Frédéric Micheau : Les instituts de sondage réalisent des sondages sur les sondages depuis plusieurs décennies. La première étude de ce type a été réalisée aux Etats-Unis par le centre de recherche dirigé par Hadley Cantril au sein de l'Université Princeton (Office of Public Opinion Research), en novembre 1944, dans le sillage de l'élection présidentielle. En France, des enquêtes similaires sont régulièrement conduites, la première d'entre elles datant des élections législatives de 1967.
Toutes ces études ont été réalisées ponctuellement. Le baromètre que nous lançons apporte une innovation : pour la première fois, un dispositif d'étude va permettre de mesurer d'éventuelles évolutions dans les perceptions et les comportements des Français pendant la campagne électorale. Ce baromètre vise également à objectiver les différents aspects du rapport des Français aux sondages : l'utilité perçue des sondages, la législation sur les sondages, l'influence des sondages, les relations entre les médias et les sondages, les usages des sondages par les acteurs politiques, etc. Même la critique des sondages sera traitée, objectivement. Ce dispositif s'inscrit ainsi dans une démarche de connaissance globale.
Frédéric Micheau : Les praticiens des études savent qu'il n'existe pas de contexte neutre pour la réalisation d'une enquête. Toute mesure de l'opinion intervient nécessairement dans une conjoncture spécifique, qui peut influencer et peser sur les réponses recueillies. Cette limite méthodologique impose à l'analyste de contextualiser l'interprétation des réponses. Nous tenterons de mettre en perspective les résultats avec des données antérieures, afin de dépasser les effets de pollution du contexte et d'identifier des invariants dans le regard porté par les Français sur les sondages.
Après le Brexit et l'élection présidentielle américaine, la conjoncture actuelle rend évidemment plus aigüe la critique des sondages, qui étaient déjà régulièrement invectivés pendant les périodes électorales. Les contempteurs des sondages leur sont hostiles par principe : ils font flèche de tout bois, sans avoir besoin de motif crédible. Mais pour critiquer honnêtement ou défendre rigoureusement les sondages, il est nécessaire de savoir et de disposer d'un état des lieux objectif des perceptions dont ils sont l'objet. C'est l'objectif de ce baromètre, dont les données alimenteront le débat sur les sondages, qu'il ne faut pas esquiver.
Frédéric Micheau : Nous mesurons effectivement un décalage entre le sentiment d'une omniprésence médiatique des sondages, parfois jusqu'à satiété, et le taux de lecture des sondages par les Français. Ce différentiel d'intérêt est un indice supplémentaire de l'inadéquation entre l'offre et la demande médiatique. Les lecteurs les plus assidus des sondages ont un profil socio-démographique très proche des personnes les plus politisées et les plus attentives à la vie politique et électorale, qui ne constitue qu'une minorité des Français. La majeure partie de la population se maintient assez éloignée des sondages, sans s'en désintéresser totalement. Ce rapport nuancé aux sondages contraste fortement avec l'engouement des journalistes.
Propos recueillis par Olivier VANBELLE