Magazine Cinéma
Starship Troopers amuse beaucoup.
D’une part, l’affrontement interstellaire entre la Fédération humaine et les hordes d’Insectes, à grands coups d’effets spéciaux et de maquettes, a de quoi satisfaire la veine épique du public.
Mais d’un autre côté, l’intelligence de Verhoeven consiste à distiller dans cette adaptation d’un ouvrage explicitement militariste un second degré si subtil qu’il sabote les institutions militaires sans ruiner le spectacle.
L’expérience de Starship Troopers est donc double : on prend plaisir à la fois à un conflit spectaculaire et à une parodie par hyperbole du discours militariste. Un difficile équilibre entre le tragique et le comique. Équilibre humain, en somme.
Verhoeven refuse en effet des techniques de distanciation trop évidentes. Précisément, rien n’est évident dans ce film, et on pourrait très bien n’en faire qu’une lecture premier degré.
Mais le réalisateur connaît l’état d’esprit du public occidental des années 90, et joue de cette complicité passive. Aucun personnage (si ce n’est les parents de Rico, placés en position d’antagonistes) ne vient contester de l’intérieur du film le fait que pour être citoyen de la Fédération au XXIVe siècle, il faille faire son service militaire et y laisser bien souvent sa peau ; et pourtant, peu de gens revendiqueraient un tel élitisme de la citoyenneté à notre époque.
Ce que nous donne à voir le film, c’est donc l’endoctrinement constant des jeunes humains de l’époque.
« Do you want to know more ? », répète inlassablement la voix-off d’une vidéo de propagande. À ce voyeurisme de la connaissance, manipulée par le régime, le film semble répondre : « See more ». La surenchère visuelle est partout, et démonte de l’intérieur du système les structures en place.
Du montage accumulatif de clips de propagande (sur quoi s’ouvre le film) aux morts gores d’officiers sous le regard des caméras, du fantasme technologique aux couleurs sanguinolentes, visqueuses et artificielles qui tapissent le champ de bataille, tout révèle une humanité réduite à l’état de pantins, aussi bien manipulées par ses dirigeants que mises en pièces par les Arachnides. Insectes comme humaines, les masses finissent en morceaux.
Dans cette guerre qui dépasse toutes mesures humaines (100 000 morts en une heure lors d’une bataille, 12 millions lors de la destruction d’une ville), on se raccroche aux quelques personnages que l’on suit depuis le début, en sachant parfaitement qu’ils sont des marionnettes au milieu du spectacle général. Tout le problème est là : que reste-t-il d’humain dans des êtres dont on a fait des machines à tuer ?
Quelques scènes provoquent la stupéfaction, de rire et d’effroi. D’abord, le show télévisé opposant une scientifique, qui soutient que les Insectes disposent d’une véritable intelligence, et un animateur crétin qui juge son argumentaire absurde et se moque d’elle ; parodie à peine voilée de certains talk-shows américains. Et ensuite, la surprise des soldats humains qui découvrent en capturant un Insecte que « ça a peur ! »
Par la métaphore de la science-fiction militariste et de ses dérives anti-démocratiques, Verhoeven met en lumière la dégradation essentielle de l’Ennemi, figure manichéenne, emblème du Mal et de la sauvagerie, Autre à détruire absolument. De tels discours étaient monnaie courante à l’heure de la Guerre froide – et encore en 1997 ; aujourd'hui, les terroristes sont nos nouveaux Insectes, à qui l’on nie toute intelligence.
Starship Troopers, de Paul Verhoeven, 1997
Maxime