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Et si on noyait le dernier colibri avec la sueur du dernier pigeon

Publié le 28 février 2017 par Ecosapiens

Fermer le robinet quand on se lave les dents, éteindre les veilles, ne pas laisser son chargeur branché pour rien... tous ces petits ecogestes divisent encore les partisans sincères de la transition écologique.

D'un côté les "rationalistes" qui remettent les chiffres à leur place et démontrent que ces ecogestes, même cumulés par millions ne pèsent rien face à certains ordres de grandeur. En rejetant la faute sur le consommateur, ils prétendent que c'est une diversion, une sournoise façon de ne pas accuser les véritables responsables : agriculture, énergie, ...

Ils n'ont pas tort.

De l'autre les "colibristes" qui font le pari que la transformation du monde commence par la transformation de soi et que tout acte, aussi dérisoire soit-il, est une manière de se ré-approprier son destin à sa modeste échelle.

Ils n'ont pas tort.

Une fois cette dialectique posée, qui est en somme la même que celle opposant "petites structures cohérentes à 360 degrés" et "grosses multinationales qui fléchissent d'un degré tous les 5 ans", tout Hegelien qui se respecte a envie de dépasser cette opposition avec une troisième voie.

Et si on noyait le dernier colibri avec la sueur du dernier pigeonEn 10 ans, il me semble que cette opposition existe toujours. Mais ce qui est nouveau, c'est la lucidité partagée par chaque camp. Tout le monde a intégré qu'il n'est qu'un morceau de la solution. Si je ne croise plus beaucoup de partisan radical de la simplicité volontaire, je ne rencontre plus aucun responsable "développement durable" qui en fait des tonnes sur sa multinationale qui contribue à rendre le monde meilleur.

Chacun est bien conscient des limites de son rôle, de son ancrage dans la sphère politique et économique.

J'ai ressenti cela dernièrement en déjeunant avec les fondateurs de Lilo, ce moteur de recherche solidaire, plutôt "colibriste" et qui ne méritait pas mon ire démesurée ! Un échange constructif (et bien différent donc d'un entretien équivalent que j'avais eu avec Veosearch) avec Marc et Clément, les deux initiateurs de Lilo m'a rassuré sur ce point. Ils sont totalement conscients de certaines limites dans leur démarche et c'est pour cela qu'ils prennent les devants, notamment en se positionnant sur l'anonymat numérique (un enjeu que nous allons intégrer durablement avec les récentes élections américaines...)

Le point faible reste la dépendance à la publicité et à Google. Et de ce côté là, il n'y a pas à mon avis pas encore de réelle alternative autonome qui émerge.

Le petit rêve frenchtech se dessine pourtant. Pouvoir un jour surfer sur Internet avec un navigateur open-source et anonyme, à partir d'un moteur de recherche anonyme, performant et français et pourquoi pas flécher une part de la publicité (éthique ?) vers des projets sociaux grâce aux gouttes d'eau collectées par Lilo.

Des projets avancés comme la formidable boîte à outils"Degooglisons Internet" ainsi que le renouveau inattendu du moteur de recherche Qwant sont peut-être les premières étapes d'un tel dessein.

Mais revenons aux gouttes d'eau de Lilo et du colibri !

Quand j'ai écrit les premières lignes de ce billet, à propos de l'utilité des ecogestes, j'ai du m'interrompre pour vérifier certaines choses que j'avais lues à propos du gaspillage d'eau. Croyez-le ou non,ce qui pour moi n'était au départ qu'une simple vérification fact-checking nécessitant quelques minutes, s'est révélé être un vaste chantier qui m'a occupé deux jours durant...

Je m'apprêtais à rappeler que la consommation d'eau pour les particuliers était dérisoire par rapport aux fuites sur le réseau et par rapport à l'agriculture.

Voici ce que dit Wikipedia à la page Eau potable en France :

L'eau en France est consommée à 50 % par l'agriculture, 20 % par l'industrie alors que 30 % est réservée pour l'eau potable

Bingo ! C'est bien ce dont je me souvenais, ce sont les agriculteurs les coupables ! A asperger leur champ sous un cagnard rigolant à l'idée de toute cette eau qui s'évapore au lieu d'abreuver ces étendues de maïs amérindien qui a séduit le marais poitevin...

Bizarrement, j'ai voulu en savoir un peu plus, remonter aux sources. Je suis tombé sur un rapport du ministère du développement durable qui, à défaut de concision, avait le mérite de détailler tous les volumes d'eau que je voulais interroger !

Et là ca ne collait pas du tout. Mais alors pas du tout. Je me suis dit qu'une notion devait m'échapper. S'il faut bien distinguer les "prélèvements" des "consommations", dans aucun cas je ne retombais sur ces 50% consommés par l'agriculture.

Le pire, c'est que la "référence grand public" CIEAU continuait de distiller le doute.

L'agriculture française prélève chaque année 3 143 millions de m3d'eau, soit 9 % des prélèvements nationaux (48 % en part consommée).

Et si on noyait le dernier colibri avec la sueur du dernier pigeon

Si le chiffre absolu de 3,1 milliards de m3 m'était familier à force d'éplucher les données disponibles, jamais il ne pouvait donner ces 48% ou 50% de part consommée. D'où venait l'erreur ?

Wikipedia puise ce chiffre dans un article du Figaro (sic), qui ne mentionne pas sa source mais que je devine être la même que CiEau, à savoir un rapport du Conseil d'Etat (580 pages si vous avez le courage, j'ai particulièrement trouvé goûtu l'infographie page 286...)Et si on noyait le dernier colibri avec la sueur du dernier pigeon

Rapport qui lui-même s'appuie sur ce document de l'IFEN.

Bref, la même erreur depuis 2006 !

En valeur absolue, tout est bon. Mais un problème de calculette et les pourcentages dérapent.

Sankey, le diagramme de la mort qui tue !

Le diagramme de Sankey mériterait d'être plus connu. Il s'agit d'une représentation graphique (comme un camembert, un histogramme...) qui permet de visualiser des flux. J'ai découvert ce type de diagramme grâce à l'association négaWatt qui en a établi des fameux dans le domaine de l'énergie.

Et si on noyait le dernier colibri avec la sueur du dernier pigeon

Ce que je trouve magnifique avec ce genre de visualisation c'est que vous pouvez passer des heures à raconter telle ou telle histoire selon que vous empruntez tel ou tel chemin. Par exemple, sur ce diagramme de Sankey, vous pouvez imprimer d'un coup :

  1. notre dépendance au pétrole
  2. l'efficacité des centrales nucléaires... pour chauffer les oiseaux
  3. la diversité des énergies pour se chauffer

Ni une ni deux, je me suis mis en tête de faire un Sankey pour l'eau en France. J'aurais préféré en trouver une toute prête mais désormais échaudé, j'ai préféré retravailler avec les données que je considère sûres. J'ai quelques approximations.

Et donc mesdames et messieurs, c'est une première ! En tout cas pour moi... Le diagramme de Sankey pour l'eau prélevée et consommée en France !

Hormis sa laideur, ce diagramme de Sankey m'a appris plusieurs choses, et j'espère qu'il aura les mêmes vertus pour vous.

  1. C'est fou le prélèvement d'eau pour refroidir les centrales. Elles ne font pas que chauffer les oiseaux, elles chauffent aussi les poissons ! (sujet d'ailleurs assez méconnu, le réchauffement de 3°C du Rhin)
  2. C'est fou l'inefficacité du réseau d'eau potable. 1 goutte sur 5 n'arrive pas à destination à cause des fuites dans les tuyaux. C'est 1 milliard de m3, soit la même quantité que l'eau consommée dans le secteur tertiaire (hôpitaux, bureaux, écoles...)
  3. L'agriculture consomme donc moins que l'eau potable domestique (3 et 3,5 Gm3). Mais c'est vrai que le pic de consommation en été peut représenter plus en pourcentage. Le plus fou, c'est surtout le fait que 40% de l'irrigation concerne le maïs. Une plante qui sert principalement à nourrir les animaux.

On imagine que le but premier des infrastructures de l'eau est de nous fournir de l'eau potable. Mis bout à bout, comme une chaîne énergétique, on arrive à ce résultat fascinant.

Sur les 33 milliards de m3 prélevés chaque année, 4 millions seulement servent à épancher notre soif. Pour le dire simplement, pour une grande bouteille d'eau prélevée dans nos rivières et nos nappes phréatiques, il y a une goutte qui sera bue !

Du coup je ne sais plus quoi penser. J'ai bien envie d'accuser les agriculteurs, la vétusté du réseau, les gens qui lavent leur voiture, la chasse d'eau qui fuit,...

Mais tout ceci me semble dérisoire, le problème insurmontable. Je me rappelle ce sketch de Franck Lepage qui dit que s'il y a bien une chose qu'on ne fait pas avec l'eau potable, c'est la boire !

Il n'empêche, c'est l'heure de se laver les dents. Dans le doute, je vais couper le robinet.

Et si on noyait le dernier colibri avec la sueur du dernier pigeon


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