Magazine Cinéma
Filmer les côtes du Nord de l’Europe, c’est saisir une beauté austère. Les films qui s’y tournent non ni la passion des plages méditerranéennes, ni l’appel à l’aventure des côtes atlantiques, mais ils captent parmi ces paysages de sable gris, de mer houleuse et de vent sifflant des portraits d’une humanité âpre et sereine.
Bruno Dumont avait déjà magnifié la baie de la Slack sur la Côte d’Opale dans Ma Loute (2016). De son côté, le réalisateur danois Martin Zandvliet prend pour cadre, pour Les Oubliés, la côte occidentale du Danemark, truffée de mines par la Wehrmacht durant la Seconde Guerre mondiale, où l’on envoie mourir de très jeunes prisonniers allemands.
Portraits de jeunesse
Comme son titre l’indique, Les Oubliéschoisit de rendre un corps et une voix à des figures méconnues de l’Histoire. Mais le film a l’intelligence de ne sombrer ni dans le biopic didactique (hormis la brève mention finale des mille jeunes Allemands décédés au cours des opérations de déminage), ni dans l’abstraction discursive. En se concentrant sur un petit groupe d’une dizaine de soldats envoyé dans un secteur bien précis, avec pour seuls contacts humains le sergent danois Carl Rasmussen (Roland Møller), une fermière et sa fille, le scénario étudie de près les relations qui se nouent entre ces jeunes et les Danois. Si le sergent, qu’on voit à l’ouverture frapper des prisonniers allemands pour se venger de cinq années d’occupation, les hait viscéralement au début du film, la proximité avec ces infortunés qui acceptent au péril de leur vie de mettre leurs mains sur des mines dans le vain espoir de rentrer chez eux trouble sa perception binaire du monde.
Ce qui le persuade n’est ni la raison, ni les suppliques des jumeaux Ernst et Werner (Emil et Oskar Belton), mais leurs visages poupins filmés en gros plans, constellés de tâches de rousseur, leurs cheveux blonds qui se marient si bien à la couleur cendre des plages du Nord, et leurs yeux bleus délavés. Rien d’angélique non plus dans ces figures : ces jeunes Allemands sont d’abord des malchanceux, des sacrifiés aussi bien par le Reich que par le nouveau gouvernement danois. Entre ces deux bords essaye d’exister la petite bande.
La pitié sans le pathos
Si l’on ressent de la pitié pour tous ces personnages, celle-ci n’est pas alourdie par du pathos. La mise en scène est aussi sobre que les dunes du film. Pas de musique, hormis de temps à autre une plage de son dissonant ; pas de larmes, mais des visages qui se crispent, tel celui de Sebastian (Louis Hofmann), ou des comportements qui frisent la folie, comme Ernst, lorsque l’un des leurs meurt ; jamais de très gros plans obscènes, mais toujours une profondeur de champ qui replace la douleur dans la dureté du décor.
Les Oubliés se situe ainsi dans la lignée de films de guerre à taille humaine. Sans excès de violence, sans effusion de nationalisme, Zandvliet tente de cerner de plus près ce qu’on pu vivre des combattants malgré eux, toujours engagés dans une guerre folle même après que les canons se turent.
Les Oubliés, de Martin Zandvliet, 2017
Maxime