Une interview de Serge Federbusch pour Atlantico !
Atlantico : En plus de tous les ralliements de ces derniers mois, Manuel Valls doit réunir ses soutiens mardi 28 mars et les rumeurs d'un ralliement à Emmanuel Macron vont bon train. Dimanche, une dizaine de sénateurs UDI, qui avaient par ailleurs soutenu Nicolas Sarkozy en 2012, ont également annoncé rejoindre le candidat d'En Marche!. Comment expliquer l'écart qu'il peut y avoir dans ces ralliements ? Pourrait-il y avoir une caractère illusoire dans ces différentes démarches ?
SF : François Hollande a été affublé du drolatique sobriquet de «capitaine de pédalo» par Mélenchon qui s’y connait en matière de navigation en eaux troubles socialistes. Voilà maintenant Macron, mousse sur la même embarcation !
Car Macron n’est que l’hologramme de Hollande, sa déclinaison dans tous les sens du terme. Hollande, une fois évacuées ses diatribes démagogiques sur la «finance ennemie» a eu pour principal objectif de faire survivre le système clientéliste français dont le PS se nourrit et qu’il entretient en retour. Les vrais riches et les entreprises ne peuvent plus être pressés faute de les voir tous partir. Les banlieues font peur. Ce sont donc les classes moyennes et les cadres jeunes ou expérimentés qui ont été essorés par la pression fiscale. Parallèlement, Hollande a obtenu de l’Allemagne et de la Commission européenne, qui craignent l’effondrement de la France, de ne pas diminuer les dépenses publiques.
Résultat : le traitement des maux de la France est différé mais ils ne font que s’aggraver.
Macron, si l’on éclaircit le verbiage obscur qu’il produit à destination des gogos, veut suivre les mêmes recettes que Hollande. Prenons l’exemple de son interview sur l’Europe dans Libération. Une succession de voeux pieux sur sa relance et de formules creuses occulte le fait que Macron ne disposera pas et ne se donnera aucun moyen de faire pression sur nos «partenaires». Le corset de l’euro et l’empilement de règles qui nous privent de notre souveraineté économique et commerciale ne serra en aucune manière desserré.
Dans ces conditions, l’austérité en demi-teinte qu’il promet pour l’Etat sera loin d’être suffisante pour rétablir les équilibres budgétaires mais s’inscrira dans le maintien d’une politique dépressive. Et rien ne garantit que Macron puisse bénéficier de l’ «alignement des planètes»de ces dernières années qui a vu la baisse concomitante des taux d’intérêt et du cours des matières premières.
Macron sera donc comme Hollande en pire : un adepte de compromis boiteux dissimulés par la propagande qui finissent par nous faire perdre sur tous les tableaux.
Paradoxalement, c’est bel et bien cet écran de fumée, cette promesse d’un statu quo repeint aux couleurs du «progressisme» qui attire tous les «biftekards»des partis et les opportunistes en rupture de ban. Macron, c’est le nouveau trou noir de la politique française où chacun croit pouvoir trouver sa place car il ne voit pas ce qu’il s’y passe.
Cela étant, même s’il est meurtri par son sort, je ne pense pas que Valls ira s’y engouffrer autrement que par un vague appel au vote. Il sait que Macron l’utiliserait pour le jeter ensuite comme un vulgaire chiffon. Comme Valls d’ailleurs, tous les quadras et quinquas qui ambitionnent un premier rôle ne peuvent qu’être rebutés par un Macron susceptible d’occuper le poste pendant dix ans. Seuls les seconds couteaux sont attirés, comme des alouettes, par ce miroir.
Atlantico : En quoi le candidat d'En Marche peut-il également incarner une solution pour préserver les choix fondamentaux faits par les élites françaises depuis le début de la Vème République (que ce soit en termes de projet européen ou de stratégie économique) tout en ne souffrant pas des maux des partis traditionnels ?
SF : Le problème de Macron est plutôt inverse. Si tant est qu’il soit élu à la présidence, il est loin d’être assuré de disposer d’une majorité à l’Assemblée nationale car les investitures auront été distribuées par le PS et LR à des gens qui lui sont largement hostiles. Il n’aura pas le temps de les retourner entre présidentielle et législatives pour leur mettre un dossard «En marche». Et il est peu probable que les candidats «marcheurs» pur jus forment une majorité à eux-seuls.
Aucun des grands candidats aux Primaires de la gauche n’a encore rallié Macron et il est très douteux que Montebourg, Aubry, Peillon ou d’autres le fassent un jour. Un vieux roué en politique me disait un jour : «Le PS est comme le syndicat des pharmaciens du Lot-et-Garonne. Tous ses membres le critiquent mais personne ne le quitte.»
Plus grave encore pour lui, quand bien même Macron disposerait après tractations d’une majorité, elle serait fragile, nécessiterait des compromis incessants et, surtout, le laisserait démuni face aux mouvements de rue et d’opinion.
Hollande a trente ans de pratique derrière lui pour désamorcer les conflits. Ce savoir-faire lui a été très utile face à la Manif pour tous, aux Bonnets rouges, aux lycéens décervelés par Leonarda, aux Nuit debout, etc. Macron, entouré de hauts fonctionnaires autoritaires et de grands patrons brutaux, ne saura pas traiter ce genre de phénomène. La tension montera vite, fragilisant en retour une majorité prête à exploser au premier coup dur.
Macron, s’il est élu, sera le chant du cygne d’un système moribond. Il n’aura ni la vision ni les forces lui permettant d’y substituer autre chose qu’un chaos progressif.
Atlantico : Par ailleurs, la dynamique de ralliements favorable à Emmanuel Macron pourrait-elle également s'expliquer par le fait qu'il incarne une alternative au populisme ? Là où Marine Le Pen serait le "bélier" des catégories populaires pour justement changer profondément le système politique, l'ancien ministre de l'Economie pourrait-il être celui de la prolongation du système politique traditionnel ?
SF : Un affrontement Le Pen/Macron aurait le mérite de poser clairement la question de l’accommodement au système actuel ou de son rejet. Il est probable que Macron gagnerait, de manière pas aussi triomphale que le disent les sondages toutefois.
Tout dépendra alors du résultat des législatives et de l’environnement économique international. Si un seul de ces deux facteurs pose problème, le système pourra se maintenir quelques années encore en hoquetant. Si les deux font défaut, la dégradation sera rapide et brutale. Macron aura alors été l’ultime mais vain joker de l’oligarchie.
Cela étant, l’hypothèse d’un premier tour plus serré que ce que nous disent actuellement les sondages et d’un écart très faible entre Fillon et Macron reste d’actualité.
Il n’est pas à exclure que la baudruche Macron dégonfle d’ici un mois laissant place à un duel Le Pen/Fillon car ils sont encore nombreux, en France, à ne pas vouloir d’un «post-hollandais» au pouvoir, ni de près ni de loin.