Le personnage principal du film, Gilbert Perez, interprété par Vincent Elbaz, est directement inspiré de Gilbert Chikli, notoirement connu pour ses arnaques téléphoniques, commises entre 2005 et 2006.
Quels sont les éléments vous ayant particulièrement attiré et intéressé dans la figure de Gilbert Chikli ?
Pour être tout à fait franc, le personnage m’intéressait moins que ce qu’il a fait. Ce qui m’intéressait, c’est quand on m’a parlé de l’arnaque au président.
Ce type qui braque des banques avec un téléphone, je me suis dit qu’il y avait sûrement là un challenge en terme de grammaire cinématographique. Un challenge à rendre visuelle une arnaque téléphonique. C’est vraiment ça qui m’a intéressé. Faire un film qui parlait de manipulation, je trouvais ça intéressant en tant qu’objet cinématographique.
Mais lui, en tant que tel, ne m’intéressait pas plus que ça. Ce qu’il a fait est dingue, parce que c’est un type qui a un instinct redoutable. Mais après, j’ai romancé sa vie, je n’ai surtout pas fait un biopic.
Et malgré tout, au moment de la sortie du film en France, on me ramenait toujours à lui. Alors j’expliquais que j’ai utilisé ce qu’il a fait, mais qu’en aucun cas je ne raconte son histoire. Son histoire ne m’intéresse pas du tout.
Je n’ai aucun respect, aucune admiration. J’ai rencontré d’autres escrocs, des flics, qui m’ont beaucoup plus intéressés que lui. Une certaine forme d’admiration pour des juges, des flics, mais pour lui non.
Je n’aime pas trop ce genre de profil. Ce sont des gens toxiques. Des manipulateurs.
J’avais surtout envie de comprendre les victimes, comment cette mécanique est possible aujourd’hui quand tout est contrôlé, certifié. Comment on arrive avec un coup de téléphone à ouvrir des boîtes ultra-sécurisées comme Thomson Armement, Dassault… Je me suis dit que ça pouvait faire un film.
Est-ce que vous pensez qu’actuellement, il serait encore capable de faire la même chose ?
Ah mais il continue. Lui dit que non, mais je sais qu’il continue. Il a une équipe, il continue de faire de l’arnaque au président. C’est un principe qui n’arrivera jamais à terme : il s’agit « juste » de retourner quelqu’un, de se faire passer pour un supérieur. Ça peut aller loin.
C’est d’ailleurs quelque chose sur lequel vous avez voulu mettre l’accent dans Je compte sur vous ? Je pense notamment à la fin. Montrer que quoi qu’il arrive, il est définitivement irrécupérable ?
Oui je voulais montrer qu’il est un peu dingue. À la fin il veut donner le change, mais son fils ne le croit plus. C’est sûrement mon côté judéo-chrétien qui fait qu’à la fin, il finit par payer et se retrouver un peu seul.
On m’a beaucoup reproché en France d’avoir fait un film là-dessus, c’est très moral, voire moralisateur par certains côtés. Au Journal de 20h, on m’a demandé comment j’avais pu faire un film sur un type pareil, qui aurait touché des droits d’auteur sur le projet.
Ici le film a reçu un accueil beaucoup plus détendu par rapport à ça. On parle avant tout d’un escroc.
Pourtant on ne peut pas dire que vous l’ayez glorifié dans le film…
C’est une nouvelle fois ce politiquement correct en France qui a mis à mal tout le paysage, et qui fait que ça devient très compliqué de faire des films aujourd’hui.
Il y a des films que l’on a fait il y a cinq-dix ans que l’on ne pourrait plus faire aujourd’hui. Parce que ce n’est pas « moral ».
Est-ce une réelle contrainte pour monter vos projets ?
Oui bien sûr. C’est compliqué. Mon premier film date déjà d’il y a six ans. Pour celui-là, je n’ai pas été très bien financé. Sur deux pays, je l’ai fait comme j’ai voulu le faire, mais ça a été très compliqué.
Il y a une frilosité totale du métier aujourd’hui. Si on prend le cinéma français, il y a deux, trois très bons films par an. Le reste du temps il ne s’exporte pas ou peu.
Il n’est pas en mauvaise santé, mais je ne suis pas non plus époustouflé par la qualité de notre cinéma, honnêtement.
Le récit est constamment animé d’une sorte de sentiment d’urgence. Le tout est très rythmé, avec beaucoup d’ellipses, temporelles, spatiales. Démarche créative, ou conséquence justement de contraintes financières et d’impératifs de tournage ?
Non, ce ne sont jamais des contraintes financières. Les contraintes arrivent après, au moment de la fabrication. Mais en général, ce sont de bonnes contraintes. Quand vous êtes pris avec des contraintes financières, ça vous fait travailler l’imagination, et en général, vous trouvez des solutions qui sont souvent meilleures.
La contrainte est surtout scénaristique. Dee savoir comment on entraine des gens dans une histoire comme ça. Au demeurant très ténue.
Au début, je racontais un peu la mafia pour laquelle le personnage principal travaillait. Puis je me suis finalement dit que je n’allais pas refaire Les Affranchis… Scorsese l’ai fait mille fois mieux que je ne serai jamais capable de le faire. Donc les mafieux, je les ai suggérés de loin.
Il fallait faire des choix. J’ai fait le choix d’un homme assez ordinaire, avec sa femme, son fils. Et qui devient le diable dès qu’il prend un téléphone. Je ne voulais pas en faire une espèce de mec flamboyant.
Non, c’était une contrainte de par le sujet, et j’ai bien mis trois ans à trouver le bon angle. À me demander comment j’allais le raconter. Parce que c’est un passage très compliqué, on n’a pas nécessairement envie de l’aimer : c’est un personnage assez orgueilleux, arrogant. C’était quand même difficile d’adhérer à sa personnalité, et donc de lui donner des circonstances que j’ai imaginées.
Il fallait que je m’en sorte pour qu’on adhère quand même au personnage, qu’on ne le déteste pas tout de suite.
Est-ce que c’est ce qui fait que le film oscille constamment entre comédie et polar ?
Ça c’est plutôt mon style d’écriture. Je ne conçois pas de faire un film uniquement drôle, ou uniquement triste. Même dans Tête de turc, qui était un film un peu dense, il y avait quelques scènes pour ouvrir la fenêtre et respirer un peu.
C’est ma façon d’écrire, et ce film-là, oui, je ne voulais pas en faire un pur polar.
Ce qui m’a attiré, c’est toute l’arnaque la première demi-heure, l’arnaque téléphonique. C’est un des côtés polar. Il fallait qu’il y ait un peu d’humour dedans, mais j’aimais aussi son côté suspense. Me dire « est-ce que ça va marcher ? ». De tendre le fil.
Après je n’avais pas envie de faire La Vérité si je mens non plus.
Donc trouver le ton n’a pas été une difficulté. C’est mon style finalement. Mais la grosse problématique, c’était de savoir comment j’allais arriver au bout de cette histoire.
La première arnaque de Gilbert Perez dure environ 25 minutes, soit à elle-seule un quart du film. Ce qui tranche justement avec cette mise en scène volontairement dynamique, extrêmement découpée. Pourquoi avoir accordé autant de temps, ménagé autant d’espace à cet événement ?
En fait, avec le recul, je me demande même si je n’aurais pas du démarrer le film directement par l’arnaque. Comme c’était d’ailleurs le cas dans les premières moutures du scénario.
Sans entrer dans sa vie à lui. Mais après ça devient un film tellement de genre… Ça enferme un peu trop.
Vous n’auriez pas aimé justement faire un film purement de genre ?
Si, pourquoi pas. Mais le problème, c’est que je suis parti sur lui, et il m’a un peu phagocyté… Je me suis longtemps posé la question.
Après honnêtement, je n’aurais sûrement pas réussi à tenir une heure et demi sur cette arnaque-là. J’étais parti sur un film sur lui, donc…
Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, je me pose la question. Je me dis, avec le recul (le film est quand même sorti il y a un an et demi en France) que la partie la plus forte du film reste la première demi-heure.
Après c’est un sujet qui m’a été amené, je ne l’ai pas écrit de A à Z. Évidemment je me le suis approprié, j’ai quand même mis trois ans à l’écrire. J’ai fait beaucoup d’enquêtes et tout, mais oui…
Tête de turc, c’était mon sujet. C’est quelque chose que j’avais besoin d’écrire. Là c’était plus quelque chose qu’on m’a amené.
Je suis parti à Tel-Aviv pour rencontrer le mec, je me suis dit « c’est vrai que c’est étonnant ce qu’il a fait », mais je ne voyais pas encore le film. J’ai bien mis six mois avant de dire « ok, on y va ». Je ne voyais pas le point de vue scénaristique là-dessus.
En fait j’ai du mal avec les films de commande. Même si celui-là n’en est pas tout à fait un parce que je l’ai quand même écrit. Mais par exemple, j’ai failli faire un film adapté d’un livre suédois pour UGC. Et bien si j’avais dû aller jusqu’au bout, peut-être que j’aurais été malheureux. Je suis peut-être très français là-dessus, je me rends compte que je suis sûrement très français…
Ce lieu commun voulant que les français ne savent pas faire de films de commande, mais veulent toujours être les auteurs. Ce qui est vrai au fond. Si on me vient avec quelque chose qui me parle profondément, même si c’est de quelqu’un d’autre, je peux le faire. D’ailleurs j’ai failli le faire.
Mais ce film-là, au bout d’un moment, j’ai eu un problème. Parce que quand on n’aime pas l’individu sur lequel on travaille, même si je l’ai romancé et ramené un peu à moi, ça parasite l’approche. En tous cas moi, ça m’a parasité. À un moment donné, il était trop présent. À un point tel que j’ai fini par oublier que c’était une histoire qui partait de lui.
N’avez-vous pas été tenté de dépeindre le personnage de manière très à charge, afin d’exorciser quelque part cette part de malaise ?
En fait, je ne pouvais pas vraiment le faire davantage à charge que ce que j’ai déjà fait. Avec justement ce côté moraliste judéo-chrétien où à la fin je le fais payer, il est en prison, il est tout seul… En fait au début, je voulais dépeindre un individu beaucoup plus sévère, le portrait d’un vrai psychopathe.
Je voyais un type beaucoup plus toxique, avec des conséquences vraiment tragiques pour ses victimes : un type qui se serait pendu chez Thomson par exemple. Plus proche du vrai en fait.
Et puis je me suis dit que si je faisais vraiment ça, j’allais faire deux entrées. Les gens n’auraient pas embarqué. Mon producteur aurait flippé…
À la fois il me poussait à y aller, et d’un autre côté, à élargir autant que possible le cadre pour maximiser les chances de faire un succès public, quand moi j’étais vraiment parti sur un portrait plus sévère, beaucoup plus strict.
Mais ça aurait été un autre film, un peu comme Shame sur l’addiction sexuelle, qui est un film assez âpre. Mais en France, on ne sait pas vendre ces films-là.
Et inconsciemment, on se met cette pression-là.
Quand les gens lisaient les premiers jets du scénario, ils disaient « on n’aime pas ton personnage ». Sauf que dans Scarface, on aime le type. On aime Scarface pour une scène : quand il refuse de tuer à New-York le mec avec ses gamins.
Mais à la limite, quand on me disait lors des retours de scénario « on n’aime pas ton personnage », je ne demandais de toutes façons pas à ce qu’on l’aime… Mais ceux qui disent « on ne l’aime pas » sont souvent ceux aussi qui disent « on ne te financera pas ».
Pour vos prochains projets, est-ce qu’un financement à l’étranger pourrait vous tenter ?
Bien sûr. Au Québec, j’ai essayé, ça pourrait être intéressant, parce qu’il y a beaucoup de gens au talent incroyable ici, mais il n’y a pas d’argent.
Un ami, Vincent Perez, qui a fait un film avec Emma Thompson, Seul dans Berlin, a eu des financements allemands assez aisément.
Je vais peut-être faire un film en langue anglaise. Un tout petit film co-produit par les anglais, l’Allemagne, potentiellement tourné en Irlande. C’est un projet sur un sujet qui m’intéresse beaucoup. Et ce sera un tout petit budget, donc c’est une liberté.
Enfin une liberté… J’ai fait ce film-là en six semaines, ce qui reste très réduit. Pour un budget très restreint, deux millions et demi, sur deux pays. Et encore, ces deux millions et demi, on a dû batailler pour les avoir.
De manière générale, c’est nettement plus frileux qu’il a encore cinq ou dix ans. On pouvait encore aller sur des sujets forts, les gens nous suivaient. Là aujourd’hui c’est très frileux.
Pour Je compte sur vous, les gens trouvaient tous le sujet sympa, mais ils avaient peur d’y aller. Parce que ce n’était pas une comédie comme on l’entend en France… Enfin toujours un peu les mêmes conneries…
C’est compliqué de faire du cinéma en France aujourd’hui. À moins de s’appeler Desplechin, aujourd’hui Maïwenn, ou des gens comme ça, c’est difficile d’être ambitieux.
Même avec votre notoriété ?
Honnêtement quand on arrive devant des financiers, ils se fichent pas mal de la notoriété. Quand on arrive devant eux, on n’est pas grand-chose, on est nul.
On est très loin du mythe qui circule comme quoi on planerait, qu’on ferait ce qu’on veut.
Quand on arrive en financement, les gens qui pensent qu’on est gâtés, qu’on a la grosse tête : il suffirait qu’ils nous accompagnent pendant cette période-là, de préparation et de financement, ils se rendraient compte que ça peut être bien plus compliqué que ce qu’ils imaginent. Que ça peut être difficile à vivre.
Les gens qui décident désormais du cinéma, ce sont souvent des gens qui sortent d’écoles de commerce… Des gens intelligents, mais on ne fait pas le même métier. Mais voilà, sans eux, on n’est pas là.
Je Compte sur Vous dispose d’un casting de tout premier ordre : Vincent Elbaz donc, mais aussi Julie Gayet, Zabou Breitman… Dans quelle mesure diriger des acteurs et des actrices expérimentés a été un atout pour le film ?
Je n’ai pris que des amis. Tous les gens que vous voyez, ce sont des gens que je connais de très près. Quand je fais un film, je ne veux pas m’entourer de starlettes. Quand on a aussi peu de budget, un temps aussi court dans des conditions aussi difficiles, il faut avoir des soldats avec soi. Donc quand on est comme moi, avec des collègues de classe, des camarades de classe, on les appelle, ça peut dire oui ou non tout de suite.
Ça peut dire non, mais tout de suite. Ça c’est mon privilège.
Même si ça rassure évidemment les chaines d’avoir des gens connus. Mais en réalité, ils sont surtout très regardants sur le rôle principal.
Pour Je compte sur vous, France 2 voulait que je tienne moi-même le rôle, mais un mois après je me suis dégonflé. Six semaines pour ce film, devant et derrière la caméra, je ne m’en sentais pas capable…
Du coup j’ai pu prendre Vincent Elbaz, ça passait à leurs yeux, mais c’est vrai qu’ils ont vraiment leur mot à dire sur le premier rôle.
Ça rassure également le producteur de savoir qu’il y a des noms connus. Mais moi, je ne vois pas des noms connus. Je vois des gens qui sont camarades, avec lesquels je sais que ça va aller vite et bien.
Après, j’ai voulu effectivement voulu monter le film avec deux acteurs précis, et je n’y suis pas arrivé. Même avec un tout petit budget.
Depuis cinq, six ans, le cinéma chez nous… Ce n’est pas comme au Québec, mais on n’en est pas loin. C’est très dur.
On fait beaucoup de films, mais avec des moyens de plus en plus limités. Avant, un budget moyen, c’était cinq millions, maintenant c’est trois. Et quand je dis trois, c’est quand on les a.
Ce qui n’est vraiment pas beaucoup…
C’était encore impensable il y a cinq ans. Maintenant Canal+ ne donne presque plus d’argent au cinéma, ou très peu. Toujours aux mêmes… C’est compliqué d’émerger.
Sur ce film, j’ai eu France 2, mais je n’ai eu ni Canal+, ni… un grand distributeur. J’ai Rezo Films, qui sont très sympathiques, mais c’est un petit distributeur.
Je ne dois ce film qu’à la pugnacité de mon producteur, qui a dit « on y va, même si on n’a pas tout le financement ». Il voulait absolument que ça se fasse.
Un sujet comme ça, normalement il n’aurait même pas dû voir le jour.
Je me suis régalé à le réaliser, mais ça a pris du temps. Et entretemps, j’avais peut-être changé, je n’avais peut-être plus envie de le faire. Reste qu’une fois lancé, je me suis amusé comme un petit fou.
Mais dorénavant, quitte à investir autant de temps, autant que ce soit sur un sujet qui m’irradie à cent pour cent.
La musique occupe une place essentielle dans la narration, et donne presque l’impression d’être perpétuellement présente, malgré de nombreuses séquences desquelles elle est pourtant absente. De manière générale, quelle place occupe la trame sonore dans votre approche de cinéaste et dans votre processus créatif ?
Je suis très sensible à la musicalité d’un film. Le cinéma, c’est un cadre, des acteurs, une lumière, des mouvements de caméra. Et c’est une musique. C’est vraiment un ensemble. S’il y en a un qui est discordant, ça peut rendre bancal toute l’entreprise.
Lors de la préparation du film, j’avais une certaine idée de comment le rythmer. J’avais beaucoup en tête Requiem pour un con de Gainsbourg, avec son côté percussions très présent. J’ai beaucoup fait souffrir mon compositeur, je voulais quelque chose de très brut, un peu à la Whiplash, toutes proportions gardées.
Et en même temps, il ne faut pas que cette musique vous assomme. Il faut de temps en temps laisser respirer.
La musique peut être un partenaire précieux, mais aussi une maitresse dangereuse. Si vous en mettez partout pour surligner le propos, ça peut tellement alourdir le tout…
Mais bizarrement, c’est assez compliqué pour moi de mettre de la musique sur un film. Parce qu’expliquer à un compositeur ce dont on a envie quand on n’est pas musicien, c’est quand même assez compliqué.
En revanche je sais vite ce qui ne va pas, et où.
Est-ce quelque chose que vous avez travaillé en amont, ou au contraire, que vous avez construit au fur et à mesure ?
Au fur et à mesure. J’avais des idées en amont, à peu près de ce que je voulais comme rythme…
Mais après honnêtement, des réalisateurs qui ont déjà la musique qu’ils vont pouvoir utiliser directement lorsque le tournage débute sont très gâtés. Avec tous les problèmes de droits d’auteur, savoir si on va pouvoir utiliser tel ou tel morceau…
Non moi c’est une fois que j’ai le montage. La vraie musique, pour moi, arrive après le premier montage. Parce que parfois, ce montage ne respecte pas du tout la structure du scénario.
J’ai dû jeter le scénario parce que le film ne tenait pas. Tel qu’il était écrit sur le papier, tel qu’il était filmé, ça ne tenait pas. Ça c’est l’alchimie parfois bizarre du cinéma. Il faut parfois jeter le scénario, et reprendre le montage pour réagencer les choses proprement.
Comme sur mon premier film, Tête de turc. La première demi-heure, telle que je l’avais écrite, ça ne marchait pas. Et du coup j’ai dû trouver une solution de telle sorte que tout s’est finalement enchaîné, mais voilà, au montage, c’est un nouveau film qui nait.
La musique ne dépend ainsi que de cette vision-là.
L’important, c’est de laisser la musique accompagner l’image, et non l’inverse. Parfois certains se trompent… Ils ont un super morceau, ils font de la super image, et au bout de vingt minutes, on s’essouffle, il n’y a plus rien à raconter.
Dans quelle mesure le cinéaste nourrit-il l’acteur, et l’acteur inspire-t-il le cinéaste ?
Quand je dirige, quand je mets ma caméra, je ferme les yeux, je sais où est le point de vue de la scène. Ça c’est le réalisateur qui aide le comédien.
Après, il y a le comédien qui sait diriger ses acteurs. Quand un acteur me dit « il me manque quelque chose, je n’y arrive pas », tout de suite instinctivement, je sais qu’il lui manque un marche-pied, un accessoire…
Et puis, le comédien me nourrit, parce que dans mon travail de théâtre aussi, j’ai un sens du plateau, je sais où mettre ma caméra.
J’ai l’impression que si je n’avais pas été comédien, si j’avais été juste scénariste, je serais beaucoup moins complet.
Le comédien sert beaucoup au réalisateur. Est-ce que maintenant, le réalisateur sert le comédien ?… Moins, mais un peu quand même. Par exemple, j’explique souvent le pouvoir du montage à des camarades, parfois même très connus : « ferme les yeux, et imagine le montage ».
On fait un métier technique. Ce n’est pas le théâtre. On n’est pas obligé d’être bons du début à la fin. Donc ça aide aussi à détendre, à rassurer. Penser finalité de la chose. Ce que les comédiens ont souvent beaucoup de mal à faire.