Billet paru initialement le 24.02.2013
Il y a quatre ans, je tombais sur un sondage, certes fait sur internet et donc sujet à caution, mais qui permettaient de dresser un portrait de l’orientation des médias et de mesurer comme un léger écart entre ces derniers et l’opinion moyenne observée dans la population, qu’on pouvait qualifier pudiquement de « moins à gauche ». Depuis, non seulement ces informations ne se sont guère démenties, mais d’autres éléments se sont ajoutés à la charge de ces médias (notamment francophones) qui aboutissent pour eux à une véritable crise de confiance. Les observations d’hier expliqueraient-elles la confiance minimale et la déroute en lectorat d’aujourd’hui ?
Tiens, un sondage sur l’indépendance et la pluralité des médias ! Tiens, ses résultats corroborent ce dont on se doutait déjà et vont nettement dans le sens des résultats des (très) rares sondages déjà effectués ! Et tiens, ce sondage n’est pas jugé suffisamment intéressant par ces mêmes médias pour qu’ils en parlent ! Coïncidence ? Je ne crois pas. Alors, comme je ne suis qu’un petit blogueur sans aucune prétention à l’objectivité, je m’y colle.
Avant d’aller plus loin, il est bon de préciser que ce sondage n’est pas un sondage traditionnel, par téléphone, avec l’habituelle méthode des quotas (qui a elle-même ses problèmes). C’est un sondage internet, qui, s’il indique peut-être une tendance, ne permet aucune affirmation péremptoire. L’échantillon étant de plus de 5000 participants, il semble cependant un peu facile de remettre totalement en question les résultats obtenus, d’autant qu’ils sont, comme je le disais en introduction, corroborés par d’autres sondages effectués par d’autres méthodes.
Ainsi, la revue Marianne dans son N° 209 de la semaine du 23 au 29 avril 2001 s’était intéressée à l’opinion des journalistes et en particulier à leur penchant politique et avait tiré la conclusion suivante de son sondage : « Les journalistes sont, à une écrasante majorité de gauche. L’écart avec la population est ici maximal: au total 6% de journalistes pensent voter à droite, contre au moins 50% dans le peuple français. »
Fouchtra. Marianne, journal de gauchistes ? Oh. Je suis tout surpris de l’intérieur.
Et on se rappelle qu’ils avaient même, plus récemment, demandé directement pour qui votaient leurs propres journalistes, ce qui avait permis de découvrir, sans surprise, que majoritairement, ils votaient pour François Hollande (40%) à ce moment-là. Vu les performances du capitaine de pédalo, on peut croire que les votes seraient un peu différents s’ils étaient refaits aujourd’hui, mais on ne peut pas écarter une vraie obstination bornée qui les referait voter pareil, hein. On découvrait aussi, dans la foulée, que Jean-Luc Mélenchon réalisait 31,7% des suffrages, et François Bayrou, en troisième, 8,3%. Les petits candidats comme Joly, Cheminade ou Poutou totalisaient un peu plus de 8%, et Nicolas Sarkozy récoltait … 0% des votes. Méluche à 31% chez Marianne, c’est quasiment 4 fois son score réel (mais comme on le verra, pas question de parler ici de déconnexion avec le concret).
Du reste, l’exercice avait été mené à d’autres reprises et dans d’autres rédactions, avec toujours des résultats proches : on « découvre » ici que 74% des journalistes votent à gauche, et moi-même, je rappelais il y a quelques temps que les compositions politiques des équipes de différentes rédactions ne laissaient guère de doute sur la coloration générale des opinions émises :
Tout ce libéralisme, toute cette propagande pro-capitaliste, pro-business, pro-libérale étalée ainsi dans autant de rédactions, brr, ça fait froid dans le dos, hein ?
Bien sûr, on trouvera aussi, relayés de façon nettement moins discrète, quelques articles vantant le pluralisme de la presse et sa bonne adéquation avec les demandes du public, mais après les éléments ci-dessus, fatalement, ça laisse songeur.
On en arrive à présent au sondage que j’évoquais en introduction. Cette fois-ci, au lieu de regarder une rédaction ou l’autre et d’analyser le spectre politique des gens qui y militent travaillent, les sondeurs ont cherché à savoir comment le public percevait la pluralité de la presse, et comment la presse traditionnelle se comparait à internet en terme d’indépendance et de liberté d’expression.
Et là, c’est un peu le drame.
Je ne passerai pas en revue la douzaine de camemberts proposés comme résultat du sondage (qui sont laissés à l’appréciation du lecteur), mais je me contenterai des quatre suivants, qui dressent un portrait sans concession de la profession journalistique vue par un échantillon de 5300 internautes. Ainsi, le premier camembert montre une belle défiance des internautes face aux médias traditionnels : internet leur semble le mieux placé pour défendre la liberté d’expression. Zut et crotte.
Voilà qui est dommage pour toute un profession dont le credo officiel est, justement, de tout faire pour protéger cette liberté-là. Deux explications possibles : ou bien ils ne font pas assez de publicité pour la liberté d’expression, ce qui est très surprenant sachant que ce concept leur a quasiment servi de dentifrice pendant tout le temps où la droite était au pouvoir. Ou bien la partialité avec laquelle ils la défendent ne rend pas crédible leur action. Il y a une troisième explication : sur les 5300 internautes se sont discrètement glissés 5200 libéraux (évidemment mangeurs d’enfants communistes) qui ont honteusement biaisé les résultats, en montrant cette abominable partialité.
Partialité qui ne serait pas complètement impossible à en croire l’opinion qu’ont ces internautes de l’orientation générale des journalistes. Surprise et fourchette en plastique, on retrouve encore un fort biais à gauche :
Autrement dit, lorsqu’on demande aux journalistes, ils se situent tous majoritairement à gauche. Lorsqu’on demande à leur lectorat, ce dernier acquiesce vigoureusement. Et pourtant, nos amis encartés brandissent dès qu’ils le peuvent la pluralité, la neutralité ou l’objectivité de leur profession. Et ceci se ressent dans leur production puisqu’on a souvent droit à des articles (récupérés ici sous forme de Pignouferies de Presse) qui, sous couvert de journalisme d’information, présente des événements une version biaisée, politiquement orientée, en faisant passer l’article devenu éditorial ou billet d’humeur/d’opinion comme un reportage ou un documentaire.
Et lorsqu’on fait cette remarque aux journalistes, ceux-ci se défendent de toute démarche militante, parfois avec véhémence (il est même probable que certains, l’œil — gauche — parcouru de tics nerveux, éructent quelques insultes poivrées à la lecture de cet article). Ce qui aboutit, d’années en années, au constat suivant :
Pour l’internaute, les journalistes semblent maintenant complètement déconnectés de la réalité. Cette déconnexion perçue est intéressante puisqu’elle est le pendant logique de la déconnexion observée chez les politiciens qui s’abreuvent, justement, des informations que veulent bien leur distiller les journalistes.
Mais c’est le graphique suivant qui résume à lui seul le problème au cœur de cette profession, surtout en France : à l’évidence, vu depuis internet, le journaliste moyen est un mouton de panurge, qui ne fait, finalement, que suivre un pesant troupeau de ses congénères qui vont, tous ou quasiment, dans le même sens. Finalement, ce n’est pas tant, selon ce sondage, les pressions politiques, les annonceurs ou l’audimat qui poussent les journalistes à porter tous à gauche dans un bel ensemble, mais bien le conformisme.
Et même si l’on n’oublie pas que ce sondage n’est que de taille modeste, qu’il ne porte que sur des internautes, que l’échantillon est peut-être lui-même biaisé, le conformisme et la reproduction intellectuelle massive qu’on trouve chez les journalistes, tous les jours, est une évidence difficile à cacher. Bien sûr, on peut admettre sans problème qu’il y a probablement un écart entre la réalité de terrain et la perception de cette réalité par ces internautes, mais à la limite, peu importe : le journaliste du XXIème siècle n’a pas pour but de contenter un lectorat issu du XXè. Il ne doit pas avoir pour mission d’informer comme le faisaient ceux de 1950 ou 1980. Il ne peut plus prétendre ignorer internet. Il ne peut donc plus ignorer que la masse des consommateurs d’information se trouve sur ce média avant tous les autres et que la nature décentralisée et pervasive de ce dernier l’oblige à modifier de façon importante sa manière de procéder. Par exemple, il va leur devenir de plus en plus difficile d’évincer tout un bloc d’opinions politiques au prétexte qu’elle n’est pas assez bisou, ou que la presse se doit de conscientiser le citoyen dans un sens précis. Par exemple, le journaliste ne pourra plus se contenter de pousser dans les tuyaux la purée AFP. Il va lui falloir ajouter de l’analyse, de la matière grise, se mouiller, arrêter de suivre le troupeau. Par exemple, le journaliste ne peut plus se considérer comme l’unique détenteur de l’information, sa position n’est plus un privilège. S’il y a bien eu, un jour, un quatrième pouvoir, avec internet, celui-ci s’est distribué sur une masse considérable de gens qui ont, effectivement, dépouillé les journalistes en titre de cet attribut.
Aussi délicat soit-il d’interpréter des données en provenance d’un sondage internet, celui-ci montre à l’évidence l’absolue nécessité de toute une profession à se renouveler. Et malgré ces évidences, malgré ces sondages qui pointent tous dans la même direction (non pluralité, conformisme, biais), la remise en question de la profession, en France (et dans une certaine mesure, dans pas mal d’autres pays, notamment francophones), ne semble même pas amorcée (par exemple, les subventions continuent toujours à couler pour les mêmes journaux).