujours dans le même ordre d’idées, il y a eu le traitement ridicule de l’agression du jeune Rudi. Que les protagonistes aient leur analyse, très bien : c’est leur rôle. Mais le caractère moutonnier des médias, qui se contentent de reproduire tel quels les propos, est stupéfiante.
Sitôt la nouvelle annoncée, « on » (à commencer par certaines instances représentatives des juifs de France) nous a qualifié la chose « d’agression antisémite ». Pourquoi ? Parce qu’il portait une kippa. On nous aussi parlé de « crâne fracassé à coups de barres de fer » qui, avec le temps, se sont muées en « béquilles ». Bonjour le recoupement des infos.
Quelle facilité de plume d’immédiatement transposer un combat de rue en lynchage racial ou religieux. Exemple symptomatique de cette dérive intellectuelle : cet adjoint du maire du XIXème arrondissement qui a sorti un commentaire du genre « Il y a eu des affrontements entre des jeunes blacks, des maghrébins, et des jeunes issus de la communauté juive ».
Qu’on lise les termes : des jeunes « blacks ». Notez comment le « black » est nettement moins raciste que « noir », comment l’anglais purifie toute arrière-pensée de catégorisation sociale. Nos ancêtres utilisaient « nègre » sans arrière-pensées, et le terme est devenu connoté. Aujourd’hui, le « black » a le vent en poupe car il permet de différencier du noir : le « black » est jeune, avec une casquette et un pantalon large.
Et puis ensuite la fameuse « communauté juive ». Certes, si votre mère est juive, d’un point de vue religieux, vous êtes juif. Mais regardons comment nous dénions toute autre élément d’identité à ce jeune. Nous, patrie des droits de l’Homme, nous cataloguons nos propres citoyens. Ce Rudi, à partir du moment où il est attaqué, il devient forcément juif, avant toute chose. La culture passe avant la citoyenneté. Il y a du Huntington là dedans. Il fait partie d’une « communauté », comprendre pas-de-chez-nous.
Comme cela, les éléments du drame sont bien simplistes et encadrées : trois groupes, avec des appellations qui permettent de conceptualiser sans une quelconque référence territoriale ou raciale. Des sénégalais ? Des français noirs ? des tunisiens immigrés ? des juifs pratiquants ? des israëliens ? Non, pas de détail : des blacks, des maghrébins et « la communauté juive ».
Fermez le banc.
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