SXSW: le partenariat Fintech-banques, solution à la débancarisation de l’Amérique

Publié le 23 mars 2017 par Pnordey @latelier

SXSW est un festival à Austin (Texas) qui a pour tradition d’analyser l’innovation avec un regard social. Cette année, le sujet des Fintech a connu un engouement sans précédent, et a pu aussi se révéler à l’aune de l’impact social que peuvent avoir les technologies liées aux services financiers aux Etats-Unis.

2016 a été une année record pour les Fintech avec près de 30 milliards de dollars d’investissement et une croissance de plus de 50% sur l’année précédente. Et le SXSW a été le reflet de cette montée en puissance et de l'importance croissante des enjeux d’inclusion sociale adressés par les Fintech. Le sujet des technologies liées aux services financiers, comme celui de la blockchain, a attiré des foules d’experts du numérique à SxSW, délaissant par la même occasion les énièmes démonstrations de VR proposées. « Il y a quelques années, la fintech à SXSW était un sujet en retrait, s'adressant à un public d'initiés. Cette année on peut dire qu'elle a joué un rôle de premier plan dans l'invitation au questionnement citoyen, amenant de nombreux participants à s'intéresser aux dynamiques d'innovation à l'oeuvre dans l'industrie financière. » s’enthousiasme Thibaut Schlaeppi, Responsable relations & investissements start-up de BNP Paribas Cardif, branche assurantielle du Groupe.

Au coeur des discussions ? La manière dont les Fintech allaient pouvoir mieux servir ceux qui sont exclus du système bancaire classique, en partenariat notamment avec les banques. De là à y voir un signe annonciateur d’une tendance des "Fintech for good" et des "Fintech with banks", il n’y a qu’un pas. Car historiquement, les Fintech ayant eu le plus de succès furent celles liées au paiement comme Paypal, Venmo ou Square. Mais pas que. Le crowdfunding ou financement participatif, est aussi une tendance qui s’est révélée il y a moins d’une dizaine d’années et qui connaît un relatif succès (le crowdfunding représenterait près de 34 milliards de dollars dans le monde), avec déjà là, une dimension sociale. Cependant, les autres services financiers - qui représentent tout de même une industrie de 1 293 milliards de dollars rien qu’aux États-Unis - n’ont pas encore été véritablement transformés par le numérique. Pour y arriver, la plupart des Fintech se mettent à travailler avec les banques.

Les Fintech avec les banques, solution à la débancarisation de l’Amérique

À Austin même, plusieurs jeunes pousses de la finance se sont créées et, point notable, beaucoup adressent la problématique de l’inclusion financière, notamment des minorités, mais également des millennials. Cela n’est pas surprenant. Les Fintech trouvent en effet souvent leur valeur ajoutée dans leur souci du détail de l’expérience utilisateur pour mieux correspondre aux attentes des digital natives. Et les start-up ont tendance, dans un souci de différenciation, à vouloir répondre aux problèmes de celles et ceux qui sont exclus des offres des industriels classiques du secteur, ici, en l’occurrence du système bancaire traditionnel.

Selon Lisa Servon, auteure de "The Unbanking of America" (La débancarisation de l’Amérique), 20% des foyers Afro-Américains et 18% des foyers latinos aux États-Unis ne possèdent pas de compte en banque. L’exclusion des minorités par le système bancaire et l’inadaptation des interfaces pour les habitués des expériences digitales optimales offrent aux Fintech un rôle de premier plan dans une économie américaine où la débancarisation continue de progresser. « Entre 2009 et 2013, le pourcentage d’Américains avec un compte courant est passé de 92% à 88% et le pourcentage d’Américains avec un compte-épargne a chuté de 72% à 68% » explique Lisa Servon.

Le sujet des Fintech pour les débancarisés n’est donc pas uniquement le sujet des marchés émergents ou autres pays en voie de développement. Les banques américaines elles-mêmes sont venues à SXSW faire ce constat. James Patterson, responsable de Capital One Lab, n’a pas hésité à rappeler des chiffres pour le moins éloquents : deux tiers des Américains ne sauraient faire face à une dépense imprévue de $1000 et 60% des faillites sont liées à une dépense médicale. Mais alors qui sont ces start-up qui adressent la problématique de l'inclusion fiancière et quelles solutions proposent-elles ?

Adresser la problématique du credit-score, saint graal des banques 

Dès notre arrivée à Austin, nous sommes allés à la rencontre de Self-Lender. La start-up propose aux Américains d’améliorer leur credit score, indicateur très convoité, censé révéler le niveau de solvabilité des demandeurs de prêts bancaires. En effet, le credit score est lié à l’usage de la carte de crédit et à la manière de rembourser. Le problème est qu’il faut beaucoup de temps pour se constituer un bon credit score, précieux graal pour obtenir un prêt ou ne serait-ce qu’une carte de crédit ou d’être capable de trouver une location sans avoir à avancer 3 mois de loyer en caution. En revanche, la moindre défaillance (comme un retard de paiement) peut être fatale et faire chuter le credit score de manière vertigineuse. Tout le système bancaire étant basé sur ce prérequis exigeant, une bonne partie de la population se trouve exclue de la plupart des services financiers. À commencer par les immigrés qui, par définition, n’ont jamais utilisé de carte de crédit aux Etats-Unis et ont rarement des garants locaux. Mais ils ne sont pas les seuls exclus.

Quand on demande à James Garvey, fondateur de Self-Lender, lui-même américain, pourquoi il s’est intéressé au sujet, sa réponse est sans appel : « Après avoir vendu ma première start-up en Silicon Valley, je suis parti faire un tour du monde avec mon épouse, malheureusement, j’ai oublié un de mes prêts étudiants et quand je suis rentré aux Etats-Unis, j’ai eu la mauvaise surprise de voir que mon credit score était redescendu au plus bas. Ne trouvant pas de réponse satisfaisante pour reconstruire mon credit score rapidement, j’ai eu l’idée de Self-Lender ».

Sa solution ? La start-up propose à ses utilisateurs de servir d’intermédiaire pour qu’ils puissent se faire un prêt à eux-mêmes, qu’ils rembourseront chaque mois, améliorant ainsi leur credit score. Un prêt sans risque pour la start-up, qui coûte une centaine de dollars à l’utilisateur, mais qui lui permettra d’accéder à nouveau à des services financiers classiques et à des taux bien plus intéressants rendant donc cet « investissement » pour son credit score très utile.

La jeune pousse a développé sa technologie en conformité avec les services financiers traditionnels; propose une interface en ligne et utilise la licence bancaire d’une banque partenaire. Self Lender se positionne à la fois en allié des exclus du credit score et en allié des banques par la même occasion. En effet, Self-Lender propose aux banques de lui envoyer les dossiers qu’elles refusent, faute de credit score satisfaisant, et de leur renvoyer les utilisateurs, une fois le credit score amélioré par leur service.

Un algorithme qui corrige les erreurs des historiques de crédit

Nicole Sanchez, fondatrice de eCreditHero, se bat aussi contre les problèmes liés au système de credit score imposé aux banques. En effet, l’entrepreneure est venue à SxSW pour présenter sa solution eCreditHero, une application où l'utilisateur peut envoyer son credit report pour permettre à l’algorithme de détecter les erreurs des credit report (rapport d’historique de crédit à partir duquel le credit score est calculé). “Huit credit reports sur dix contiennent des erreurs!” s’insurge-t-elle. Sa solution mobile-first et gratuite, permet d’améliorer significativement le credit score des utilisateurs en moins d’un mois après 5 minutes sur l’application. La start-up permet donc aux utilisateurs de bien avoir accès aux services bancaires auxquels ils devraient être éligibles.

Nicole Sanchez explique aussi que les Afro-Américains sont deux fois plus condamnés que le reste des Américains pour défaut de paiement, elle fait donc aussi beaucoup de pédagogie sur les services financiers en ligne tout en embrassant les codes des jeunes youtoubers via la chaine d’eCreditHero notamment.

Permettre aux employeurs de rembourser les prêts étudiants de leurs "talents"

Autre Fintech intervenue à SxSW, Student Loan Genius, créée par Tony Aguilar. La jeune pousse, basée à Austin, veut permettre aux millennials de mieux rembourser et plus rapidement leur prêts étudiants. “En moyenne, les utilisateurs de StudentLoanGenius ont 61 000 dollars de dettes. Cette dette va impacter toute leur vie, leurs choix professionnels, leur capacité à atteindre une certaine sécurité financière, à terme à acheter une maison...ou même à préparer leur retraite !” explique Tony Aguilar.

Il est parti du constat que beaucoup de jeunes délaissent les plans d’épargne retraite proposés par les entreprises pour pouvoir rembourser leurs prêts étudiants plus rapidement. La start-up propose donc aux entreprises de permettre de contribuer aux remboursements des prêts étudiants de leurs salariés dans la même logique qu’elles permettent à leurs salariés d’épargner pour la retraite. Cela permet aux entreprises d’attirer et de garder les talents puisque selon elle, 83% des jeunes actifs affirment qu’un avantage social de l’employeur pour leur prêt étudiant est un facteur décisif pour rejoindre l’entreprise.

Mais la jeune pousse ne se contente pas de permettre à l’employeur de rembourser une partie des mensualités, Student Loan Genius propose aussi des plans de refinancement (pour rembourser plus vite ou avec des échéances plus faibles). En moyenne, les utilisateurs peuvent ainsi, au total, réduire leurs paiements de dette de 38%. Là aussi, on voit bien comment une start-up de la finance, peut travailler à l’inclusion financière de minorités, en partenariat avec les banques. La start-up avait même été invitée à la maison blanche par Barack Obama, qui avait des raisons personnelles de s’y intéresser, ayant fini de rembourser son prêt étudiant à l’âge de 43 ans, 5 ans seulement avant de devenir président de la première économie mondiale.

Les Fintech for Good étaient définitivement à l’honneur de cette édition 2017 du SXSW puisque le vainqueur de la compétition de start-up, toutes catégories confondues, face aux jeunes pousses de la santé ou de VR, s’appelle CNote. Elle propose un compte épargne rémunéré où l’intégralité des fonds déposés est investie dans des projet à impact social. Les Fintech for Good ne sont certes pas nouvelles mais avec l’accélération de la débancarisation (+70% de débancarisés aux États-Unis entre 2002 et 2012) et la volonté des banques de coopérer avec les Fintech, apparaissent de nouvelles solutions innovantes permettant une meilleure inclusion financière de la population.

Pour les banques, elles-mêmes prises dans les contraintes du système, comme celles du credit score, ces jeunes pousses de la finance peuvent de manière ingénieuse et agile, être de nouveaux intermédiaires. Et les banques américaines l’ont bien compris. Elles participent d’ailleurs activement aux financements et aux rachats de start-up (près de 90 milliards de dollars en fusion et acquisition de start-up en 2016). Terri Prince, une des dirigeantes de CRM Next, l’a affirmé tout de go au SXSW : “Le seul futur pour les banques est de travailler en partenariat avec les Fintech ou de devenir elles-mêmes des Fintech.” D’ailleurs, une autre session à SXSW était intitulée “Le futur de la banque est déjà là : fintegration”. L'’intégration des Fintech dans la banque apparaît donc comme la solution à la débancarisation de l’Amérique pour plus d’inclusion financière.

"The only future for banks is either to partner with #fintech companies either to...become one!" Terri Prince, VP @CRMNEXT #sxsw pic.twitter.com/Cm7yGd3oHA

— Atelier BNP Paribas (@atelier_us) March 11, 2017