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Explosions à l’envi, bruits assourdissants tout autour, des corps qui chutent… Billy Lynn (Joe Alwyn) pourrait se croire de retour en Irak. Or, celui que l’Amérique de Bush vénère comme un héros national pour avoir secouru, face caméra, son chef, est en train de vivre la récompense suprême décernée aux valeureux guerriers : être sur scène avec les Destiny’s Child à la mi-temps d’un match de football.
Avec Un jour dans la vie de Billy Lynn, Ang Lee explore l’envers d’une image exhibée comme emblème patriotique par la propagande américaine. Derrière le mythe, un jeune homme passablement désœuvré, aux motivations guère nationalistes.
La fabrique de la guerre
Le dernier film d’Ang Lee s’inscrit pleinement dans le sous-genre du film sur la guerre en Irak, et se rapproche beaucoup, d’un point de vue thématique, du précédent film sur le sujet, AmericanSniper (Clint Eastwood, 2015). Comme chez Eastwood, le geste de Lynn dépasse le simple cadre de la guerre pour acquérir une dimension collective ; on retrouve là tout le travail mené par Eastwood depuis Mémoires de nos pères (2005).
Mais Ang Lee s’écarte du sérieux eastwoodien. Pour saisir réellement ce que signifie la fabrique du spectacle de la guerre dans l’Amérique de Bush, il en adopte le ton même : exubérant au point de virer dans le burlesque. Complètement détachés de la réalité d’une guerre où le moindre geste, le plus petit bruit, sont une menace pour des soldats au bord de la paranoïa, les civils qui conçoivent le spectacle de Beyoncé ne pensent pas un seul instant que les feux d’artifice, les musiques à fond et le ballet des corps rappelleront cruellement aux Bravos – la section à laquelle appartient Lynn – une guerre qu’ils aimeraient bien fuir.
Dans ce Texas où les Bravos ont atterri pour se donner quinze jours en spectacle, la guerre est une chose lointaine que l’on regarde à la télé. Orchestrée par les experts du storytellinget du show, elle devient un mythe de la même trempe que Fort Alamo : tous les civils qui s’adressent aux Bravos croient dur comme fer que l’Amérique est allée en Irak défendre le Bien contre le Mal.
De sorte que le conflit militaire, dont les flash-backs sur les opérations des Bravos font surgir toute la tension quotidienne, perd de sa dureté pour devenir un produit de consommation culturel comme un autre, aussi doux et sucré que les cheerleaders qui défilent autour des troupes.
Portraits de soldats
Réifiés, transformés en poupées patriotiques autour desquelles tourne la caméra, les soldats d’Irak semblent perdre tout contrôle de leur image. Or, l’intelligence du montage, du jeu d’acteur et de la mise en scène est d’envisager ces figures d’un point de vue intimiste.
Quoique le récit soit concentré sur la seule journée du match de football, le montage en flash-backs fait exploser la linéarité du spectacle pour dévoiler des pans entiers de la psychologie des soldats. Loin de la figure de sauveur de la nation que le spectacle aime présenter, Billy Lynn apparaît en réalité comme un jeune Texan engagé certes par défaut mais qui trouve un sens à sa vie dans la solidarité militaire, où il apprend du sergent Shroom (un Vin Diesel tout en finesse) les vertus de la philosophie hindoue. Enfer et exutoire, l’Irak apporte à chacun d’eux la part de responsabilité individuelle qu’une Amérique conformiste à souhait leur déniait.
Dans un monde joyeusement manichéen, les Bravos semblent les seuls au fait de la complexité de la guerre. Le seul manichéisme qu’il y aurait alors se situerait entre les combattants – des deux camps – et les civils à l’arrière qui la fantasment. Face à ceux qui, à l’instar de Norm Oglesby, le boss de Dallas, désirent faire de l’histoire des Bravos une histoire qui appartient à l’Amérique tout entière, Lynn et ses compagnons résistent : à la fois en-deçà et au-delà du mythe collectif, l’histoire est d’abord la leur. À l’injonction patriotique tient tête une seule phrase, répétée par tous les camarades : « Je t’aime ».
Un jour dans la vie de Billy Lynn, d’Ang Lee, 2017Maxime