La croyance en l'impossibilité pour les startups de la FinTech de s'imposer seules sur leurs marchés est tenace parmi les institutions financières. Le dernier exemple en date émane de Crédit Agricole Assurances, dont un récent article déclare, péremptoire : « un robot-conseiller ne remplacera jamais un conseiller humain » (*).
À l'appui de la démonstration, l'auteur présente un large faisceau de preuves, tirées de sources plus sérieuses les unes que les autres, dont une enquête selon laquelle plus de 2 épargnants sur 3 estiment qu'un conseiller financier apporte une valeur ajoutée réelle ou encore le niveau d'adoption extrêmement modeste des services de la dizaine de nouveaux entrants de l'hexagone (7 000 clients pour moins de 100 millions d'euros sous gestion), voire le recours à un accompagnement humain par certains d'entre eux.
Malheureusement, bien que ces faits soient incontestables, le raisonnement tenu est dangereusement défaillant, dénotant un aveuglement digne d'un Kodak face à l'apparition de la photo numérique. Reprenons donc les arguments avancés un à un. En premier lieu, le faible nombre de clients des robo-advisors en France n'a aucune signification dans un domaine où les offres commerciales les plus anciennes ont à peine plus d'un an. Le mythe de la croissance fulgurante immédiate des jeunes pousses, que j'ai déjà abordé dans un précédent billet, est décidément indéracinable…
Plus insidieuse est l'idée que nos compatriotes seraient – contrairement aux américains qui font le succès de Betterment, Wealthfront et consorts – viscéralement attachés au modèle du conseiller traditionnel. Pourtant, la statistique destinée à la confirmer montre que près d'un tiers des personnes interrogées ne sont déjà pas particulièrement convaincues de l'utilité du conseiller – ce qui ne paraît tout de même pas négligeable – et il est hautement probable que cette proportion soit en croissance constante.
En réalité, s'il existe bien une différence entre les deux rives de l'Atlantique, elle est d'abord d'ordre culturel, avec, d'un côté, une certaine habitude (qui tient de l'obligation) de l'investissement et, de l'autre, une défiance des instruments financiers. Cependant, l'évolution de la société, notamment l'effritement progressif de l'état-providence, va nécessairement conduire à des changements de comportement. Et, avec l'apprentissage, puis l'atteinte de la maturité, le besoin d'être pris par la main devrait s'estomper.
J'oserai même avancer une hypothèse plus dérangeante : pour l'importante partie de la population qui n'est pas familière des produits d'investissement, il est possible que les atouts des robo-advisors – transparence, coûts maîtrisés, simplicité et qualité de l'expérience client – soient déterminants, face à un conseiller bancaire qui maîtrise plus ou moins son sujet, au moment de choisir l'intermédiaire qui prendra en charge la constitution d'un capital pour la retraite ou pour le financement des études des enfants. Surtout si un accompagnement humain aide à franchir le pas, au moins au début…
En conclusion, pour revenir à l'exercice d'auto-conviction auquel se livre Crédit Agricole Assurances, il est certain que des collaborations vont émerger entre grands groupes et startups, dont quelques-unes seront fructueuses. Mais, comme je le répète régulièrement, il est illusoire de croire que la FinTech en restera là. Les acteurs historiques devraient s'emparer de cette conviction et se préparer à la concurrence à venir…
(*) Pour être précis, la citation complète, dont je ne pense pas trahir l'essence, est : « un robot-conseiller ne remplacera jamais un conseiller humain pour proposer un projet d’épargne adapté en lien avec les attentes du client ».