
UN RECIT HISTORIQUE DE LEO LARGUIER LE ROI SANS REINE
Obsèques royales
Entre deux averses, le soleil de mars faisait limite les toits de Munich et semblait vouloir sécher les drapeaux en berne aux fenêtres de la capitale bavaroise. Les soldats chargés de rendre les honneurs militaires sur le passage du cortège funèbre qui venait de la « Résidence » ne s’occupaient point de maintenir la foule sur les trottoirs. Les Munichois, respectueux et calmes, attendaient patiemment, sans se bousculer, de chaque côté de l’avenue, voulant saluer le cercueil de leur roi, Maximilien II. Malgré leur habit qui n’était point, pour la circonstance, celui de tous les jours, les citadins avaient un air rustique. Beaucoup fumaient une pipe à long tuyau. Les femmes, robustes et lourdes, ne devaient pas songer énormément à leur toilette. Elles avaient agrafé à leur corsage du dimanche quelque gros bijou cossu de famille, comme un fonctionnaire ou un officier accroche une médaille ou une croix d’ordre au revers de sa redingote ou sur sa tunique, et cela suffisait. Aucune fantaisie élégante. Des cheveux blonds ou roux, en tresses, en coques, ou tordus en chignons massifs ; des poitrines, des croupes généreuses et beaucoup de beaux yeux bleus. Les paysans, venus en carriole des environs, montraient des. visages de montagnards piqués de rousseurs entre leurs favoris, et, sur plus d’une joue, on voyait une de ces estafilades de rasoir faites quand on se rase de grand matin, à la hâte, dans une maison où il n'y a qu’un miroir pour plusieurs personnes. C’étaient là, pour quelques années encore, de bonnes gens d’Allemagne, des sujets obéissants de ces grands Electeurs et de ces grands-ducs héréditaires qui se méfiaient instinctivement de la Prusse, de ce qui se tramait à Berlin, et l’ancienne confédération germanique existait encore, la vieille Germanie, des chênes séculaires, des rocs éclaboussés d’écume sur lesquels au clair de lune chantait la Loreleï, l’Allemagne des poètes, des musiciens, des philosophes nébuleux, des buveurs de "bière et des fraîches filles blondes aux yeux de vergismeinnicht...La vie n’y était pas un drame. Les Etats confédérés y faisaient figure de bons voisins sans ambition; la saucisse, le chou et le houblon y étaient de qualité excellente. On avait pour la France l'admiration qu’un provincial peut avoir pour Paris, et il y avait dans cette foule recueillie des anciens qui avaient vu l’armée française sous les tilleuls.Une petite ville pleine de bonhomie et de curiosité, défilant derrière les tambours et les clairons. Certains même avaient aperçu, entre les drapeaux et les maréchaux brodés d’or, seul, sur son cheval blanc, avec sa redingote grise, et son énorme chapeau sur sa grosse tête de marbre, l’empereur Napoléon !... ils ne le haïssaient pas. Ce n’était pas un général étranger qui venait de battre leurs généraux et leurs princes, c'était le génie même de la guerre, et ils l’admiraient. Ses soldats étaient gais et bons garçons. «L’empereur subjuguaient les hommes, le tambour-major les femmes... », Henri Heine, ce grand poète qui naquit en Allemagne, mais qui voulut mourir à Paris, l’avait dit, et, parmi ceux qui attendaient le convoi funèbre, il y avait des professeurs, des docteurs et des lettrés qui savaient sans doute par cœur les vers de ce conte d’hiver, «Germania », qu’il écrivait en 1844, il y avait juste vingt; ans ; « A Aix-la-Chapelle, les chiens s’ennuient dans la rue et ont l’air de vous faire cette humble prière : — Donne-moi donc un coup de pied, ô étranger! peut-être cela nous distraira-t-il un peu... ». C’est là que je revis l’Uniforme prussien... C’est toujours le même peuple de pantins pédants; ils se promènent toujours aussi raides, aussi guindés qu’autrefois, et droits comme un i ; on dirait qu’ils ont avalé le bâton de caporal dont on les rossait, jadis... Je revis aussi, à l’hôtel de la Poste, l’aigle de Prusse que je déteste tant; il jetait sur moi des regards furieux... ».

(A suivre.)