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Chronique du Pérou 2016

Publié le 06 février 2017 par Slal


Janvier 2017

UN PRÉSIDENT IMPOPULAIRE, UN PARLEMENT D'EXTRÊME DROITE ET UNE GRANDE CORRUPTION AU SEIN DE L'ÉTAT

Mariella Villasante Cervello,
Chercheuse associée à l'Instituto de democracia y derechos humanos (IDEHPUCP)
En ce début d'année 2017, le bilan que l'on peut dresser de la situation politique au Pérou est assez préoccupant. Le président élu en juillet 2016, Pedro Pablo Kuczinsky (78 ans), continue de perdre un peu de la popularité tiède qu'il avait acquise au cours de sa campagne présidentielle [1]] . Pour mémoire, c'est avec 50,12% de voix qu'il l'a emporté de justesse face à la dirigeante d'extrême droite Keiko Fujimori (49,88% des voix). Dans cette occurrence comme en d'autres actuellement à travers le monde, on peut dire que les Péruviens ont voté contre Keiko, et pas vraiment pour Kuczinsky.

Ainsi, le président déçoit énormément et il est de plus en plus perçu pour ce qu'on peut dire qu'il est, presqu'un étranger, revenu à son pays natal après avoir passé la plus grande partie de sa vie à Oxford et surtout aux États-Unis. Il s'exprime mal en castillan, et pour pallier un certain manque de charisme d'homme politique, il utilise l'argot, il danse dans des cérémonies officielles, il fait des blagues, bref, il semble vouloir se faire passer pour un « homme ordinaire, du peuple ». Ce qu'il n'est pas, comme l'indiquent à l'envi sa biographie et celle, complexe, de sa famille. Apparemment, il se montre très à l'aise dans les conversations privées, où il peut faire preuve de son érudition, de ses connaissances en matière d'histoire et d'arts. Mais dès qu'il apparaît en public, il adopte le mode « homme de peuple », ce qui chez nous se traduit par l'emploi de diminutifs, du langage familier, et d'une manière d'argot bas de gamme. Mais il y a plus, car Kuczinsky trahit une certaine hésitation en bien des cas ; il avance une décision et revient en arrière ensuite. On aurait certes pu mettre ces défauts patents sur le compte des aléas liés à un « début » de mandat. Mais trois affaires graves montrent à l'évidence que le mandat de Kuczinsky est et restera semé d'obstacles qui sont susceptibles même de lui coûter son siège.

En octobre d'abord, le ministre de l'Éducation nationale, Jaime Saavedra, a été censuré par le Congrès dont on rappellera ici que la majorité est fujimoriste (73 sur un total de 130 sièges), et le président n'a pas su empêcher cette brimade de politique politicienne pour éviter la chute (probable) de son gouvernement. Ensuite, au début décembre, le président a accepté de se réunir de façon incongrue avec Keiko Fujimori et le cardinal Cipriani, affichant une forme de « collaboration » exagérée avec la perdante des élections estivales toujours prompte à étaler sa force au congrès. Enfin à la mi-décembre a été révélé un grand scandale de corruption impliquant les trois derniers gouvernements (de Toledo, de García et d'Humala), ainsi que le président Kuczinsky lui-même, en tant qu'ancien ministre de Toledo. Tout ceci conduit à la situation actuelle de désordre politique grave aux conséquences imprévisibles. Cette chronique débutera par une évocation de la situation économique globale et du Sommet de l'APEC de novembre. Elle présentera ensuite les trois questions qui mettent en danger le mandat du président, et elle se conclura par une synthèse de la situation des droits humains.

LES AXES DU GOUVERNEMENT AU DÉBUT JANVIER

Alors que la macro-économie se porte bien, le taux de pauvreté reste important (30%), et les inégalités sociales continuent de se creuser. Les espoirs raisonnables d'atteindre 4,8% de croissance en 2017 sont remis très sérieusement en cause du fait du grand scandale politico-financier dévoilé à la mi-décembre. Celui-ci concerne les pots-de-vin versés par l'entreprise brésilienne Odebrecht dont on commence seulement à découvrir les implications.

(1) Les membres du gouvernement du président Kuczinsky, 5 femmes et 13 hommes (Panorámica latinoamericana)

Le gouvernement du président Kuczinsky est dirigé par des technocrates et il compte peu de politiciens. Le premier ministre Fernando Zavala Lombardi, économiste de formation, a été vice-ministre de l'économie du président Toledo, alors que Kuczinsky était ministre (2002-2005). En 2005, il a succédé à Kuczinsky qui était devenu Premier ministre. Il a travaillé ensuite dans des entreprises à Panama et au Pérou. Le ministre de l'Économie est Alfredo Thorne Vetter ; il a travaillé à la Banque mondiale (1987-1995), puis dans plusieurs banques, notamment au Mexique. Sa nomination au gouvernement constitue son premier poste national. Le ministre de l'Intérieur est Carlos Basombrío Iglesias, sociologue ; il a été conseiller puis vice-ministre au ministère de l'Intérieur du président Toledo (2001-2004). Marisol Pérez Tello est ministre de la Justice et droits humains ; elle est avocate, congressiste du Parti populaire chrétien (droite) entre 2001 et 2016. Le ministre des Relations extérieures est Víctor Luna Mendoza, diplomate et professeur de relations internationales ; il a rang d'ambassadeur depuis 1986, en particulier aux États-Unis (1992-1999), pendant le mandat de Fujimori ; il aida ce dernier à élaborer la liste de 117 diplomates péruviens renvoyés à la fin 1992. Il a été professeur invité aux États-Unis entre 2000 et 2006 ; puis ambassadeur au Royaume Uni (2006-2010). Il n'avait travaillé dans aucun gouvernement péruvien avant 2016.

La ministre de la Femme et des populations vulnérables est Ana-María Romero Lozada, sociologue, qui avait déjà occupé le même poste dans le gouvernement de Toledo. Le ministre de la Défense nommé en juillet était Cosme Gonzáles, mais il a été démis dès le mois de novembre car il avait confié un poste dans son bureau à sa compagne, ce qui contrevient aux règles péruviennes. Le nouveau ministre a été nommé en décembre, il s'agit de Jorge Nieto Montesinos, qui occupait auparavant le poste de ministre de la Culture. Il est sociologue, ancien militant communiste, a travaillé à l'UNESCO et consultant politique. Le nouveau ministre de Culture est l'avocat et acteur Salvador del Solar, qui enseignait aussi à l'université Catholique du Pérou. Il a défendu le ministre de l'Éducation Saavedra contre les attaques des fujimoristes, et il a critiqué le cardinal Cipriani lorsque celui-ci s'est permis d'insulter les ministres de la Santé (Patricia García Funegra), de la Femme et de la Justice (Ana-María Romero) qui avaient défendu l'usage des pilules contraceptives, conformément à la loi.

Au début de sa gestion, le gouvernement a présenté 112 décrets législatifs centrés sur la réactivation de l'économie (65), sur la sécurité citoyenne (33), puis sur la lutte contre la corruption, sur les travaux de couverture de l'eau et des travaux publics, et sur la simplification des démarches administratives. Les prévisions de la Banque mondiale ont fait état d'une diminution de la croissance, qui devrait passer de 4,2% en 2017 à 3,8% en 2018. Pour remédier à cette tendance, le ministre Thorne a proposé d'accélérer le passage de l'économie informelle à l'économie formelle, de promouvoir les investissements des petites et moyennes entreprises, et de rompre le monopole de l'activité minière. Avec le scandale d'Odebrecht, c'est la corruption étatique qui est enfin attaquée de front, même si cela peut sembler arriver très tard… La ministre de la Justice, Pérez Tello, a annoncé plus de 40 modifications de la Loi sur les contrats de l'État. Désormais les entreprises qui utiliseront les pots-de-vin comme stratégie financière seront soumis à une responsabilité pénale, et les fonctionnaires corrompus seront exclus des postes étatiques à vie. Plusieurs des nouvelles mesures ont commencé à être mises en place, mais elles n'ont pas encore reçu l'approbation du Congrès [2]] . Or, si l'on tient compte que 73 membres de ce congrès (sur 130) appartiennent à un parti politique d'extrême droite, qu'ils ne bénéficient d'aucune reconnaissance sociale, et qu'ils sont plutôt les dirigeants nationaux du réseau de corruption installé par Alberto Fujimori depuis 1990, on peut craindre que la démocratie péruvienne ne soit devenue qu'une vaste mascarade.

— Le Sommet de l'APEC

La meilleure nouvelle de cette période sombre est sans doute la tenue du Sommet de l'APEC, [Organisation de coopération économique Asie-Pacifique] qui a réuni tous les présidents du Pacifique à Lima le 20 novembre 2016. C'est-à-dire 21 économies qui pèsent sur 60% du commerce global, pour 40% de la population.

(2) 24e Sommet de l'APEC, Lima, 20 novembre 2016

Dans son allocution inaugurale, le président Kuczinsky a exhorté les participants à résister à la vague protectionniste qui se répand dans l'Atlantique, en particulier après l'élection de Donald Trump aux États-Unis. « Toute personne voulant promouvoir le protectionnisme devrait relire l'histoire des années 30 », a-t-il précisé. Présent à Lima, le président de la Chine, Xi Xinping, a fait des déclarations qui affirmaient sa détermination à combler le vide laissé par les États-Unis si ceux-ci décidaient de sortir du traité de libre-échange du Pacific (TPP), signé en 2015 par 12 pays, dont le Pérou, mais à l'exclusion de la Chine. Or, c'est chose faite depuis le 24 janvier, Trump l'a annoncé et actuellement les pays concernés analysent les voies de sortie. En novembre, les spécialistes considéraient que si les États-Unis tournaient le dos à l'Amérique latine, ce serait la Chine qui en tirerait profit [3]]. Le président Kuczinsky vient de le confirmer. Il propose d'établir un nouvel accord du TPP avec la Chine, d'autres pays d'Asie, l'Australie, la Nouvelle Zélande, et d'inviter également l'Inde. Actuellement les exportations ne seront pas affectées, mais on prévoit une rencontre des 11 pays de l'ancien TPP dans les plus brefs délais. Le Premier ministre australien, Malcolm Turnbull a fait des déclarations semblables, affirmant que si le départ des États-Unis était regrettable, aucun des autres pays signataires du TPP n'était disposé à renoncer aux projets d'amélioration de leurs économies. Turnbull a annoncé aussi être prêt à inviter la Chine dans le TPP en voie de restructuration (La República du 25 janvier 2017). Selon toute vraisemblance, le nouveau TPP en sortira plus fort avec la Chine et l'Inde.

A cette occasion, l'ancien président Barack Obama a exposé ses idées avec sa sagesse habituelle. Lors de sa conférence de presse, il a avancé qu'il pensait que le président élu Trump devrait d'abord assumer sa charge et que ce n'est qu'après qu'on verrait s'il peut mener à bien ses promesses de campagne. Il ne pouvait pas se douter à quel point Trump était un authentique populiste d'extrême droite tout à fait capable de concrétiser ses annonces ; il a déjà signé des décrets allant dans le sens de l'interdiction de l'IVG, du départ des États-Unis du traité TPP, de l'interdiction d'entrée au pays des ressortissants des pays arabes classés « terroristes », et enfin, le 25 janvier, la reprise du projet de construction d'un mur entre son pays et le Mexique voté par Bush. Barack Obama a parlé brièvement avec Vladimir Poutine, notamment de la Syrie, de l'Ukraine et des cyber-attaques durant la campagne présidentielle [4]].

(3) Le président Obama a présidé une rencontre avec les Jeunes latino-américains (Young Leaders of the Americas Initiative) à la PUCP, Lima, le 19 novembre 2016 (PUCP. Edu)

• Le 19 janvier, le président Obama a présidé une rencontre avec les Jeunes latino-américains (Young Leaders of the Americas Initiative) à la Pontificia Universidad Católica del Perú (PUCP), avec plus de mille jeunes d'Amérique latine qui s'étaient déplacés spécialement pour cet échange. Son message central fut que les gouvernements seuls ne peuvent pas résoudre les graves problèmes des pays, mais qu'il y faut plutôt l'intervention des sociétés civiles, des jeunes, des professionnels, des entrepreneurs, tous à la recherche de la promotion des valeurs de dignité, d'humanité et de respect. La seconde partie de la rencontre fut consacrée à un échange avec les jeunes participants ; le président a souligné qu'il y avait beaucoup de talent au Pérou et qu'il ne fallait pas penser que les jeunes doivent nécessairement aller à New York pour connaître le succès. Il a remarqué d'autre part le grand travail effectué pour la démocratie au Pérou, en Colombie et au Chili les dernières années, insistant sur le fait que même si la démocratie peut paraître parfois frustrante, elle reste le seul chemin vers le progrès des sociétés [5]] .
LA TRISTE AFFAIRE DE L'EXCLUSION D'UN EXCELLENT MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE AFFAIBLIT LE GOUVERNEMENT

• Au début d'octobre 2016, le gouvernement avait reçu des attributions spéciales pour une période de 90 jours dans le but de légiférer en matière de réactivation économique, de lutte anti-corruption, d'insécurité citoyenne, d'eau et d'assainissement, et enfin de réactivation de l'entreprise publique du pétrole Pétroperú. La présidente du Congrès, Luz Salgado, émit les premières critiques pour « mauvaise gestion » à l'encontre du ministre de l'Éducation nationale, Jaime Saavedra, docteur en économie (Université de Columbia), qui avait déjà appartenu au gouvernement d'Ollanta Humala depuis 2013. Il avait lancé la grande réforme éducative de modernisation de l'enseignement scolaire et universitaire — avec la création d'un organisme régulateur du fonctionnement des universités privées et publiques. Mi-octobre, des congressistes de l'APRA [parti de l'ancien président García, droite], et de Fuerza Popular (FP) entreprirent de s'en prendre au ministre pour le retard des préparatifs des Jeux olympiques panaméricains de 2019. Il fut bientôt critiqué pour les réformes universitaires entreprises. Il fut enfin convoqué au Congrès où il eut à subir les attaques malveillantes des congressistes de l'APRA et de FP.

(4) Le ministre de l'Éducation nationale, Jaime Saavedra (La República)

Le Premier ministre Zavala rejeta ces attaques et demanda que les ministres soient respectés. Le 21 novembre, le porte-parole de FP, Luis Galarreta, annonça l'interpellation du ministre Saavedra pour des irrégularités présumées dans l'achat des ordinateurs scolaires. Le 23 novembre, le président Kuczinsky apporta son soutien total à son ministre de l'Éducation, suggérant que le but véritable de ces congressistes n'était autre que d'annuler les réformes éducatives en cours, notamment celle des universités, soutenue par 86% des étudiants. Pour mémoire, ces réformes avaient commencé pendant le mandat du président Humala [Chronique politique 2015]. Il faut préciser que la grande majorité des universités privées du pays constituent seulement des véritables fonds de commerce, et que le niveau d'enseignement y est lamentable. Un autre thème critiqué de la réforme éducative concerne la promotion de l'égalité de genres dans les programmes scolaires, évoquée pour la première fois au Pérou, un pays qui, comme on le verra plus loin, possède un des taux de violence contre les femmes et des féminicides les plus élevés de l'Amérique Latine [6]]. Le Pérou continue par ailleurs à occuper les derniers postes dans le ranking de PISA. Il n'a obtenu en 2015 qu'entre 387 et 397 points, alors que la moyenne se situe à 493. On voit là les énormes progrès qui restent à faire en matière éducative, amplement reconnus par le ministre Saavedra [7]] .

• Le 8 décembre, le ministre répondit pendant 11 heures, avec sagesse et pédagogie, aux interpellations du Congrès. Il dut même répondre aux assertions aberrantes de certains congressistes qui prétendaient que l'égalité de genre dans le curriculum scolaire était un appel à la défense des homosexuels. On a noté [8]]avec raison que le gouvernement aurait dû affronter ce débat idéologique de fond qui met en évidence que la croissance des dernières années ne s'est pas traduite par une amélioration de l'éducation, ni par l'éradication de ces comportements anti-modernes (machisme, racisme, homophobie) portés et manipulés par les groupes populistes soutenus par l'Église officielle. Les membres du gouvernement, en particulier le Premier ministre, Fernando Zavala, un technocrate compétent, le ministre de l'Intérieur, Carlos Basombrío et surtout la ministre de la Justice, Marisol Pérez Tello, une personnalité très respectée dans le pays, ont exprimé leur soutien massif au ministre Saavedra. Mais les dés étaient déjà jetés, comme était mise en place la mascarade « démocratique » attendue par les tristes représentants du fujimorisme et leurs alliés apristes pour annoncer la censure [9]] . Des analystes comme Rosa María Palacios [10]] ont fait remarquer que cette censure fragilisait le gouvernement dans son entier qui a adopté vis-à-vis de Fujimori une position trop conciliante et lâche, finalement contraire à son programme de réformes globales déjà mis à mal par la nomination scandaleuse du nouveau Défenseur du Peuple, un candidat fujimoriste, sur laquelle nous reviendrons plus loin. Pour Palacios, l'image « démocratique » de Keiko durant sa campagne s'est effacée avec sa défaite. Tout indique qu'elle et ses congressistes ignorants et rustres travaillent actuellement à la chute du gouvernement, et la probable mise en examen du président dans le cadre de l'affaire de corruption Oderbrecht [une entreprise mêlée à l'affaire brésilienne Lava Jato] ferait partie du projet.

• Le 15 décembre 2016, le ministre de l'Éducation nationale, Jaime Saavedra, a été censuré par 78 congressistes. Les congressistes du parti au gouvernement, ceux de la droite traditionnelle comme ceux de la gauche, ont rejeté résolument cette décision de politique politicienne inique parfaitement à l'image de la majorité du lamentable congrès péruvien. Le président fut traité de traître, de lâche, d'incapable et de faible. Il accepta pourtant la démission de son ministre pour éviter de poser la question de confiance au Congrès et voir son gouvernement tomber…

• C'est le 18 décembre que Marilú Martens (psychopédagogue, ancienne directrice de la Direction de services spécialisés du ministère de l'Éducation nationale), a été nommée ministre de l'Éducation nationale. Elle a déclaré que la réforme éducative allait se poursuivre. Le 17 janvier, une entité suédoise (Stockholm Statement) a situé Jaime Saavedra parmi les 13 meilleurs économistes du monde, notamment pour son travail sur les inégalités sociales, principale responsable de la crise financière de 2008 [11]] .

(5) La nouvelle ministre de l'Éducation, Marilú Martens, en compagnie de l'ancien ministre Saavedra (PCM)

L'égalité des genres a été ratifiée comme principe éducatif dans le but de « former des citoyens respectueux et tolérants, garantissant l'égalité des opportunités, des droits et des devoirs ». Il s'agit « de promouvoir le respect des femmes ». Ces mises au point s'adressent à une campagne d'intoxication téléguidée par des organisations religieuses, notamment évangéliques, appelée « « ne te mêle pas de mes enfants », qui soutient que le nouveau curriculum scolaire « favorise l'homosexualité » (on se croirait en Arabie saoudite !). La nouvelle ministre a rappelé aussi que le curriculum est en accord avec les conventions nationales et internationales des Droits humains et la Convention des droits des enfants. Dans ce contexte, l'éducation sexuelle constitue un droit car elle permet de prévenir la violence, les maladies sexuellement transmissibles et les grossesses précoces [12] dont le taux est très important au Pérou. Selon la dernière enquête nationale effectuée en 2014, les grossesses précoces sont liées pour une bonne part à la violence sexuelle ; et l'on estime que 71% de femmes ont eu à subir une agression de la part des hommes au moins une fois, en particulier les adolescentes de 15 à 19 ans. Les grossesses précoces des adolescentes entre 12 et 17 ans atteint 14,6% au niveau national, mais ce taux est plus élevé en milieu rural (21%), surtout dans la région amazonienne de Loreto (30%), alors qu'il descend à 12% en zone urbaine [13].

• Le 23 janvier 2017, la Conférence des évêques péruvienne a envoyé une lettre au président lui demandant de retirer du curriculum scolaire les notions tirées de « l'idéologie du genre » [14]. On ne pouvait pas aller plus loin dans l'ignorance et les visions rétrogrades sur la société humaine en générale et péruvienne en particulier.

LA RÉUNION DE LA HONTE : LE PRÉSIDENT KUCZINSKY, LE CARDINAL CIPRIANI ET KEIKO FUJIMORI

• Le 19 décembre 2016, le président Kuczinsky a accepté l'étrange intermédiation du cardinal de Lima, Juan Luis Cipriani, (le pire de l'église catholique péruvienne, un homme grossier proche de l'Opus Dei, fujimoriste notoire), pour dialoguer dans la maison du cardinal avec Keiko Fujimori à la suite de la censure du ministre Saavedra. Les raisons qui ont poussé le président Kuczinsky à accepter cette réunion bizarre (qui aurait dû au moins se tenir au Palais du gouvernement et non pas chez un cardinal), ont été très critiquées. Sa position « pragmatique » pour parvenir, selon ses mots, à un « modus vivendi avec le fujimorisme » est devenue simplement honteuse. Car, comme l'écrit le journaliste d'investigation Gustavo Gorriti [15], « la capacité de négociation des victimes et des soumis est minuscule. Pour négocier, il faut apprendre à affronter et à neutraliser le banditisme (en argot matonería). » On peut ainsi se demander combien de temps va attendre le président pour définir sa position et affronter le Congrès. À moins que ses atermoiements ne soient au fond qu'une manière de poursuivre sa stratégie de rapprochement avec un parti d'extrême droite qui, fort de la bénédiction d'un cardinal méprisé, défend toujours le régime du dictateur Alberto Fujimori, et qui conserve ses manières autoritaires, agressives et anti-démocratiques.

(6) Le président Kuczinsky, le cardinal Cipriani et Keiko Fujimori, le 19 décembre 2016, (La República)

LE SCANDALE D'ODEBRECHT AU PÉROU : UN GOUVERNEMENT EN DANGER

• En décembre 2016, on apprenait que l'entreprise brésilienne Odebrecht avait acheté des marchés publics pendant les gouvernements d'Alejandro Toledo (2000-2005), d'Alan García (2005-2010) et d'Ollanta Humala (2010-2016). Bien évidemment, cette corruption n'a pu que concerner la période du gouvernement d'Alberto Fujimori (1990-2000), au cours de laquelle le niveau de corruption a atteint des niveaux jamais enregistrés dans le pays, mais elle n'est pas encore incluse dans la vaste enquête judiciaire en cours.

L'affaire Oderbrecht est liée à la grande enquête policière et judiciaire de corruption menée autour du groupe pétrolier public Petrobas du Brésil, et connue sous le nom de « Lava Jato » [lavage express]. Cette affaire a commencé en 2014, et elle concerne la découverte d'un vaste réseau de blanchiment d'argent et de corruption impliquant Petrobras et plusieurs autres grandes entreprises, ainsi que des personnalités politiques en fonction. En échange de contrats, les entreprises devaient arroser des cadres et des élus. Les pots-de-vin étaient versés généralement en Suisse. L'affaire concernerait 3,5 milliards de dollars. Les directeurs des grandes entreprises brésiliennes (BTP, Odebrecht, OAS, IESA, Camargo Corrêa Construções…) ont été emprisonnés. Le patron d'Odebrecht, Marcelo Odebrecht, et plusieurs autres dirigeants ont été arrêtés en juin 2015. Il s'agit du plus grand groupe de construction du Brésil. L'ancien président Lula da Silva a tenté de le protéger en juin 2015, mais il a depuis été mis en examen également [16].

(7) Marcelo Oderbrecht [avec lunettes] est escorté par la Police fédérale à Curitiba, le 20 juin 2015 , (Le Temps du 24 août 2016)

En juillet 2015, la société Oderbrecht fut accusée d'avoir versé des pots-de-vin à Petrobras. Des comptes bancaires utilisés depuis décembre 2006 par Marcelo Oderbrecht commencèrent à être retrouvés en Suisse. En décembre 2015, le président de la chambre des députés du Brésil, Eduardo Cunha, lança une procédure de destitution contre la présidente Dilma Roussef, accusée d'avoir maquillé les comptes de l'État. Elle a été destituée le 31 août 2016. Peu avant, en février 2016, un ancien responsable d'Oderbrecht fut arrêté à Genève alors qu'il tentait de vider le contenu d'un compte bancaire. En mars 2016, le Ministère public de la Confédération suisse a annoncé l'ouverture de 60 enquêtes pénales, précisant que 800 millions de dollars avaient été débloqués et que la procédure concernait une quarantaine de banques. En avril 2016, la justice brésilienne a condamné Marcelo Oderbrecht à 19 ans et quatre mois de prison pour corruption, blanchiment d'argent et association criminelle.

— L'affaire Oderbrecht au Pérou

• En décembre 2016, le Département d'État des États-Unis informait le Pérou que la Corporation Odebrecht avait distribué des pots-de-vin estimés à 3,5 milliards de dollars dans 9 pays d'Amérique latine (Ecuador, Colombia, Argentina, Venezuela, Panama, Mexico, República Dominicana, Guatemala, Peru [17] ). Le fait que cette énorme affaire de corruption n'ait pas été évoquée dès 2015 reste mystérieux puisqu'à cette époque l'enquête avait déjà suffisamment progressé pour qu'on puisse donner l'alerte au Pérou et ailleurs.

En tout état de cause, 77 hauts-exécutifs, avec leur président Marcelo Odebrecht à leur tête, ont commencé à confesser leurs délits à l'intérieur et à l'extérieur du Brésil. Ils avaient passé un accord préalable avec le Ministère public fédéral du Brésil dans lequel ils s'engageaient à payer 2 000 millions de dollars sur 20 ans, au Brésil, à la Suisse et aux États-Unis. Il est probable que quelque 200 députés brésiliens soient liés au système de corruption mis en place par Odebrecht ; le président du Sénat, Renan Calheiros affronte déjà plusieurs enquêtes pour corruption. Il en va de même du président Temer et plusieurs de ses ministres. Jorge Barata, qui s'occupait de la filiale au Pérou, a été cité à comparaître (Caretas du 6 décembre 2016 [18] ).

(8) Le 4 août 2005 au Palais du gouvernement du président Toledo, signature de l'accord pour la construction de la Route Interocéanique entre José Graña Miro Quesada, qui transmet le stylo à Jorge Barata d'Odebrecht , (Caretas du 3 janvier 2017)

• En 2005, l'entreprise Odebrecht avait concouru à un marché public d'infrastructure au Pérou (la Route interocéanique sud) ; un employé fut contacté par un intermédiaire du gouvernement de Toledo qui offrit de faire gagner Odebrecht si celle-ci accordait des dessous-de-table en contrepartie. On estime qu'entre 2005 et 2008, Odebrecht a versé plus de 20 millions de dollars à travers des fonds non enregistrés de la « Division des opérations structurées », le département des pots-de-vin de l'entreprise brésilienne. À cette époque, le ministre de l'Économie n'était autre que le président actuel, Pedro Pablo Kuczinsky, mais on ignore encore s'il était associé à la corruption. La Route interocéanique sud devait initialement coûter 800 millions de dollars, mais en 2015 la somme était montée à 2 000 millions de dollars. Les révélations récentes de cet énorme scandale politique et financier ont été faites par le Département de Justice des États-Unis, et l'affaire a été mise sous la responsabilité du Procureur Andrew Weissmann. L'enquête concerne les États-Unis, le Brésil et la Suisse.

(9) Procureur Andrew Weissmann, (Caretas)

Six hauts fonctionnaires d'Odebrecht ont reconnu avoir versé des pots-de-vin pour un total estimé à 788 millions de dollars. Jusqu'à présent, on cite deux cas de corruption, le premier en 2005 pour un projet public d'infrastructure, et le second en 2008 [gouvernement de García] pour un projet de transport. L'ex-président Toledo est directement concerné avec un compte qui le relie à l'entreprise Ecoteva de Yosef Arie Maiman (israélo-péruvien proche de Toledo), et à la Route Interocéanique. En 2013, le scandale financier d'Ecoteva liant Maiman, Toledo et sa belle-mère — qui disposait d'un compte de 20 millions de dollars au Costa Rica— a été rendu public (Caretas du 3 janvier 2017 [19]).

• Le 21 décembre 2016, les journalistes de IDL-Reporteros [20] ont révélé que, selon les informations du Département de Justice des États-Unis, Odebrecht avait versé entre 2005 et 2014 près de 29 millions de dollars aux fonctionnaires péruviens pour s'assurer divers contrats de travaux publics. Ce faisant, Odebrecht a engrangé plus de 143 millions de dollars. En décembre 2009, Odebrecht a enlevé un marché valorisé en 410 millions de dollars au Pérou : il s'agit du Métro de Lima, dans le cadre du « Consortium Train électrique Lima » (Odebrecht et l'entreprise péruvienne Graña y Montero). De plus, entre 2005 et 2008, Odebrecht a réalisé trois grands travaux d'infrastructure au Pérou (IIRSA Norte, pour 258 millions de dollars ; IIRSA Sud Tramo pour 2, 263 millions de dollars ; et IIRSA Sur Tramo pour 3, 395 millions de dollars). Les sommes de la corruption de 29 millions de dollars destinées à des fonctionnaires péruviens ont transité par une banque aux Barbades, et une autre au Panama. Dans ces conditions, on peut se demander pourquoi le Pérou n'a pas réagi depuis au moins le mois de juin 2015, lors de l'arrestation du patron d'Oderbrecht, ou en avril 2016, au moment de sa condamnation ? On s'étonne que l'État péruvien ait choisi d'attendre l'alerte du Département de justice des États-Unis, en décembre 2016, pour ouvrir une enquête officielle.

Le président Kuczynski a rejeté le soupçon de sa participation dans les affaires de corruption durant son mandat comme Premier ministre (août 2005 et juillet 2006) et ministre de l'Économie de Toledo (2004- juillet 2005) [21] . En 2015, Kuczynski a déclaré qu'il était ouvert à toute enquête le concernant [22] . En octobre 2016, le Ministère Public a ordonné une enquête visant le président pour avoir signé l'accord avec Oderbrecht en 2005 pour la construction de deux tranches de la Route Interocéanique. Le dossier a été refermé pendant un temps par le procureur Andrés Montoya pour manque de preuves. Finalement, le 8 janvier 2017, le procureur Martín Salas a rouvert le dossier au motif que n'avait pas été éclaircie la raison pour laquelle l'ancien Premier ministre avait signé un contrat avec Oderbrecht alors que l'entreprise était impliquée dans cinq procès pour préjudices dans la construction du projet d'irrigation Chavimochic.

• Le 12 janvier 2017, le journaliste d'investigation Gustavo Gorriti [23] a établi que le dirigeant de Odebrecht au Pérou, Jorge Barata, a commencé à confesser ses actes de corruption en décembre 2016, d'abord à Brasilia, puis à Lima. Il est question de paiements effectués sous trois, peut-être cinq gouvernements péruviens. C'est énorme. Le Ministère Public péruvien a commencé ses enquêtes mais elles sont très lentes. On estime actuellement à 1 200 au moins les cas de corruption directe. Les autorités sont en train d'identifier les personnes corrompues en croisant des informations venues de Suisse, des États-Unis, du Pérou et du Brésil.

• Le 18 janvier 2017, Gorriti [24] suggère que les recherches relatives à cette affaire se concentrent sur deux périodes : les 15 dernières années du XXe siècle, et les 16 du présent siècle. La journaliste Melissa Pérez a montré récemment que Odebrecht a dispensé ses pots-de-vin au Pérou depuis 1988 (projets Charcani V et Chavimochic), c'est-à-dire lors du premier gouvernement de García. Cependant, le Projet Chavimochic avait donné lieu à un contrat établi avec Odebrecht, dirigé à l'époque par Sergio Luiz Neves. Or ce dernier a été appréhendé le 23 mars 2016 à Minas Gerais au cours de la phase d'investigation de l'affaire Lava Jato. On peut donc penser que Luiz Neves sera en mesure de renseigner tout ce dont Barata ne pourra répondre puisqu'il ne se trouvait pas encore au Pérou.

Le Consortium du Gasoducto Sur Peruano (Enagas, Odebrecht et Graña y Montero), avait récemment demandé au gouvernement d'attendre le 24 janvier pour qu'Odebrecht puisse réaliser la vente de sa participation de 55% (700 millions de dollars). Mais le président aurait refusé, soutenu par son Premier ministre et les ministres de l'Économie, Alfredo Thorne, et de l'Énergie et mines, Gonzalo Tamayo. Il est donc à peu près sûr que le projet sera annulé, et que le scandale d'Odebrecht ne permettra pas la croissance attendue de 4,8% pour 2017. Le gouvernement reste cependant hermétique sur les négociations concernant la vente des actions d'Odebrecht, ce qui constitue un mauvais signal. Enfin, les associés d'Odebrecht se trouvent dans une position très délicate. Enagas d'Espagne possède 25% des actions mais ne peut pas se désengager immédiatement, contraint par ses obligations ; sa situation financière lui permettra probablement de le faire plus tard. En revanche, l'entreprise péruvienne Graña y Montero en sortira probablement ruinée. On voit bien que le scandale politique et judiciaire d'Odebrecht concerne désormais le cœur de l'économie péruvienne (Caretas du 19 janvier 2017 Voir http://caretas.pe/politica/77961-muito_pesada).

Le Procureur de la nation, Pablo Sanchez, est chargé de l'affaire. Il a été élu en juillet 2015, sous la présidence d'Ollanta Humala, pour une période de trois ans, avec le soutien de l'Institut de défense légale (IDL) et des ONG anti-corruption, à la suite de la destitution de son prédécesseur Carlos Ramos Heredia, accusé de corruption. Il a promis de restructurer l'institution de fond en comble après des décennies de mauvaise gestion. Le Ministère Public a commencé à s'occuper du cas Odebrecht en novembre 2016, et le magistrat Hamilton Castro a été nommé responsable du dossier. Au cours de son voyage au Brésil, le Procureur de la nation a établi de solides relations de coopération avec les autorités brésiliennes afin de faire la lumière dans le volet Oderbrecht qui relève du dossier brésilien Lava Jato.

(10) Le Procureur Pablo Sanchez et son homologue brésilien Rodrigo Janot, le 13 janvier 2017 (Andina)

Dans cette situation, un sondage publié le 15 janvier dernier par IPSOS estime que 94% de la population informée des affaires en cours est convaincue que la corruption doit être associée au gouvernement de Toledo dont faisait partie le président Kuczynski. Et que cette corruption a affecté l'ensemble des gouvernements de ces 30 dernières années. Rappelons que les premières opérations d'Oderbrecht au Pérou datent de 1979. Le Ministère Public actuel a signé un accord avec l'entreprise brésilienne qui stipule que celle-ci remboursera 8,9 millions de dollars des gains illicites, et apportera des informations sur les fonctionnaires concernés par les pots-de-vin. Malgré cela, le sondage IPSOS montre que 68% des sondés se méfient du Pouvoir judiciaire, et 57% du Ministère public. Autant de faits qui contribuent à la perte d'acceptation du président, actuellement estimée à 43% ; sa cote était déjà descendue en septembre, lorsque l'un de ses proches conseillers, Carlos Moreno, fut accusé de corruption [25] .

— La situation en Amérique latine

Depuis les révélations du département d'État nord-américain, le 21 décembre 2016, 10 pays latino-américains se trouvent impliqués dans l'affaire de corruption de l'entreprise Odebrecht, ainsi que deux pays d'Afrique (l'Angola et le Mozambique). En dehors du Pérou et du Mexique, il s'agit de l'Argentine (la famille Kirchner est compromise, ainsi que le président actuel Mauricio Macri) ; de la Colombie (l'ancien ministre des Transports du gouvernement d'Alvaro Uribe a été arrêté) ; de l'Équateur (le président Correa avance lui-même qu'Odebrecht aurait distribué plus de 35,5 millions de dollars aux fonctionnaires entre 2007 et 2016) ; du Guatemala (plusieurs plaintes en cours) ; du Mexique (la corruption y serait associée à Petroleos Mexicanos). Citons encore le Panama (le gouvernement a arrêté les affaires d'Odebrecht et il a ouvert une vaste enquête) ; la République dominicaine (Odebrecht a offert de verser 184 millions de dollars de compensation) ; le Venezuela (le Congrès a ouvert une enquête et accuse le gouvernement de Maduro de faire le silence sur la corruption des fonctionnaires). Au Brésil, le juge Teori Zavascki, responsable de l'enquête Lava Jato, est décédé dans un accident d'avion le 19 janvier ; il devait analyser 77 déclarations des anciens fonctionnaires d'Odebrecht. L'un d'entre eux a déjà accusé le président Temer d'avoir reçu de l'argent d'Odebrecht pour financer ses campagnes électorales. (RPP Noticias, http://rpp.pe/mundo/latinoamerica/odebrecht-en-america-latina-como-va-la-investigacion-en-cada-pais-noticia-1025970).

— Le rapport sur la corruption mondiale de Transparency International du 25 janvier 2017 : le poids du populisme et des inégalités

Publié le 25 janvier dernier, le dernier rapport de Transparency International [26] , ONG basée à Berlin, est très édifiant sur le fait que, s'il est vrai que la corruption concerne tous les pays du monde, elle représente un frein structurel majeur pour les pays émergents : Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, avec le Brésil à leur tête, qui occupe la 79e place sur 176 pays. La cause principale reste le scandale du géant pétrolier Petrobras. L'opération Lava Jato a révélé le détournement de 2,5 milliards d'euros, entraînant une perte pour l'économie brésilienne de 2,5 points de PIB en 2015 ; des dizaines de milliers d'emplois ont également été perdus [27] .

(11) La corruption aux Amériques [en jaune : 9-21, en orange : 40, en rouge : +30], Rapport Transparency International

176 pays ont été analysés en fonction d'une échelle allant de 0 (hautement corrompu) à 100 (très propre). Les scores les plus bas correspondent à un haut niveau de corruption dans la vie quotidienne (la Somalie occupe la dernière place, 176e, avec 10 points de score) ; la grande majorité des pays du monde ont un score de corruption élevé (à partir de 30 et jusqu'à 43), ce qui implique la collusion de la corruption entre les secteurs privés et les États. Ce haut niveau de corruption profite aux élites au détriment des majorités, empêche le développement durable et favorise la violation des droits humains et l'exclusion.

L'incapacité des autorités à endiguer la corruption, voire leur complicité avec les réseaux clientélistes, sont qualifiées de centrales dans le développement du populisme ; car elles donnent le sentiment aux citoyens ordinaires que des leaders « populaires » pourront mettre fin au cercle vicieux de la corruption et des privilèges, et réduire les inégalités. Alors qu'en réalité ces chefs populistes travaillent à exacerber les tensions et les conflits sociaux [28]. L'année 2016 a cependant été une bonne année pour la lutte anti-corruption aux Amériques, notamment grâce aux opérations des « Panama Papers » en avril, et la découverte du détournement de 3,5 milliards de dollars par Oderbrecht au Brésil en décembre ; mais il reste beaucoup à faire, notamment en matière d'indépendance réelle de la justice pour empêcher l'impunité des responsables de corruption [29].

Selon le dernier classement de l'ONG, le Pérou se situe malheureusement à la 101e place, avec un score de 35 points (il était de 38 en 2012). Les pays latino-américains les moins corrompus sont l'Uruguay (21e), le Chili (24e), et deux pays se trouvent en meilleure position que le Pérou ; il s'agit de la Colombie (90e) et de l'Argentine (95e), alors que d'autres se placent au-dessous : le Mexique (123e), le Guatemala (136e) et le Venezuela (166e).

LES DROITS HUMAINS : VIOLENCE CONTRE LES FEMMES, JUSTICE POUR LES VICTIMES DE LA GUERRE INTERNE, PERMANENCE DES SENDERISTES, ET UN DÉFENSEUR DU PEUPLE INDIGNE

— Marche contre la violence faite aux femmes

Les chiffres de femmes assassinées par leurs conjoints n'ont cessé d'augmenter au Pérou, comme ailleurs en Amérique latine. Le ministère de la Femme et des populations vulnérables estime qu'au cours des 7 dernières années, 921 femmes ont été victimes de la violence extrême des hommes. Entre 2009 et 2016, la majorité des cas ont été enregistrés à Lima (570 victimes), puis Arequipa (120 victimes) et la région de Junín (103 victimes). La grande majorité de femmes tuées sont adultes (89%), suivies des fillettes et adolescentes (10%) et mères en état de grossesse (5%). Depuis la promulgation de la loi contre les féminicides de 2011, les dénonciations de violences verbales, des coups et blessures, et de tentatives de meurtre ont triplé sur le plan national. On estime que 20 personnes sont agressées par jour au Pérou, et on enregistre une tentative de meurtre de femmes et/ou de fillettes au Pérou [30] toutes les 48 heures.

• En juillet 2016, l'assassinat de trois femmes à Trujillo et la fermeture du dossier des stérilisations forcées organisées par le dictateur Alberto Fujimori ont motivé l'organisation d'une grande marche nationale sous la consigne : « #Ni una menos » [Pas une de moins] pour le 13 août 2016. Cette initiative citoyenne a été soutenue par la Coordinadora nacional de derechos humanos et par la grande majorité de personnalités politiques, des arts et des lettres. Les organisateurs ont dénoncé en particulier le Pouvoir judiciaire, responsable de la fermeture du dossier des stérilisations et du dédain face aux dénonciations des violences faites aux femmes en général. A cette occasion, le président Kuczynski a déclaré soutenir le mariage pour tous et l'égalité des genres en général ; mais on lui demande de concrétiser ces prises de position en incluant la violence contre les femmes dans son programme d'insécurité citoyenne et de lutte contre la criminalité, en nette augmentation depuis une dizaine d'années [31] . La ministre de la Justice, Marisol Pérez Tello, a déclaré que cette marche marque un « avant et un après » dans l'histoire du pays « de la part des femmes qui ne sont plus disposées à supporter la violence dans un cadre de totale impunité [32]. »

— Ouverture du registre des personnes disparues pendant la guerre interne

• En août 2016, dans le cadre du 13e anniversaire du Rapport final de la Commission de la vérité et la réconciliation, la ministre de la Justice, Marisol Pérez Tello, a demandé pardon au nom de l'État aux proches des victimes de la violence. Elle a ajouté que l'État avait commis une grave erreur en n'accompagnant pas les procès de réparation aux victimes et la recherche des personnes disparues. « Il faut demander pardon pour l'oubli, pour l'indifférence, pour l'abandon jusqu'à ce que tout cela fasse partie de l'histoire. » La ministre a cité les deux actes étatiques déjà réalisés, la Loi des réparations de 2006, par le gouvernement de García ; et la Loi de recherche des personnes disparues de juin 2016, par le gouvernement de Humala. Elle a annoncé également l'ouverture du Registre national des personnes disparues. Le Registre national de victimes de la guerre interne sera rouvert pour indemniser en particulier les familles qui ont perdu plus d'un proche durant la période 1980-2000 (La República du 26 août 2016 [33]).

Le Plan national de recherche des personnes disparues, estimées à 15 000 personnes, a été adopté le 25 décembre 2016. En janvier 2017, les Lois de transparence et d'Accès à l'information publique ont été édictées dans le cadre de la lutte contre la corruption.

• En août 2016, la ministre de la Justice, Marisol Pérez Tello, a déclaré le système pénitentiaire péruvien en état d'urgence. Les prisons sont en effet surpeuplées, notamment depuis cinq ans. Alors qu'on recensait 48 789 détenus en 2011, le chiffre avait doublé en juillet 2016. Sur quelque 80 000 prisonniers, 6% souffrent de tuberculose. Parmi les nouvelles mesures à adopter, la ministre a annoncé que les prisonniers étrangers seront renvoyés dans leurs pays ; des nouvelles prisons seront construites sur le plan national [34].

• En décembre 2016, Marisol Pérez Tello, a participé à la 159e session de la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH), rappelant les principales actions de son ministère, notamment la consolidation du Registre des victimes des stérilisations forcées [35] .

(12) Marisol Pérez Tello, Ministre de la Justice et des droits humains

— Un mausolée senderiste près de Lima

• Le 23 septembre 2016, les média ont diffusé une vidéo enregistrée le 19 juin dans un lieu de Comas, banlieue populaire du nord-est de Lima, où l'on voyait des centaines de personnes célébrant une étrange cérémonie dans un mausolée avec environ 50 tombeaux où l'on a enterré 8 militants du Parti communiste du Pérou-Sentier Lumineux. Une autre cérémonie a eu lieu le 7 août. Il s'agissait d'un hommage rendu aux morts mutinés du PCP-SL en juin 1986, dans trois prisons. On a appris également qu'un espace spécialement séparé était aménagé pour recevoir les corps d'Abimael Guzmán et d'Elena Iparraguirre, « camarada Myriam », ancienne numéro deux du Sentier Lumineux, devenue l'épouse de Guzmán. Au cours de la cérémonie, les proches des senderistes et d'autres militants ont réclamé l'amnistie générale des « prisonniers politiques », une « réconciliation nationale », et ont accusé l'État du « génocide de la prison El Frontón, Lurigancho et Callao » [plus de deux cents prisonniers qui s'étaient mutinés furent tués par les forces armées en juin 1986] (El Comercio du 23 septembre [36]).

(13) Mausolée senderiste à Comas (La República du 27 septembre 2016)

Le président a déclaré que « le mausolée devra disparaître après qu'on aura retiré les corps du lieu ». Il ajouta « qu'il a dû y avoir une erreur administrative quelque part pour que l'autorisation fût donnée. » Le Procureur anti-terroriste Milko Ruiz rendit publique une plainte pour apologie du terrorisme. Le maire de Comas présenta ses excuses publiques, affirmant qu'il avait autorisé la construction de 8 tombeaux, non pas d'une cinquantaine. En novembre, le ministre de l'Intérieur, Carlos Basombrío, a déclaré que ce mausolée représentait une offense pour les victimes du terrorisme et il a offert son soutien pour démolir la construction (Perú 21 du 1er novembre 2016).

Certains représentants du parti de gauche (légale) Frente amplio (Edilberto Curro et Maria Elena Foronda) se sont prononcés contre la destruction du mausolée senderiste, arguant que les proches des morts avaient le droit de le construire. Ce type de position contribue à l'amalgame entre les partis de gauche légale et le groupe terroriste Sentier Lumineux. De leur côté, le MOVADEF (Movimiento por la amnistia y los derechos fundamentales), organisation de façade senderiste, qui a échoué dans ses tentatives de se faire reconnaître comme parti politique, a rejeté les déclarations du président et des autorités, défendant le « droit des proches et des militants du PCP-SL à construire un mausolée. » Enfin, l'avocat d'Abimael Guzmán, Alfredo Crespo, a affirmé son soutien aux proches des senderistes [37]. Finalement il semble bien que le mausolée n'a pas été détruit. Les implications de cette « découverte » n'ont pas été explicitées au Pérou, alors que l'existence de ce type d'« œuvre » proche du culte des morts des communistes traduit bien la prégnance de l'idéologie mortifère du Sentier Lumineux, surtout chez les jeunes qui préfèrent ne rien connaître des événements de la guerre interne. Une guerre qui dans les zones qui étaient au cœur du conflit (Ayacucho, Apurímac, Huancavelica, Junín), peut être nommée guerre civile, comme je tente de le montrer dans mon livre Violence politique au Pérou, 1980-2000. Sentier Lumineux contre l'État et la société (Paris, L'Harmattan 2016 [38]).

(14) Violence politique au Pérou, M. Villasante, 2016

— La mémoire de la guerre interne

La mémoire de la guerre interne au Pérou reste très ténue et, comme par le passé, elle ne fait pas partie des priorités du gouvernement actuel. Un cinéaste espagnol qui a réalisé deux films (« Las huellas de Sendero », « Te saludan Los Cabitos ») sur la guerre montre bien la méconnaissance de cette période sombre, y compris à Ayacucho [39]. L'écrivain Alonso Cueto évoque dans deux de ses romans (La Hora azul, La pasajera) la peur que nous Péruviens avons de regarder nos propres blessures et de parler de nos défauts [40].

On doit citer néanmoins la béatification, ordonnée par le Pape François en décembre 2015, de deux prêtres franciscains d'origine polonaise, Miguel Tomaszek et Zbigniew Strzalkowki, et d'un prêtre italien, Alessandro Dordi, assassinés par le PCP-SL en 1991. La cause de la béatification avait été présentée par l'évêque de Chimbote, Luis Bambarén, proche des milieux progressistes de l'Église péruvienne [41] . En février 2016, le photographe nord-américain Jonathan Moeller a présenté à l'Université San Marcos une exposition consacrée à la guerre, « El pasado es hoy », avec des clichés pris durant les années 1980 et 1990 ; une partie est restée au Musée d'art de Lima [42].

• En juillet 2016, un documentaire intitulé « El pecado social » a été présenté sur Facebook, qui aborde le thème des violences contre les homosexuels durant le conflit armé interne. Des témoignages des victimes sont ainsi présentés pour la première fois, et rappellent le conservatisme et l'homophobie qui a empêché leur prise de parole [43].

— Quelques faits judiciaires et de violence politique

Examinons rapidement les principaux faits judiciaires et de violence politique des derniers mois. Ils ne sont pas exhaustifs.

• En mars 2016, Sendero Luminoso a déployé une intense campagne contre les élections en préparation dans la région en état d'urgence du VRAEM. Le parti de gauche Frente amplio était aussi attaqué [44].

• En mars 2016, le ministère de la Justice a rendu les corps de 50 personnes (femmes, enfants et hommes), assassinés dans la communauté de Ccano (Huanta, Ayacucho) et enterrés dans une fosse commune, après qu'ils ont été dûment identifiés [45].

(15) Restes rendus à la communauté de Ccano, Ayacucho

• En abril 2016, une embuscade dans le VRAEM s'est soldée par la mort de 8 militaires et de 2 civils. Eleachín Huamán León, alias Julio Pukañahui, a été identifié comme le nouveau chef terroriste de la zone [46].
Julio Pukañahui (La República)

• En avril, le pouvoir Judiciaire a ouvert le procès des dirigeants de MOVADEF Alfredo Crespo, Manuel Fajardo et Oswaldo Caycho Esquivel, pour apologie du terrorisme. Le 1er mai, des militants de ce groupe terroriste ont défilé dans le centre-ville de Lima.

• Le 6 mai, la Justice a rejeté la demande d'Elena Iparraguirre, épouse de Guzmán, de transférer celui-ci de la Base navale du Callao, une prison de haute sécurité, vers une prison ordinaire.

• Le 20 mai, le terroriste Alejandro Auqui López, alias camarada Abel, a été tué lors d'un affrontement avec les forces armées dans la localité de Virgen Ccaja [47] (Llochegua, Huanta, Ayacucho).

• Le 29 juin, Ancelmo Villanueva Gómez, camarada José, l'un des chefs terroristes responsables de la mort de 31 policiers est tombé aux mains de la police dans la zone de Cruz Baja (Chepén, La Libertad). L'ordre de capture datait de 1994.

• Le 1er juillet, on apprenait que le procès contre 9 membres des milices civiles (ronderos) de Satipo (Junin) et d'un officiel de la Police nationale était sur le point de se terminer. Elizabeth Malpica a témoigné devant des juges de Lima à propos du massacre de 15 personnes de sa famille le 27 mars 1990 [48] . Le cas a été enregistré dans le Rapport final de la CVR ; le massacre eut lieu dans la communauté de Sanibeni (Pangoa, Satipo), et les exécuteurs étaient des miliciens Ashaninka.

• Le 16 juillet 2016, le pays a commémoré le 24e anniversaire de l'attentat de la rue Tarata, qui a fait 25 morts et plus de 250 blessés, le plus important jamais enregistré à Lima. L'attaque fut dirigée par Carlos Mora, camarada Daniel, qui purge une peine de prison de 25 ans.

— Le nouveau Defensor del pueblo : indigne de sa nomination

• En septembre 2016, le Parlement a décidé d'élire le nouveau Defensor del Pueblo qui doit remplacer dans ses hautes fonctions le Dr Eduardo Vega, en poste depuis 2011 pour une période de cinq ans. Vega avait été écarté de la liste de candidats en août 2016, ce qu'on comprend sans peine dans la mesure où la commission chargée de proposer les candidats au Parlement est massivement occupée par les fujimoristes de Fuerza Popular, contraires à l'idée d'accorder la priorité politique aux droits humains.

L'élection s'est déroulée sans aucun débat et de manière précipitée. L'avocat Walter Gutierrez a été élu avec 94 voix pour, 27 voix contre, et 6 abstentions. Le candidat était présenté par Action Populaire (droite) et soutenu par l'APRA ; en fait, il a remporté l'élection grâce au parti Fuerza Popular, fort de 73 sièges au Parlement sur un total de 130. Le Défenseur adjoint, l'avocat Samuel Abad, était soutenu par le parti de gauche Frente amplio ; et le troisième candidat, Enrique Mendoza, ex-président du pouvoir judiciaire et du Jury national d'élections, était soutenu par Alianza para el progreso (droite). Le parti au pouvoir, Peruanos por el Kambio possède bien 18 sièges, mais ils n'ont apparemment pas pu se mettre d'accord sur leur soutien à Abad ou à Gutierrez [49].

Les congressistes de Frente amplio ont dénoncé la manière précipitée de cette élection et ils ont insisté sur le manque de transparence de l'affaire ; Marisa Glave, la porte-parole du parti, a déclaré qu'ils refusaient d'accorder leur soutien à Gutierrez en raison de son manque d'autonomie face aux partis politiques, rappelant qu'il avait tenté d'exonérer le gouvernement d'Alan García de son responsabilité dans un cas de bavure policière qui avait fait 22 morts [le « Baguazo »]. Glave a rendu hommage à l'ancien Défenseur, Eduardo Vega, qui a affronté une période difficile pour la défense des droits citoyens, et qui a montré sa grande capacité d'autonomie politique, un élément central de cette haute fonction de l'État [50].

Le nouveau Defensor del Pueblo n'a pas tardé à confirmer qu'il n'était pas digne du haut poste qui lui a été confié. Dès le mois de septembre, un journal local [Hildebrandt en sus trece] a dénoncé qu'il avait acquis une maison en s'engageant à payer une dette d'hypothèque de 850 mille dollars. Gutierrez a d'abord nié le fait, accusant la presse de malhonnêteté, avant de reconnaître la vérité plus tard.

Lors de son discours pour le 20e anniversaire de la Defensoría del Pueblo, Walter Gutierrez déclara qu'il allait travailler de concert avec le Congrès, saluant la présence de sa présidente Luz Salgado ; et que la Defensoría devrait être transformée car le contexte actuel est bien différent de celui qui prévalait auparavant [en 1993] [51]. De bien étranges propos en vérité car, loin d'être une entreprise, l'institution de l'État dépend du Conseil des ministres et du Congrès, et elle reste soumise à un cahier de charges très précis qu'on ne peut pas « transformer ».

• Le 6 décembre, Walter Gutierrez s'est trouvé malmené devant les commissions de Constitution et de Justice du Congrès, alors qu'il devait présenter le Rapport 2015 de la Defensoría del Pueblo. Il n'avait en fait rien préparé et prétendait que le rapport soit approuvé sans qu'il soit besoin de le présenter, centrant son discours sur les « nouvelles lignes » de l'institution. On lui accorda finalement une nouvelle date de présentation [52].

• Le 21 décembre, les travailleurs de la Defensoría del Pueblo ont effectué une manifestation de protestation contre la mauvaise gestion de Gutierrez qui prétendait, sans aucun préavis, réduire drastiquement le personnel. Il a été accusé d'avoir embauché des conseillers sans passer par les concours publics habituels, et d'avoir rejeté de manière arrogante les demandes de dialogue avec le syndicat de l'institution. Les protestations se sont déroulées au siège de Lima, mais aussi dans plusieurs villes du pays [53] (San Martin, Tumbes, Cajamarca, Tarapoto, Loreto, Jaén Huancavelica, Arequipa, Puno, Cusco). Deux jours plus tard, le 23 décembre, une autre protestation massive dénonça le renvoi de plusieurs travailleurs en représailles aux marches nationales.

(17) Planton des travailleurs de la Defensoría del Pueblo

• Le 23 décembre, l'ancien Defensor, Eduardo Vega, s'est senti obligé de critiquer la nouvelle administration, affirmant qu'il était indigne d'exercer des représailles contre des travailleurs qui manifestent de manière pacifique pour la défense de leurs droits au travail. Cela « disqualifie moralement ceux qui dirigent l'institution » ajouta-t-il [54] .

Gutierrez a fait marche arrière et a accepté le dialogue avec le syndicat des travailleurs, mais ceux-ci se sont plaints car il n'a accepté de rencontrer que le secrétaire général, et non pas l'ensemble du personnel du siège de Lima, comme cela se pratiquait avec les anciens Défenseurs [55] . A la fin décembre, Gutierrez a annoncé que les contrats CDD de 40 travailleurs ne seraient pas renouvelés, suscitant une nouvelle vague de protestations.

• Le 5 janvier 2017, Amerigo Incalcaterra, responsable du Bureau des droits humains des Nations Unies pour l'Amérique du Sud, a publié une déclaration dans laquelle il se dit préoccupé pour la situation de la Defensoría del Pueblo péruvienne. Un bureau qui « depuis sa création il y a 20 ans, jouit d'une grande légitimité au niveau régional et international ». Il a lancé un appel à Gutierrez pour « maintenir les canaux de communication ouverts » et demander le budget nécessaire à l'État pour que la Defensoría continue à fonctionner de manière correcte, en protégeant les droits humains des Péruviens [56].

(18) L'ancien Defensor, Eduardo Vega (IDEHPUCP)

De fait, il est réellement navrant que cette institution, qui était la seule à garantir l'autonomie politique pour la défense des droits humains des Péruviens, soit tombée entre les mains d'un personnage indigne, arrogant et agressif, soutenu par les forces politiques les plus rétrogrades du pays. Pourra-t-il rester longtemps à ce poste ?

— 28e Anniversaire de la Police nationale : le président appelle à l'impunité

• Le 6 décembre 2016, la Police nationale du Pérou fêtait son 28e anniversaire d'unification. À cette occasion, le président Kuczynski a rendu un hommage appuyé au travail des forces de police dans leur lutte contre la délinquance et contre les séquelles du terrorisme dans la région amazonienne du VRAEM (Vallée des fleuves Apurímac, Ene et Mantaro). Il a lancé un appel aux autorités judiciaires pour que les délinquants ne soient pas libérés dès le lendemain de leur arrestation ; et il a ajouté un étrange appel pour que se terminent les procès en cours contre les agents de police et les soldats des forces armées « qui ont réalisé un immense effort contre le terrorisme. » Plus précisément : « il est inadmissible que [ces procès soient poursuivis], nous devons en finir, tourner la page, devenir un État tolérant, paisible, qui rend hommage à ses serviteurs et ne les punit pas [57]. »

(19) Le président Kuczynski accompagné du ministre de l'Intérieur, Carlos Basombrío et du directeur de la Police nationale, le général Vicente Romero Fernandez (peruanosnews.com)

• Le 8 décembre 2016, la Coordinadora nacional de derechos humanos a publié une réponse aux déclarations du président faites lors de l'anniversaire de la Police nationale, sous le titre « La justice est le seul chemin vers la réconciliation [58] ». Elle a déploré l'appel à l'impunité des violations des droits humains commises par des membres des Forces armées et par la Police depuis le début du conflit armé interne jusqu'à aujourd'hui. Le texte rappelle que la majorité des cas soumis au Ministère public et au Pouvoir judiciaire restent en attente parce que les ministères de la Défense et de l'Intérieur se refusent systématiquement à fournir les informations réclamées par le système judiciaire. Au bout du compte, on voit bien que c'est le pouvoir exécutif dirigé par le président qui nie à des milliers de Péruviens l'accès à la vérité.

Cette situation est d'autant plus grave que l'État finance la défense des accusés des crimes, alors que 90% des victimes de torture, des violations sexuelles et autres violations des droits humains n'ont pas de défense légale assurée. En conséquence, la demande du président est contraire aux obligations nationales et internationales de l'État en matière des droits humains ; elle va même jusqu'à méconnaître l'engagement signé le 30 mai 2016 par le candidat Pedro Pablo Kuczynski avec les proches des victimes, pour créer une Procuraduría spécialisée dans les droits humains susceptible de s'occuper des enquêtes et des sanctions des crimes rapportés dans le Rapport final de la Commission de vérité et réconciliation. L'appel de la Coordinadora se termine par une demande formelle au président de respecter la dignité des milliers des victimes qui ont souffert de la violence de l'État, de présenter des excuses publiques pour ses déclarations, et d'ordonner aux ministères de la Défense et de l'Intérieur de présenter les informations indispensables aux instances judiciaires pour la résolution des cas en suspens depuis trente ans. Le silence du président sur cette grave erreur politique traduit le peu d'intérêt que lui, et certains de ses ministres, accordent au règlement des violations des droits humains au Pérou.

RÉFLEXIONS FINALES

• La situation politique actuelle est dominée par le scandale de corruption d'Oderbrecht dont on commence seulement à connaître les implications. Il faudra s'interroger sur la raison de cette information si tardive, en décembre 2016, par l'intermédiaire du Département d'État nord-américain, alors que l'entreprise Oderbrecht était déjà tombée dans les mains des justices brésilienne et suisse en 2015. Le président et ses ministres déclarent que justice sera faite et que les coupables seront démasqués et mis en examen. Mais deux questions graves restent en suspens : d'abord le niveau d'implication du président Kuczynski dans la corruption lorsqu'il était ministre de Toledo ; et d'autre part l'implication des fonctionnaires étatiques et des civils dans la corruption au cours du mandat de Fujimori (1990-2000). Personne ne veut évoquer l'éventualité d'une destitution du président, comme celle de Dilma Roussef au Brésil. Mais la possibilité est réelle.

Quant à Fujimori, nous savons que la corruption étatique formait la pierre angulaire de tout son régime, et que c'est la découverte en novembre 2000 des « vladivideos » — c'est-à-dire des vidéos enregistrées par son bras droit Montesinos alors qu'il achetait des personnalités politiques, militaires et civiles —, qui a entraîné la chute de son régime. Mais il reste à connaître les pratiques d'Oderbrecht durant son mandat. En effet, cette entreprise a commencé à travailler au Pérou à partir de 1979, et Fujimori a signé des contrats avec elle. Pour des raisons évidentes, les membres du Congrès à majorité fujimoriste se refusent jusqu'à présent à inclure la période de gouvernement de Fujimori dans l'enquête officielle. Mais leurs manœuvres dilatoires peuvent-elles durer longtemps ? Si la corruption est démontrée, alors c'est le Congrès tout entier qui devra être changé…

• Les mises en examen ont déjà commencé. Le 6 janvier 2017, le Bureau du Procureur anti-corruption a demandé au Ministère Public de convoquer 68 ex-fonctionnaires en qualité de témoins, à propos de la concession d'au moins 19 travaux publics à Oderbrecht entre 2005 et 2014.

La liste concerne trois anciens présidents (Toledo, García et Humala), 15 anciens ministres, dont le président Kuczynski, responsable de la signature d'un contrat de 395 millions de dollars pour le secteur 3 de la Route Interocéanique.

En 2005, sept ministres participaient à la réunion où a été prise la décision d'attribuer le marché de la Route Interocéanique à Oderbrecht alors que l'entreprise était interdite de contrats avec l'État péruvien en raison des procès dont elle faisait l'objet [59]. Parmi les fonctionnaires du gouvernement de García, a été convoquée, entre autres, la sœur du Premier ministre actuel, Veronika Zavala. Huit anciens gouverneurs des régions, et l'ancienne maire de Lima Susana Villarán ont pareillement été convoqués, de même que le porte-parole du parti au pouvoir, Carlos Bruce. Cette liste initiale sera étendue en fonction des avancées de l'enquête. Parmi les personnes étrangères qui seront examinées se trouvent Marcelo Oderbrecht [en prison], le représentant de l'entreprise au Pérou, Jorge Barata, un autre fonctionnaire qui blanchissait l'argent, Gonzalo Monteverde, et quatre entreprises brésiliennes et panaméennes. Tous les biens meubles et immeubles d'Oderbrecht au Pérou ont été placés sous scellés.

Le premier fonctionnaire corrompu est déjà en prison depuis le 20 janvier. Il s'agit d'Edwin Luyo Barrientos, président du Comité de la Ligne 1 du Train électrique de Lima, signé avec Oderbrecht en 2009, pendant le gouvernement de García. L'ex-vice-ministre des Télécommunications, Jorge Cuba Hidalgo, qui avait reçu avec Luyo une partie des 8 millions de dollars versés par Oderbrecht pour gagner ce marché, se trouve actuellement en fuite, soumis à un mandat d'amener.

Le 25 janvier, un conseiller du gouvernement d'Alan García, Miguel Angel Navarro Portugal, a été arrêté. Trois autres personnes du gouvernement apriste sont recherchées : Mariella Huerta Minaya, et Jessica Tejada Guzmán (Servindi du 25 janvier).

(20) Fonctionnaires qui ont été convoquées par le Ministère Public (La República du 21 janvier 2017)

Enfin, l'ancien président Ollanta Humala est interdit de sortie du pays, tout comme son épouse Nadine Heredia, depuis octobre 2016 ; ils ont été déjà cités à comparaître pour répondre sur le Gasoducto Sur, signé en 2014 avec Oderbrecht [60] .

Dès le mois d'août 2016, Nadine Heredia a été accusée par le ministre de l'Économie actuel, Alfredo Thorne, ainsi que par plusieurs congressistes de Fuerza Popular, d'usurpation de fonctions dans le gouvernement de son époux, alors qu'elle n'était pas élue, et d'avoir touché des pots-de-vin, en particulier au ministère de l'Économie. Elle et l'ancien président Humala sont également accusés d'avoir bénéficié de financements non déclarés pour les campagnes aux élections de 2006 et de 2001, en particulier d'Hugo Chavez. C'était l'affaire dite des « agendas de Nadine » dans lesquelles elle notait les sommes reçues. Finalement Humala a endossé la responsabilité de ces agendas. En novembre 2016, Heredia a annoncé avoir été embauchée par la FAO au siège de Genève où elle a réalisé un court séjour avant de rentrer à la demande du Ministère Public. Actuellement, Heredia et Humala doivent demander une autorisation pour sortir du pays, ce qui semble assez difficile en raison des enquêtes en cours. Alan García nie toute participation dans la corruption d'Oderbrecht. Quant à Alejandro Toledo, il se trouve à San Francisco (États-Unis), mais il a déclaré être prêt à rentrer lorsqu'il sera convoqué.

Les mois prochains s'annoncent riches en informations de toutes sortes et en rebondissements les plus divers…

***


[1] Voir ma note Lección final de la elección en el Perú : triunfo del populismo de derecha, le 10 juin 2016 http://www.ameriquelatine.msh-paris.fr/spip.php ?article874 Voir aussi Lecciones de la primera vuelta de las elecciones en el Perú. Divulgar la historia del período de violencia y los crímenes del régimen fujimorista, academia.edu 12 avril 2016 [http://www.ameriquelatine.msh-paris.fr/spip.php ?article873->http://www.ameriquelatine.msh-paris.fr/spip.php ?article873

[2] Voir l'article de El País http://internacional.elpais.com[[[/internacional/2017/01/12/america/1484177203_902287.html->/internacional/2017/01/12/america/1484177203_902287.html

[3] Voir [http://www.ladepeche.fr/article/2016/11/18/2461140-commerce-chine-force-sommet-apec-apres-election-trump.html->http://www.ladepeche.fr/article/2016/11/18/2461140-commerce-chine-force-sommet-apec-apres-election-trump.html

[4] Lire son entretien ici : [https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2016/11/20/press-conference-president-obama-lima-peru->https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2016/11/20/press-conference-president-obama-lima-peru

[5] Voir le communiqué : http://puntoedu.pucp.edu.pe/noticias/barack-obama-visita-la-pucp/ et voir aussi la vidéo : [https://youtu.be/_Ls0vSB5ZEU->https://youtu.be/_Ls0vSB5ZEU

[6] Voir les déclarations du ministre : [http://larepublica.pe/politica/825597-saavedra-queremos-que-nuestros-chicos-interioricen-la-igualdad-de-genero->http://larepublica.pe/politica/825597-saavedra-queremos-que-nuestros-chicos-interioricen-la-igualdad-de-genero

[7] Voir [http://larepublica.pe/impresa/politica/828401-el-peru-presenta-mejoras-en-pisa-2015-pero-aun-sigue-en-la-cola->http://larepublica.pe/impresa/politica/828401-el-peru-presenta-mejoras-en-pisa-2015-pero-aun-sigue-en-la-cola

[8] Voir l'entretien de Ricardo Cuenca, directeur de l'Institut d'études péruviennes : [http://larepublica.pe/impresa/politica/828723-ppk-debio-sentarse-hacer-politica-con-sus-opositores->http://larepublica.pe/impresa/politica/828723-ppk-debio-sentarse-hacer-politica-con-sus-opositores

[9] Voir l'article d'Augusto Alvarez : [http://larepublica.pe/impresa/opinion/824827-congreso-corrupto-y-mediocre->http://larepublica.pe/impresa/opinion/824827-congreso-corrupto-y-mediocre

[10] Voir son entretien [http://larepublica.pe/impresa/politica/830693-el-entorno-presidencial-es-de-pusilanimes-no-se-atreven-pelear->http://larepublica.pe/impresa/politica/830693-el-entorno-presidencial-es-de-pusilanimes-no-se-atreven-pelear

[11] Voir [http://larepublica.pe/politica/840463-suecia-destacan-jaime-saavedra-entre-los-principales-economistas-del-mundo->http://larepublica.pe/politica/840463-suecia-destacan-jaime-saavedra-entre-los-principales-economistas-del-mundo

[12] Voir https://noticias.terra.com.pe/peru/ministerio-de-educacion-de-peru-defiende-enfoque-de-genero-en-curriculo,69bd30f4933c3535b8ddaf96a292dedfh5zhy0ce.html

[13] Voir http://www.elperuano.com.pe/noticia-promueve-prevencion-embarazo-precoz-34911.aspx

[14] Voir https://www.aciprensa.com/noticias/obispos-de-peru-piden-retirar-ideologia-de-genero-del-curriculo-escolar-31144/

[15] Voir http://caretas.pe/las_palabras/77745-arrugo

[16] Voir https://www.letemps.ch/economie/2016/08/24/grandes-dates-scandale-petrobras

[17] Voir http://calle2.com/a-corrupcao-da-odebrecht-na-america-latina/ Voir aussi https://noticias.terra.com.br/brasil/politica/lava-jato/odebrecht-admite-ter-pago-mais-de-r-33-bilhoes-em-propina-em-12-paises,e53601901d64f1da6a840be3e20fee471y7wbvp6.html

[18] Voir http://caretas.pe/las_palabras/77545-frankenstein_y_el_maremoto

[19] Voir http://caretas.pe/sociedad/77823-___la_coima_fue_de_us__29_millones___

[20] Voir l'article : http://caretas.pe/sociedad/77781-coimas_confesadas_de_odebrecht

[21] Voir ses déclarations à Business Insider du 22 décembre 2016 : http://www.businessinsider.com/r-perus-kuczynski-denies-taking-bribe-from-brazilian-firm-odebrecht-2016-12 ?IR=T

[22] Voir http://larepublica.pe/politica/397898-caso-lava-jato-ppk-apoyara-investigaciones-por-contrataciones-con-empresas-brasilenas

[23] Voir son article : http://caretas.pe/las_palabras/77893-confesiones

[24] Voir http://caretas.pe/las_palabras/77952-que_corran_las_tortugas

[25] Voir Infolatan du 15 janvier : http://www.infolatam.com/2017/01/15/mayoria-peruanos-desaprueba-kuczynski-crece-caso-corrupcion-odebrecht/

[26] Voir http://www.transparency.org/news/feature/corruption_perceptions_index_2016

[27] Voir http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2016/01/27/20002-20160127ARTFIG00208-corruption-transparency-international-epingle-les-pays-emergents-bresil-en-tete.php

[28] Voir la note sur le populisme http://www.transparency.org/news/feature/corruption_and_inequality_how_populists_mislead_people

[29] Voir la note sur les Amériques http://www.transparency.org/news/feature/americas_sometimes_bad_news_is_good_news

[30] Voir http://larepublica.pe/data/no-me-callo/

[31] Voir http://larepublica.pe/impresa/sociedad/790030-vocera-de-ni-una-menos-el-poder-judicial-es-el-enemigo-de-las-mujeres

[32] Voir http://larepublica.pe/sociedad/793540-ministra-de-justicia-marcha-ni-una-menos-marcara-un-antes-y-un-despues

[33] Voir http://larepublica.pe/politica/797490-ministerio-de-justicia-iniciara-el-registro-nacional-de-personas-desaparecidas

[34] Voir http://larepublica.pe/impresa/politica/798367-ministerio-de-justicia-evalua-declarar-en-emergencia-sistema-penitenciario-del-pais

[35] Voir http://cdn8.larepublica.pe/politica/827388-ministra-de-justicia-expuso-ante-cidh-sobre-acciones-del-gobierno-en-derechos-humanos

[36] Voir http://elcomercio.pe/sociedad/lima/comas-mausoleo-construido-senderistas-fotos-noticia-1934057/1

[37] Voir http://comuna-peru.com/threads/2319/

[38] Pour les commandes voir : http://www.editionsharmattan.fr/index.asp ?navig=catalogue&obj;=livre&no;=50610&razSqlClone;=1 Une présentation du livre est prévue à la Maison de l'Amérique latine le jeudi 20 avril 2017.

[39] Voir http://larepublica.pe/12-03-2015/te-saludan-los-cabitos-documental-cuenta-nuevos-testimonios

[40] Voir http://larepublica.pe/23-03-2015/alonso-cueto-los-peruanos-le-tenemos-miedo-a-mirar-a-nuestras-heridas-cara-a-cara-a-hablar-de-nuestr

[41] Voir arepublica.pe/sociedad/723688-curas-asesinados-por-sendero-luminoso-fueron-beatificados-este-sabado

[42] Voir http://larepublica.pe/impresa/ocio-y-cultura/742107-imagenes-para-para-no-olvidar-el-terror

[43] Voir http://larepublica.pe/sociedad/785290-en-facebook-presentan-documental-de-victimas-homosexuales-durante-conflicto-armado

[44] Voir http://larepublica.pe/politica/750439-sendero-luminoso-intentaria-boicotear-proceso-electoral-en-el-vraem

[45] Voir http://larepublica.pe/sociedad/762770-victimas-de-sendero-luminoso-fotos

[46] Voir http://larepublica.pe/impresa/politica/761347-por-aire-rio-y-tierra-buscan-al-cabecilla-terrorista-del-vraem-julio-pukanahui

[47] Voir http://larepublica.pe/impresa/politica/769218-cae-abatido-jefe-militar-terrorista-del-vraem-alejandro

[48] Voir http://larepublica.pe/impresa/politica/781633-la-sobreviviente-de-una-masacre

[49] Voir http://larepublica.pe/politica/800425-defensoria-del-pueblo-congreso-elige-entre-gutierrez-abad-y-mendoza

[50] Voir http://larepublica.pe/politica/800544-frente-amplio-eleccion-del-defensor-no-ha-contado-con-suficiente-transparencia

[51] Voir http://larepublica.pe/impresa/politica/801659-defensor-del-pueblo-rehuso-responder-acusacion-de-estafa

[52] Voir http://larepublica.pe/politica/828254-defensor-del-pueblo-protagoniza-papelon-en-el-congreso-de-la-republica

[53] Voir http://larepublica.pe/politica/832621-trabajadores-de-la-defensoria-realizaron-primer-planton-contra-reduccion-de-personal-fotos

[54] Voir http://larepublica.pe/politica/833219-eduardo-vega-represalias-en-la-defensoria-descalifica-moralmente-gutierrez

[55] Voir larepublica.pe/politica/834198-defensoria-del-pueblo-convoca-al-dialogo-tras-despidos-pero-reunion-no-se-concreta

[56] Voir http://larepublica.pe/politica/836888-onu-preocupada-por-situacion-de-la-defensoria-del-pueblo

[57] Voir http://peruanosnews.com/noticias/en-aniversario-de-la-pnp-presidente-kuczynski-destaco-trabajo-de-efectivos-policiales/

[58] Voir http://derechoshumanos.pe/2016/12/presidente-kuczynski-la-justicia-es-el-unico-camino-a-la-reconciliacion/

[59] Voir http://larepublica.pe/impresa/politica/842350-contrato-con-el-consorcio-de-odebrecht-tuvo-luz-verde-de-7-ministros

[60] Voir http://larepublica.pe/politica/816264-caso-gasoducto-sur-procuraduria-pide-investigar-ollanta-y-nadine


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