J’ai eu récemment l’opportunité de faire partie d’une délégation en visite à Munich, organisée par la fondation Hanns Seidel, et qui portait sur l’expérience allemande, entre autres, en matière des PME. Et le moins que je puisse vous dire est que contrairement à ce qu’on a coutume de dire, à savoir que les PME familiales pénalisent les économies africaines, la success story du Mittelstand allemand, fondé justement sur des PME familiales est là pour nous prouver le contraire.
En effet, 99%des entreprises allemandes sont des PME, cela n’a pas empêché l’Allemagne d’être le troisième exportateur mondial. Par ailleurs, la taille intermédiaire a permis aux PME allemandes d’avoir une plus grande flexibilité pour pouvoir s’adapter aux mutations de leurs environnements. Ainsi, face à la mondialisation et la concurrence étrangère, elles ont pu se spécialiser dans des niches à haute valeur ajoutée et contenu technologique et être ainsi à l’écoute du marché. Quant au caractère familial, 95%des PME allemandes sont des sociétés familiales. Pourtant, elles génèrent 39 % du chiffre d'affaires global des entreprises du pays et emploient 14 millions de salariés, soit 61% de la population active. Donc, si le problème ne se situe pas dans les PME en soi ou en leur caractère familial, quels sont les secrets de l’alchimie des PME allemandes?
Primo, une gouvernance familiale rigoureuse. Contrairement aux PME africaines où les relations familiales sont synonymes de situations de conflits, de rente et de mauvaise gestion, dans les PME allemandes, les questions de succession sont très tôt et méticuleusement réglées. Les héritiers désignés pour reprendre le flambeau doivent avoir l'esprit d'entreprise et sont souvent invités par leurs parents à faire leurs armes dans des sociétés extérieures en tant que salarié « ordinaire » et non pas comme « fils de ». Cette culture de la gouvernance familiale est intéressante, d’une part, parce qu’elle est orientée vers le long terme, puisque les familles cherchent à développer leur patrimoine pour le transmettre et non pour réaliser une plus-value à court terme. Et d’autre part, en temps de crise, comme en toute famille, solidarité oblige, les employeurs ne laissent pas tomber leurs employés.
Secundo, le sens de la responsabilité dont font preuve à la fois les employeurs et les employés. En effet, dans la constitution allemande figure un principe fondamental sur lequel est assise la conception de l’entrepreneuriat allemand : « propriété oblige ». Comprenez : le patron a des droits, mais aussi des devoirs, notamment celui de faire prospérer son entreprise dans l’intérêt général, à commencer par celui de ses salariés qui sont considérés comme des partenaires. En échange, les salariés sont impliqués davantage dans l’effort collectif et le développement de la valeur de l’entreprise avec plus d’initiatives, d’esprit d’innovation et de performance, ce qui explique la qualité du « Made in Germany ».
Tertio, les relations entre les différentes parties prenantes sont basées sur la cofinance, la coopération et le respect mutuel. Ainsi, contrairement au modèle conflictuel en vigueur chez nous, en Allemagne les relations sociales sont plus apaisées et obéissent au fameux principe de cogestion, signifiant que les syndicats sont des partenaires et participent aux choix stratégiques. Ainsi, au plus fort de la crise en 2009, les syndicats avaient accepté le recours temporaire au chômage partiel lorsque les carnets de commandes étaient tombés très bas. Ils ont aussi facilité les réformes du code de travail sous le mandat du chancelier Schröder entre 2003 et 2005. Et même les concurrents ne sont pas considérés comme des ennemis, puisqu’en dépit de leur rivalité, les PME allemandes n’hésitent pas à coopérer. En ce sens, elles ont su aussi accroître leur efficacité en mutualisant la recherche, comme dans les instituts Fraunhofer. De même pour affronter la concurrence mondiale, les PME allemandes n’hésitent pas à coopérer dans d’autres domaines comme les achats, le marketing, la logistique, ou encore créer des standards techniques communs et réduire ainsi les coûts pour tous.
Cet esprit de coopération existe aussi entre PME et banques, notamment les caisses d’épargne régionales qui, grâce à leur ancrage territorial local, fonctionnent comme un guichet unique offrant crédit bancaire ou garantie. Dès lors, environ 80% des PME obtiennent les financements de leur banque et 70% des sociétés effectuent la plupart de leurs opérations bancaires avec leur banque, leur caisse d’épargne ou leur caisse coopérative locale. Enfin, les relations entre grandes entreprises et PME allemandes méritent l’admiration dans le sens où les grands groupes respectent les PME. En fait, les grands groupes allemands ont tendance à considérer leurs sous-traitants ou leurs fournisseurs plus petits comme de véritables partenaires. Du coup, en matière de délais de paiement par exemple, ils ne les utilisent pas comme des tampons pour amortir le choc d’une mauvaise conjoncture et soigner leur trésorerie. Au contraire, les grands groupes sont conscients que leur développement dépend de la survie de ces PME.
Somme toute, au lieu de se plaindre toujours de nos PME, il est possible d’en faire un véritable fer de lance des économies africaines, en s’inspirant du cas allemand, on arrive à développer, à partir de notre culture, des valeurs comme le travail bien fait, le respect des partenaires, la coopération et le sens de responsabilité. Ces valeurs ne peuvent être décrétées, mais devraient émaner d’un processus d’éducation dans le cadre d’un nouveau modèle de société. Elles ne peuvent se consolider non plus que dans un système décentralisé où la proximité des acteurs entre eux et leur ancrage territorial leur permet de coordonner et de coopérer plus facilement. D’où l’importance de mettre les PME africaines au cœur d’un processus de décentralisation avancée.
Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc) - Le 14 avril 2017.