Billet paru initialement le 25.02.2015
Avec les primaires socialistes, un homme nouveau s’est levé, droit, fier, capable de porter sur ses larges épaules de gladiateur de l’arène politique toutes les idées humanistes du parti officiellement socialiste. Benoît Hamon, subitement devenu sauveur d’un parti sans colonne vertébrale en pleine déconfiture, se retrouve propulsé au devant d’une scène médiatique au demeurant passablement encombrée d’autres olibrius chamarrés. Mais il serait dommage de ne voir en Hamon qu’un choix par défaut ou, comme jadis Hollande, par hasard ou malentendu. Hamon, c’est aussi la puissance de la pensée. Rappelez-vous, en 2015…
Ce qu’il y a de bien avec les interventions incessantes des politiciens dans la vie des Français, c’est qu’on sait, avant même qu’ils commencent leurs exactions, qu’elles aboutiront immanquablement à des effets impromptus et généralement indésirables. Et c’est d’autant plus vrai lorsque leurs agitations nerveuses se traduisent en textes de lois qui, une fois appliquées, provoquent parfois l’hilarité et souvent des situations regrettables.
Benoît Hamon n’est pas resté très longtemps ministre du gouvernement. On se souvient qu’avant d’avoir réussi le pari (un peu fou et franchement humoristique) d’être ministre de l’Éducation Nationale seulement pendant les grandes vacances en 2014 (bien joué, Ben !), il avait été ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire et à la Consommation, charmant maroquin fourre-tout qui autorisait à notre impétrant une assez franche latitude pour pondre une loi qui, enfin, porterait son nom dans les livres d’Histoire.
Le dogmatique ministre n’avait donc pas tardé à pondre un corpus législatif roboratif destiné à – enfin ! – bouter les affreux producteurs capitalistes irrespectueux et fraudeurs hors de France, et à fournir – enfin ! – d’importants moyens au consommateur, petit mammifère chétif toujours malencontreusement placé entre le marteau pneumatique du capitalisme et l’enclume impitoyable du marché. Moyennant quoi, on découvrait une Loi Consommation dont les principales avancées législatives permettaient de résolument placer le consommateur français dans le XXIème siècle social-démocrate, avec de pleines brouettées de nouveaux droits, un gros barbouillage de déresponsabilisation et l’idée des actions de groupe qui déboulait pour donner – enfin ! – aux groupes de consommateurs spoliés une arme décisive contre les super-multinationales surpuissantes aux services juridiques surarmés et aux pratiques surlouches.
L’entrée en vigueur de la loi, en mars 2014, aura donc marqué le début de l’application de certains de ses aspects, avec le complément au premier janvier 2015. À cette occasion, le gouvernement a bien évidemment communiqué tout ce qu’il a pu pour bien rappeler aux consommateurs / citoyens / électeurs l’importance de ces nouvelles avancées progressistes et a donc mis à disposition des internautes compulsifs du clic un petit site dédié, proposant une batterie de petites vidéos dont le graphisme, les textes et le ton employé laissent penser qu’elles s’adressent à des enfants de 6 à 12 ans… Ce qui n’est probablement pas faux, tant la loi elle-même semble vouloir tout faire pour protéger l’adulescent français des méchantes réalités du monde palpable, plein de meubles aux coins pointus, d’aspérités imprévues et de clauses écrites en petit sur d’interminables contrats qu’il faudrait avoir la folie de lire pour comprendre.
Au passage, je vous encourage à cliquer, à votre prochaine pause, sur ces palpitantes petites vidéos. On y apprend plein de choses sympathiques, et on peut voir à quel point notre ministre et ses nombreux sbires se sont activés pour à la fois mettre leurs petits doigts dans une quantité invraisemblable d’endroits où on ne les attendait pas trop, et nous présenter le résultat de leurs tripotages avec un brio coloré qui serait presque revigorant s’il ne camouflait pas, de temps en temps, des abominations assez catastrophiques.
Par exemple, on se réjouira (peut-être) qu’une action de groupe soit maintenant possible (à l’heure des bad buzz et des réseaux sociaux, elle peut tout de même constituer une alternative intéressante à de longs procès qui tiennent leurs coûts et leur pénibilité d’un engorgement déjà inquiétant et que cette loi ne risque pas d’améliorer) ; on se réjouira moins d’apprendre, au milieu de petits personnages aussi bigarrés que simplistes s’agitant de façon un peu mécanique, que – toujours pour protéger le faible consommateur – la DGCCRF pourra infliger des amendes à de méchants commerçants fraudeurs sans plus s’embarrasser d’encombrantes procédures judiciaires qui avaient le désavantage d’obliger les agents de cette noble institution à respecter un cadre juridique contraignant et éviter de se comporter comme des cow-boys (avec plus ou moins de bonheur, on le reconnaîtra aisément) et de coûter une blinde au système. Alors qu’avec la Loi Consommation, la distribution de prunes en mode accéléré va certainement permettre de faire rentrer de l’argent dans des caisses bien vides. Y’a pas, c’est win-win c’t’histoire.
Mais voilà, comme je l’expliquais en introduction, même dans la République Démocratique du Bisounoursland, tout ne se passe pas toujours bien, et rapidement des effets de bord apparaissent.
Ainsi, lorsqu’on chante avec emphase les joies de la souplesse contractuelle retrouvée, cette loi permettant par exemple de rompre avec des assurances du jour au lendemain après la première année passée, on comprend bien que cette souplesse sera, en réalité, facturée d’une façon ou d’une autre par les assurances qui doivent maintenant tenir compte d’un facteur nouveau : un contrat qui venait d’être renouvelé tacitement signifiait jusqu’alors qu’un client serait pris en compte pour une nouvelle année. Avec la nouvelle loi, l’assureur n’aura plus aucune certitude concernant ce client et devra donc factoriser ce risque dans la prime du contrat. Il y a fort à parier que, comme bien souvent, cette liberté toute relative se traduise concrètement par une hausse des tarifs.
Le plus intéressant ici est que ce qui est imaginable pour cet aspect de la loi n’a pas tardé à se concrétiser pour un autre : depuis que les tarifs de parking sont calculés au quart d’heure, et selon les relevés d’Auto Plus repris dans cet article, ils ont assez sérieusement augmenté.
En effet, l’article 113.7 de la Loi Consommation prévoit que « tout exploitant de parc de stationnement affecté à un usage public applique au consommateur, pour les stationnements d’une durée inférieure à douze heures et payés à la durée, une tarification par tranche de quinze minutes au plus ». Manque de pot ou inconséquence juridique lourde, cette loi ne prévoyait aucune contrainte de tarif (et c’est logique, l’économie planifiée n’ayant officiellement plus cours en France et en Europe, suite – probablement ? – à son succès retentissant). Oh, zut et flûte, certaines communes en ont alors profité pour recalculer leurs tarifs de parking … à la hausse ! Ici, au passage, notez qu’on parle autant de groupes immobiliers spécialisés dans les parkings que de communes où ils sont situés, les uns étant en contrat avec les autres et leur reversant un pourcentage rarement négligeable qui viendra abonder aux caisses communales parfois stressées en ces temps de disette et d’emprunts toxiques en franc suisse trop vigoureux…
Le consommateur va-t-il se regrouper pour utiliser, justement, les belles possibilités de Class Action pour attaquer les méchants commerçants et les gentilles communes qui se gavent ainsi au passage ? Ou mieux, ce même consommateur, utilisant habilement les facilités d’une loi taillée pour lui, va-t-il aller trouver la DGCCRF pour qu’elle envoie Super-Inspecteur péter les rotules d’exploitants et de maires un peu trop gourmands ?
En tout cas, il est certain que cette nouvelle brassée de droits obtenus par le consommateur sur le reste de la société recèle en elle une quantité impressionnante d’opportunités juridiques croustillantes et d’effets indésirables rigolos. Parions que les prochains mois nous fourniront d’autres exemples.