On ne connait ni leurs noms, ni leurs visages. C’est une petite équipe solidaire et ouverte à la truculence et à la turbulence qui sait ne rien se refuser. D’abord, c’est le concept qui a germé. Le résumé tient en deux toutes petites lignes. « L’élection présidentielle de 2017 termine un quinquennat hors normes. Le scénario, anticipé de ce scrutin recèle en lui-même un lot de défaillances et de chausse-trapes qui chamboulent le déroulé d’un résultat annoncé. »
Puis, c’est à partir de ce logline que le script a été rédigé pour être proposé aux chaînes. En se rapprochant chaque jour du 23 avril, premier tour de la présidentielle, on se rend compte de la qualité professionnelle du produit. Les personnages sont connus et typés. Le script est d’une réelle densité. Au lieu de contenir un hook, soit une idée qui attire l’attention et préfigure les dialogues entre les personnages, il en recèle plusieurs. Idem pour le plot twist, la péripétie inattendue et le payoff, ou cliffhanger, le suspense qui poussera le spectateur à attendre l’épisode suivant.
Presque toutes séquences mettent à l’affiche une sortie de route et dévoilent le plot twist le plus improbable. On attendait Duflot en cheftaine araignée, ce fut Jadot qui est adoubé. Il se présente comme le candidat qui fera que « demain soit mieux qu’aujourd’hui ». Affirmation que tout candidat normal signerait sans barguigner. A droite, Jupé, grand favori se fait terrasser par l’ancien « collaborateur » de Sarkosy qui lui-même accède petitement à une piteuse troisième place. Les payoff s’enchaînent et rudoient les pronostics. Le Père Ubu doit se frotter les mains en voyant le chamboule-tout s’activer lui qui passait à la trappe les financiers et nobles seigneurs. Cet épisode est suivi du renoncement, haute séquence inédite de fin de parcours d’un président en titre. Exit le président normal, place au sortant ordinaire. Le bal des socialistes et assimilés n’a pas dépareillé non plus. Puis survint l’effeuillage bancaire du couple Fillon. Du gros. L’affaire se dégonfle peu à peu, semble se faire presque oublier jusqu’à ce le parquet national financier décide d’ouvrir une instruction des chefs de détournement de fonds publics, abus de biens sociaux, complicité et recel ainsi que du chef de trafic d’influence. Cela est venu 48 heures après l’annonce du ralliement de Bayrou à Macron. Cette élection avance sur un sol meuble qui n’apporte aucune stabilité aux candidats. De nombreuses surprises sont encore dans les tuyaux. On reste attentif à cette série dont les moments phares seront à l’apogée le 23 avril. Fin du prologue de la série, le 7 mai. Cinq saisons sont annoncées.
De ce millefeuille événementiel, c’est la faillite des stratégies de chaque candidat qui apparaît comme le fait majeur. Des stratégies patiemment scénarisées, les candidats n’ont retenu que l’hypothèse la plus arrangeante qui pourrait se résumer par la formule quel est l’adversaire qui m’arrangerait le mieux ? La réponse a généré la posture. La posture a dévoilé l’imposture. La compréhension de la vie politique comme un système structuré par des variations et des interactions nécessite une approche globale que des communicants fidélisés et serviles peinent à intégrer dans leurs orientations. En privilégiant une approche linéaire de la communication politique au détriment d’une perspective systémique, les candidats et leurs équipes perpétuent la tradition des notables de province qui durent parce que leur image est appréciée de ceux qui leur sont redevables. François Fillon est le parangon de ces politiques qui prennent la partie, leur territoire où ils aiment tant patrouiller entre les marchés primeurs et les brocantes dominicales, pour le tout, divers et métissé, multi-générationnel et réactif aux errements et aux discours qui sonnent le vide. En dépit, d’une scénarisation pensée longtemps à l’avance, cette élection est marquée par la faiblesse du casting. Les concepteurs du scénario de la série surpassent les acteurs chargés de le faire vivre.
Parions que les experts, iront, un peu tard, de leurs commentaires navrés, pour souligner combien cette élection est singulière et imprévisible. Ce serait alors la dernière avant la rénovation et revivification de la vie publique. Ce que disait, pas trop mal, Antonio Gramci lorsque, visionnaire et salutaire, il affirmait que « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent le monstres. »