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L'ecrivaine Yaa Gyasi : Je suis Ghanéo-Américaine. Suis-je Noire ?

Publié le 08 février 2017 par Busuainn_ezilebay @BusuaInn_Ezile

L’écrivaine Yaa Gyasi : “Je suis Ghanéo-Américaine. Suis-je Noire ?”

L'ecrivaine Yaa Gyasi : Je suis Ghanéo-Américaine. Suis-je Noire ?

Yaa Gyasi, Michael Lionstar


Lu dans Courrier international


Lire l'article  original dans le New York Times

I’m Ghanaian-American. Am I Black?


Yaa Gyasi, écrivaine : “Je suis Ghanéo-Américaine. Suis-je Noire ?

Née au Ghana et arrivée États-Unis à l’âge de deux ans, l’écrivaine Yaa Gyasi ne se considérait pas comme une Africaine-Américaine. Jusqu’au jour où elle a ouvert les yeux.



La première fois qu’on m’a traitée de nègre, c’est aussi la première fois qu’on ne m’a pas appelée ainsi. J’avais 8 ans et j’habitais dans un immeuble de Jackson, dans le Tennessee. J’avais deux amies, noires elles aussi, qui vivaient dans le même immeuble. Un jour, alors que nous étions en train de jouer dans la cage d’escalier, deux garçons blancs sont arrivés et nous ont arrosées avec leur pistolet à eau en criant “Nègres !”.Mes deux amies ont explosé. Moi, je n’ai rien dit. Ma famille m’avait inculqué l’idée que j’étais différente des “Noirs américains”, un groupe qu’elle classait en dessous des “Blancs américains”. Nous ne voulions nous identifier ni aux uns ni aux autres. Sur notre échelle de valeur, les Ghanéens étaient les meilleurs et toutes les autres catégories arrivaient loin derrière. J’étais en train de me dire que ces garçons ne pouvaient pas s’adresser à nous quand l’un d’eux, semblant lire dans mes pensées, m’a lancé : “Pas toi.”Dans ma logique d’enfant, j’ai cru que ce garçon voulait me récompenser de ma bonne conduite. La leçon de tout cela semblait être que, tant que je me comporterais bien, je ne serais pas une nègre.

“Mais pourquoi n’as-tu pas d’accent ?” 

L’année de mes 10 ans, nous sommes partis vivre en Alabama. Ce déménagement — notre quatrième État dans notre second pays — n’avait rien de réjouissant pour nous, mais mon père avait trouvé un poste qui pourrait lui permettre d’être titularisé à l’université de Huntsville et il nous assurait que cette fois, c’était la bonne. Dans notre quartier, il n’y avait pas de Noirs américains, encore moins d’Africains de l’Ouest. Comme les écoles de Huntsville pratiquaient la ségrégation — ce qu’elles font toujours —, et que ma famille vivait du côté blanc de la ville, j’ai été pendant presque toute ma scolarité la seule élève noire de la classe.Cette ville était le lieu idéal pour mettre ma bonne conduite à l’épreuve. Et je m’y suis tenue. Je me suis inscrite à la chorale de l’église et à celle de mon école. J’ai donné des cours de français et, dans mon lycée, j’ai été présidente de la branche de la National Honor Society [une organisation fédérale qui regroupe les élèves les plus prometteurs]. J’ai commencé à travailler comme serveuse dans une maison de retraite à l’âge de 15 ans, et à 17 j’ai pu me payer une voiture. J’ai terminé mon secondaire avec une très bonne moyenne (4,2 sur 5). J’ai été acceptée par toutes les universités auxquelles j’avais postulé, y compris mon premier choix, Stanford.Pourtant, il y avait quelque chose qui clochait dans mon plan. Les résidents de la maison de retraite ne cessaient de me demander pourquoi je n’avais pas d’accent. Pendant des années, j’ai évité celui qui avait grommelé “Nègre” quand un employé noir avait renversé son café. À l’école, une fille m’a dit qu’elle me plaignait car, les hommes noirs étant ce qu’ils sont, je ne trouverais jamais de petit ami. Mes frères sont noirs, lui ai-je répondu.Le problème, c’est qu’à la maison nous n’étions pas des Noirs. Nous étions Ghanéens. Nous jouions de la musique highlife [un genre musical mêlant guitare et percussions, né au début du XXe siècle dans la région d’Accra] et nous mangions du riz jollof et des bananes plantains frites. Nous débarquions en force aux cérémonies de remise des diplômes et nos funérailles n’avaient pas leur pareil. Nous avions appris à nous dédoubler, de sorte que les personnes que nous étions pour le monde extérieur ne pénètrent jamais dans notre univers familial.

La “bonne Noire”

Pendant des années, j’ai marché sur cette corde raide, mais l’exercice n’était pas aussi facile pour moi qu’il semblait l’être pour mes aînés, qui avaient passé la majeure partie de leur vie au Ghana. Je n’avais aucun souvenir de ma vie au pays. Si m’identifier davantage au Ghana qu’aux États-Unis sonnait faux, m’identifier à un pays qui ne cherchait qu’à me rejeter semblait ridicule. Le seul rôle que je savais vraiment jouer était celui de la “bonne Noire”, la Noire ni noire ni blanche. C’était le rôle auquel j’avais été préparée toute ma vie, mais j’ai très vite fini par m’en lasser.Au cours de mes premiers mois à l’université, j’ai découvert un nouveau terme, celui de “diaspora”. J’ai lu Toni Morrison et Chinua Achebe et j’ai senti qu’une discussion était engagée entre eux deux. J’ai commencé à percevoir des failles dans la logique de la politique de respectabilité, à savoir le fait que personne ne demande jamais aux enfants blancs d’être de “bons enfants”. La bonté va de soi pour les Blancs, et même s’ils ne se comportent pas toujours correctement, on part du principe qu’ils ont bon cœur. Je voulais être quelqu’un de bien, car je savais inconsciemment que c’était la seule manière de me différencier des mauvais. Et aux États-Unis, les Africains-Américains sont considérés comme mauvais, tant dans leurs actes que dans leurs pensées.De nombreux immigrés d’Afrique de l’Ouest d’un certain âge répétaient comme des perroquets la théorie de la suprématie blanche, fermant délibérément les yeux sur le désastre absolu et, pis encore, non réparé qu’a été l’esclavage, car regarder en face ce legs de l’histoire impliquerait de renoncer à certains des privilèges que le fait d’être de “bons Noirs” nous garantit. Qui plus est, cela nous compromettrait : même s’il ne fait aucun doute que l’esclavage a été l’œuvre des Européens et des Américains, les forts et châteaux dont la côte occidentale de l’Afrique est parsemée — dont deux des plus importants se trouvent au Ghana — ne se remplissaient pas d’eux-mêmes.

Retour au pays natal

Que nous affrontions ou pas ce passé, le fait est que nous sommes de toute façon compromis. Des immigrés noirs ont beau conseiller à leur progéniture de ne pas accorder d’importance à leurs mésaventures racistes, en quoi cela peut-il aider un enfant qui doit sortir de chez lui tous les matins pour mener une vie de Noir aux États-Unis ? Quand nos nouveaux voisins ont appelé la police parce que mon frère cadet faisait du vélo dans le quartier, celui-ci n’a pas pu expliquer aux agents : “Pas de problème, je suis un Américain d’origine ghanéenne.” Il n’avait que 12 ans, mais il inspirait déjà des soupçons. Et c’est la version douce d’une expérience trop fréquemment vécue par de jeunes Noirs aux États-Unis. Dans la plus dure, mon frère serait mort.Après ma deuxième année à Standford, je me suis rendue au Ghana pour me documenter en vue d’écrire un roman. J’étais partie avec une idée en tête, mais quand j’ai visité pour la première fois le château de Cape Coast, un lieu où les esclaves étaient entassés avant d’être embarqués pour le Nouveau Monde — et qui n’est situé qu’à 80 kilomètres de la ville où ma mère a grandi —, je n’ai pas compris que ma famille ne m’en ait jamais parlé. Je me suis dit que nous étions prompts à dénoncer les défauts des Américains sans jamais aborder les nôtres. Je voulais écrire sur mon ressenti, sur la diaspora et sur la question de l’esclavage dans son intégralité, pas seulement ce qu’il était il y a des siècles, mais ce qu’il nous a laissé à nous, Ghanéens et Américains d’aujourd’hui. J’ai commencé par inscrire une question vague mais essentielle tout en haut de l’écran : que signifie le fait d’être noir aux États-Unis ?Ce que j’avais négligé de prendre en compte à 8 ans, c’est que j’étais une nègre bien avant de pouvoir prouver le contraire, et que le fait que le garçon ait retiré le terme ne changeait rien au fait qu’il avait été prononcé. Ni que, lorsque ces garçons m’avaient vue, ils avaient vu une nègre.Lire l'article original
AUTEUR

Yaa Gyasi

C’est l’une de ces sucess-stories comme le monde de l’édition aime en écrire outre-Atlantique. À 26 ans, débarquée de nulle part, cette Américaine d’origine ghanéenne “a obtenu une avance sur droits d’auteur à sept chiffres” pour son premier roman, raconte Time. Sorti en juin 2016, Homecoming (“Retour au pays”, inédit en français) explore, sur huit générations, l’héritage de l’esclavage de chaque côté de l’Océan, au Ghana et aux États-Unis. La critique américaine a salué l’ambition du projet. Et la National Book Foundation a distingué Yaa Gyasi en septembre 2016 dans sa liste annuelle des cinq jeunes auteurs les plus remarquables. “Je voudrais que nous puissions commencer à envisager notre histoire sur un plus long terme et comprendre comment elle influe sur la façon dont nous traitons les gens aujourd’hui”, confie l’auteure au site africain-américain The Root.SOURCE

THE NEW YORK TIME



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