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« Je vais lui enseigner la chair ».
Seth Brundle se méprend sur le sens de l’enseignement.
Dans La Mouche, David Cronenberg présente la vérité crue du corps humain : il n’est qu’une masse de chair informe.
Brundlefly dégoûte parce qu’il incarne les recoins les plus sombres de notre anatomie. L’animalité du corps humain n’a jamais été montrée avec tant de force qu’avec cet être monstrueux, grotesque, juxtaposition d’éléments hétéroclites plus que recomposition d’un être nouveau.
Précisément parce qu’il ressort d’une esth-éthique du collage anatomique (entre l’homme, la mouche et la machine), Brundlefly choque. Son aspect disparate, qui part en pièces, nous impose de plein fouet une des angoisses primordiales de l’existence humaine : le corps vit une inexorable destruction, jusqu’à la mort.
La lente transformation qui affecte Seth Brundle s’oppose implicitement à un modèle de transformation positif : le super-héros. Spider-Man aussi se modifie au contact d’un invertébré, mais la morsure de l’araignée rend son corps d’adolescent boutonneux plus gracieux, plus athlétique. Au contraire, l’incorporation de la mouche dans le génome de Seth Brundle dégrade ce dernier ; il lui interdit toute grâce, toute sublimation du corps humain.
« Les insectes sont brutaux », dira Brundlefly. Leur brutalité doit se comprendre aussi bien au sens de « violent » qu’au sens de « brut », « primitif ». L’insecte ramène à la base des bases, à un état organique d’avant la forme, à un stade où le corps n’est qu’un bouillonnement continu de chairs plasmiques.
État que cherche à nier l’imagerie du super-héroïsme solaire, qui présente la transformation comme un perfectionnement du corps humain, comme un rapprochement de l’humanité et d’une entité supérieure et parfaite.
En même temps que fond son enveloppe corporelle humaine, la moralité de Brundle se dissout à coup de jets d’acide. Le corps est un objet moral, semble nous rappeler Cronenberg. L’attention portée à son propre organisme, objet à la fois connu et mystérieux, représente un microcosme éthique de nos rapports avec le reste du monde.
À mesure que Brundle se transforme, sa violence s’accroît, et le gore refait surface. Ses pulsions de puissance bestiale scandent la violence visuelle. Monstrueuse, la créature ni homme ni animal défie les représentations sociales, et rappelle à quel point la saisie conceptuelle s’appuie sur des formes.
Que le cinéma d’horreur s’empresse de brouiller.
La Mouche, de David Cronenberg, 1986
Maxime