Aujourd'hui je vous propose de vous parler de la blockchain. Cri d'effroi dans l'assistance, je vous entends déjà dire: " c'est le trending topic des geeks et des nerds de tout poil, on nous dit que c'est LA révolution... mais on entend ça depuis 3 ans et on ne voit rien venir; ça ne me concerne pas et puis de toute manière je n'y comprends rien à chaque fois. " Bon, je vous promets que je n'utiliserai pas de termes technos (ou du moins je vais les expliquer à chaque fois). À la place, nous parlerons un peu d'eMule (vous vous souvenez, ce logiciel pour télécharger des films avant l'avènement du streaming), un peu de Jurassic Park et un peu d'applications dans le tourisme (quand même). Ça c'est du teasing!
Remarque liminaire
Je suis convaincu (comme beaucoup d'autres) du bien-fondé de s'intéresser voire plus, d'embrasser cette technologie qui reste confidentielle par manque de compréhension du grand public. C'est la raison pour laquelle je souhaite apporter ma petite contribution à l'entreprise de vulgarisation du sujet. Un coup d'œil sur la carte ci-dessous permet de se rendre compte de notre retard sur le sujet. Elle recense les entreprises, de tout type, acceptant les paiements par le bitcoin (monnaie électronique) qui représente aujourd'hui le principal usage de la blockchain.
Késako la blockchain ?
Entrons dans le vif du sujet. Wikipédia nous dit " La chaîne de blocs (en anglais blockchain) est une base de données distribuée transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle. " En termes plus simples, voyez la blockchain comme un grand livre (public) de comptes où s'inscrivent des transactions contrôlées par un réseau de volontaires : vous, moi, n'importe qui.
Ce réseau de volontaires, c'est l'aspect " distribué ", un réseau de pair-à-pair (P2P pour les intimes). Souvenez-vous à la fin des années 90, vous téléchargiez de la musique avec Napster puis des films aussi avec eMule, Kazaa, etc. Après installation du logiciel, l'utilisateur est relié aux autres ordinateurs qui font partie du réseau.
Avec la blockchain, on ne s'échange pas des films. On participe à la gestion d'un fichier, " un très grand cahier, que tout le monde peut lire librement, gratuitement, sur lequel tout le monde peut écrire, qui est impossible à effacer et indestructible " selon les mots du mathématicien Jean-Paul Delahaye. Après un certain nombre d'opérations, un bloc est constitué et un nouveau se crée.
Voyons l'aspect sécurité maintenant. Dans Jurassic Park, les dinosaures sont recréés à partir d'ADN récupéré sur des moustiques fossilisés dans l'ambre. Mais il y a des trous qui sont comblés par l'ADN " proche " d'une variété de grenouilles d'Amazonie. Résultat, on obtient des dinosaures différents car leur ADN est corrompu. Mais les scientifiques ne se rendent compte du problème que plus tard.
Dans le cas de la blockchain, dès qu'un bloc est constitué, son ADN (le hash ou somme de contrôle pour les intimes) est calculé selon un algorithme, le SHA256. Cet ADN est repris en en-tête du nouveau bloc pour permettre de contrôler l'enchaînement des blocs et certifier ainsi l'intégrité de la base de données. Cette opération de hachage rend la blockchain infalsifiable.
Le hachage est une opération courante de contrôle d'un objet. Par exemple, vous souhaitez télécharger la suite bureautique Libreoffice. Le hash est fourni dans les informations du fichier d'installation. Une fois ce fichier téléchargé, vous pouvez utiliser un logiciel de calcul de hash pour vérifier si ce dernier est le même que celui fourni par Libreoffice. Si le résultat de votre calcul est différent, c'est que le fichier est corrompu (incomplet ou modifié par un tiers pour intégrer un virus par exemple).
Incorruptible blockchain ? Une transaction entre deux personnes a lieu. Pour être validée elle doit être vérifiée par plus de la moitié du réseau, par exemple que l'acheteur possède bien la somme de bitcoin requise pour un achat. Imaginons un réseau de 100 personnes, 51 personnes sont nécessaires pour ce contrôle. Il faudrait hacker simultanément 51 membres du réseau, sans savoir lesquels cibler, pour leur faire croire que l'acheteur est solvable. En clair, il faudrait insérer une transaction d'achat de bitcoin dans un bloc précédent. Bonne chance !
Attention toutefois : la blockchain n'atteste pas de la véracité d'un document mais qu'il existe sous telle ou telle forme au moment de la transaction. Je vais revenir sur cette nuance plus loin.
Alors la blockchain, à quoi ça sert ? Trois grands types d'usages sont recensés.
- Tout d'abord, il y a les échanges d'actifs qui ne concernent pas que des échanges monétaires. On peut compter également les titres de propriété, des votes, des actions.
- Ensuite, on peut utiliser la blockchain comme registre sur lequel on souhaite certifier et tracer un produit.
- Enfin, il y a les smarts contracts ou contrats intelligents pour garantir la bonne exécution des termes d'un contrat.
La blockchain ça marche avec tout (c'est une base de donnée !!!) : des services, des produits/un stock, des paiements, des programmes de fidélité, des commentaires.
Les applications
Nous nous intéressons dans l'immédiat aux échanges d'actifs et à la certification.
Les échanges d'actifs:
En premier lieu, il y a les échanges monétaires dont le paiement en bitcoin fait partie. Je vous renvoie à ma petite carte du début et le site coinmap.org qui permet de rechercher les établissements qui acceptent ce mode de règlement. Vous en trouverez peut-être près de chez vous... si vous habitez à Paris. On relève des restaurants de la capitale, un café à Bordeaux, quelques gîtes sur l'ensemble du territoire. Mais c'est bien maigre à côté des services recensés par ce top 10 des villes bitcoin friendly : un vignoble à San Francisco, des boutiques et épiceries de New York, des restaurants partout dans le monde.
Les monnaies locales complémentaires (Héol, Abeille, Eusko, etc.) auraient grand intérêt à s'adosser à une technologie blockchain afin de les rendre interopérables entre elles. L'effet serait d'accroître les possibilités de circulation des monnaies et soutenir l'économie locale sur mon lieu de vacances par exemple.
Valoriser l'économie locale, votre Office de Tourisme le fait peut-être avec sa boutique voire une boutique en ligne. Pourquoi ne pas le faire sur OpenBazaar? OpenBazaar est une market place, du Amazon Handmade sans le contrôle (et les commissions) d'Amazon. La place de marché appartient à sa communauté.
Lorsque l'on parle d'échange d'actifs, la valeur échangée n'est pas nécessairement monétaire, bitcoin ou autre. La valeur créée peut être toute autre et le bitcoin est remplacé par un jeton sur lequel on adosse cette valeur. Je parlais plus haut d'actions d'une entreprise par exemple. Mais cette valeur créée, ce peut-être également un kilomètre effectué!!! C'est ce que propose la plateforme La'Zooz en valorisant l'enregistrement et le partage, via son application, de trajets effectués. La communauté La'Zooz se veut in fine une économie des transports auto-gérée et rémunérée au plus juste. Du Uber sans Uber en somme pour décongestionner la circulation automobile.
Les actifs, ce sont également les points de fidélité. Les programmes de fidélité représentent une industrie très fragmentée faite de nombreuses marques aux accords opaques. Les modalités d'utilisation sont complexes à gérer pour l'émetteur et souvent peu claires pour l'utilisateur final. L'initiative de Loyyal est intéressante à ce titre puisque l'entreprise propose rien de moins que de rendre interopérables les programmes existants en connectant les différents acteurs sur sa plateforme blockchain. Des programmes sont en cours de développement à Dubaï et les pays scandinaves pour inciter les touristes à partir à la découverte de sites historiques.
La certification:
C'est le 2e volet qui intéresse particulièrement le tourisme puisque l'une des problématiques majeures de nos métiers consiste à rassurer le consommateur à propos de ce qu'il va trouver sur place durant son séjour.
Ainsi, le commentaire client est au cœur de cette stratégie. Deux axes se dégagent: soit certifier l'avis client, soit tracer l'émetteur de l'avis. Le contrôle par le protocole blockchain de la start-up Buuyers certifie l'avis avant de l'enregistrer.
La start-up américaine The World Table de son côté accentue le travail de la communauté sur l'authenticité du client. Ainsi sont modérés automatiquement les avis malveillants et les trolls.
Un autre exemple de certification. Le touriste en quête d'authenticité paie cette part de terroir dans les produits locaux qu'il achète: alcool, foie gras, etc. Il est donc essentiel de lui garantir la provenance du produit et assurer également qu'il ne s'agit pas de contrefaçon. De nombreux acteurs se sont lancés dans la production de plateformes facilitant la transparence des flux de biens de consommation. Block Verify permet par exemple d'identifier un produit contrefait ou volé. Skuchain de son côté trace l'historique logistique d'un produit, sa provenance et son circuit de distibution.
Conclusion
Les usages concrets de la blockchain sont à portée de main et vont se généraliser dit-on, d'ici 2020. Il est temps au minimum de s'y intéresser, au mieux de prendre part au mouvement.
Quel rôle pour l'Office de Tourisme?
Souvenez-vous, plus haut je vous ai dit que la blockchain atteste de l'état d'un document au temps T d'une transaction mais pas de sa véracité antérieure. J'achète un service, la transaction atteste l'achat du service. En amont, un tiers doit attester que le service existe.
Prenons l'exemple de la mise en location d'un gîte. La première étape serait d'enregistrer la déclaration en mairie sur une blockchain. Puis enregistrer le classement éventuel de ce gîte sur cette blockchain. Faire les transactions avec le client sur cette blockchain. Produire un avis certifié à propos de la prestation sur cette blockchain. Proposer des offres commerciales en partenariats avec d'autres prestataires sur cette blockchain. Qui selon vous serait légitime sur un territoire pour animer le réseau qui porterait cette blockchain?
Historien de formation, c'est par une spécialisation en valorisation des patrimoines naturels et culturels que Jérôme a mis un pied dans le tourisme. Il met sa passion des territoires au service de leur promotion. Jérôme a notamment travaillé dans les Offices de Tourisme de Poitiers, Aurillac et Villeneuve-sur-Lot. Toujours à l'affût d'outils pour entraîner ses collègues dans des approches innovantes, c'est un geek curieux d'apprendre et transmettre. Avec une formation en poche de "Manager de Centre-Ville et de Territoire" au CEFAC, Jérôme rédige son mémoire sur "L'accompagnement numérique par le manager de centre-ville pour la mise en œuvre de stratégie et le pilotage de projets de développement économique et d'attractivité des territoires" et est en recherche de nouvelles opportunités professionnelles.