Selene Zenetti (Magda Sorel). Photos: Wilfried Hösl
La troupe des jeunes chanteurs de l'Opernstudio de l'opéra de Munich a donné hier soir la première du Consul de Gian Carlo Menotti au théâtre Cuvilliés. Comme chaque année, les jeunes talents de cette pépiniére d'excellents artistes qu'est l'Opernstudio a eu l'occasion de faire la démonstration de son savoir-faire en présentant une oeuvre d'opéra complète y compris dans des premiers rôles généralement réservés à des talents aguerris.
Le choix de cette année s'est porté The Consul de Gian Carlo Menotti, une oeuvre de la moitié du siècle passé dont la thématique est hélas à nouveau au coeur de notre propre actualité puisque elle traite du problème de la demande d'asile et des freins innombrables qu'installent les pays d'accueil potentiels. Menotti avait lui-même composé le livret de son opéra présenté à Philadelphie puis à New York en mars 1950, et qui avait connu sa première munichoise au Theater-am-Gärtnerplatz en 1952.i
Joshua Owen Mills (Der Zauberer), Alyona Abramowa (Vera Boronel),
Selene Zenetti (Magda Sorel), Niamh O'Sullivan (Die Sekretärin),
Paula Iancic (Anna Gomez), Milan Siljanov (Mr. Kofner)
L'action du Consul pourrait avoir lieu dans n'importe quel pays dictatorial. Un combattant de la liberté, John Sorel, est en fuite, sa femme et son fils aspirent à le rejoindre dans le pays où il prétend s'être réfugié. On assiste à la répression policière de la famille et aux tracasseries administratives kafkaïenne du consulat du pays d'accueil. Magda Sorel insiste pour rencontrer le consul, mais n'en apercevra jamais que l'ombre; jamais on ne verra le personnage qui donne son titre à l'opéra. Le drame se complique par la mort du fils Sorel qui fait une chute mortelle au consulat. La secrétaire du consulat incarne la lourdeur administrative et son inhumanité. Magda refuse de communiquer à son mari la nouvelle de la mort de leur fils via le réseau des résistants. John en est cependant informé et revient au risque de sa liberté et de sa vie. Magda, espérant sauver au moins son mari, se suicide par le gaz et John est arrêté.
La pièce nous interpelle particulièrement dans la situation internationale actuelle, car par le jeu du transfert entre les acteurs et le public, les spectateurs ont tendance à s'identifier à Martha et à se trouver par le fait même en situation de demandeurs d'asile, précisément dans un temps où la tendance est au repli timoré et à la défense des frontières. Le choix de cette pièce n'est pas innocent et rentre bien dans la ligne politique démocrate activement défendue par le Bayerische Staatsoper, une institution qui ces dernières années a toujours pris des positions claires contre la montée des nationalismes populistes.
La metteure en scène Christiane Lutz,(-qui vient de diriger la reprise du Lohengrin de Claus Guth à Bastille-) et le décorateur Christian Andre Tabakoff se sont adaptés à l'exiguïté du plateau du théâtre Cuvilliés en proposant des décors ingénieux qui servent bien l'action dramatique. L'appartement des Sorel est totalement dépouillé de mobilier. On n'y voit qu'un mur avec une fenêtre assez large et un radiateur au gaz; la portée symbolique du dépouillement est patente: l'appartement vide n'est qu'un lieu de passage pour des personnes constamment sur le qui-vive, qui ont dès l'entame de l'opéra pratiquement déjà tout perdu, fors la vie, que d'ailleurs tous les occupants perdront dans la progression de l'action. La salle d'attente du consulat, située au premier étage d'un immeuble, est le second lieu de l'action, avec ses objets symboliques du pouvoir administratif: le banc d'attente, les tickets transformant les personnes en des numéros dans une liste, l'enseigne lumineuse dont le numéro affiché permet l'accès à la secrétaire. Une double porte aux vitres translucides donne accès au secrétariat, mais la secrétaire traite la plupart des cas dans la salle d'attente et les demandeurs de visa n'ont que rarement accès au saint des saints, et jamais au Consul. Le banc d'attente est appuyé contre un muret avec une balustrade par-dessus laquelle le petit Sorel basculera pour aller se fracasser à l'étage inférieur. Lors d'un changement de décor, on se trouve au pied de l'escalier menant à la salle d'attente et au secrétariat. Le sinistre emplacement du petit cadavre qui a été enlevé est délimité par des numéros. Ainsi les décors servent-ils d'éléments narratifs, le public restituant la chute du corps de l'enfant et sa mort. Les indications scéniques de Menotti ont été modernisées: les personnages de Christiane Lutz sont équipés des outils de communication contemporains: téléphones et ordinateurs portables, et dans la salle d'attente du consulat on trouve un photomaton, qui servira à l'occasion de confessionnal.
L'Orchestre de chambre de Munich (Münchnener kammerorchester) est dirigé par le jeune chef Geoffrey Paterson qui s'est spécialisé dans l'opéra contemporain, et nous introduit à l'univers sonore de Menotti avec un enthousiasme maîtrisé par un grand souci du détail et une communication très précise avec les musiciens. Un chef au regard lumineux qui fut l'assistant de Kirill Petrenko pendant deux saisons pour le Ring de Bayreuth. On ressent chez Paterson une autorité naturelle et charismatique qui nous fait espérer le retrouver bientôt à Munich.
La soprano italienne Selene Zanetti incarne avec un talent d'actrice consommé et une forte présence en scène le personnage central de Magda. Sa voix puissante et l'intensité de son soprano dramatique verdien conviennent parfaitement à l'interprétation de cette héroïne dont la ferveur et la détermination se verront progressivement minées et conduiront au désespoir halluciné puis au suicide. Elle enlève la longue scène du suicide de façon magistrale tant sur le plan scénique que sur le plan vocal. La jeune Niamh O'Sullivan joue avec brio la secrétaire avec la froideur empruntée et la rigidité qu'exige le rôle, tout en laissant pointer de-ci de-là une pointe d'humanité. C'est elle qui nous tend le miroir sinistre et inquiétant de ce que nous sommes devenus. Johannes Kammler interprète John Sorel de son beau baryton chaleureux. Signalons enfin l'excellente mère de Helena Zubanovitch. Joshua Owen Mills et Igor Tsarkov, déjà bien connus et appréciés du public munichois, viennent compléter le plateau très homogène de cet opéra politique très dérangeant, une production brillante dont on sort pas mal sonnés.
La programmation de cet opéra vient à point nommé secouer le confort de la capitale bavaroise.
Prochaines représentations et réservations
Les 30 et 31 mars (places restantes)
Les 2, 7 et 9 avril ( places)
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