Magazine Cinéma
Félicité, chanteuse dans un bar populaire de Kinshasa, met tout en œuvre pour sauver son fils de quatorze ans, victime d’un accident de moto. Mais dans une ville corrompue et résolument hostile aux femmes indépendantes, l’épreuve se révèle un parcours du combattant
Félicité vs le monde
Félicité (Véronique Beya Mputu) a beau porter le nom du bonheur, la vie n’est pas rose tous les jours à « Kin ». Pour que son fils soit opéré, il faut payer le chirurgien avant l’opération. Pour récupérer l’argent qu’elle avait prêté à différentes personnes, elle doit recourir aux services d’un policier, en échange d’un large pot-de-vin.À cet endettement permanent s’ajoutent les moqueries que subit une mère seule et courageuse. De la part du père de son enfant, qui prend de haut une femme qui voulait mener sa vie comme elle l’entendait. De la part de Tabu (Papi Mpaka), un voisin, habitué du bar où elle chante, qui rêve de puissance orgueilleuse.Si Félicité, Ours d’Argent à la Berlinale 2017, est résolument fictionnel, le réalisateur Alain Gomis donne toutefois à son film une empreinte documentaire. Corruption des services publics, violences, désirs écrasés… : à travers l’œil de Félicité, Kinshasa se dévoile comme une ville au bord de l’implosion. Ce qui ne peut que renvoyer à l’actualité des derniers mois, lorsqu’en septembre dernier les manifestations venues des quartiers populaires de Kin furent réprimées dans le sang par l’autocratique président Joseph Kabila.
Lyrisme et narration
Mais on ne saurait réduire le film d’Alain Gomis à du réalisme social convenu. Ni pathétique, ni polémique, la mise en scène fait le choix du lyrisme, notamment lors des scènes de chant la nuit, qui scandent le rythme du récit. Encore plus belles sont les scènes de l’orchestre Kasai Allstars, détachées de toute narration, qui expriment les puissances larvées qui courent dans la capitale congolaise.Cependant, le lyrisme et la narration ne vont guère ensemble dans Félicité. Si les scènes lyriques sont magnifiques et aussi expressives, elles restent minoritaires au sein d’un récit qui reste, somme toute, assez convenu. Sans doute le film aurait-il gagner en puissance vibratoire en mettant plus en avant les scènes presque magiques qui font son originalité, à l’instar de la rencontre nocturne entre Félicité et un okapi. Libérées du carcan narratif, les séquences oniriques donnent à sentir l’énergie qui habite les êtres de l’écran bien plus qu’une narration prétendument réaliste.
Félicité, d’Alain Gomis, 2017
Maxime