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Cent jours, cent nuits, de Lukas Bärfuss

Publié le 14 avril 2017 par Francisrichard @francisrichard
Cent jours, cent nuits, de Lukas Bärfuss

Cent jours, cent nuits, c'est le temps qu'il a fallu, d'avril 1994 à juillet 1994, pour exterminer 800 000 Tutsis au Rwanda. Le roman puissant de Lukas Bärfuss décrit la vie au Rwanda d'un administrateur suisse de la  Direction du Développement et de la Coopération pour l'aide humanitaire, DDC, de fin juin 1990 jusqu'à ces cent jours funestes de 1994.

L'auteur précise d'emblée que dans ce livre, les faits historiques sont authentiques, les personnages sont imaginaires. En fait, le narrateur de cette histoire laisse la parole à cet administrateur, David Hohl, qu'il présente comme un homme brisé et qui l'est avec tout ce qu'il raconte et - ce qui est encore plus important - avec tout ce qu'il [lui] cache.

Pourtant à lire ce qu'il raconte, il ne semble pas que David Hohl cache grand chose à son interlocuteur. En tout cas c'est bien suffisant pour ne pas douter que les années - et plus encore les cent derniers jours -, qu'il a passées dans l'enfer rwandais, aient pu le briser et aient pu lui ôter toutes illusions, s'il en avait, sur la nature humaine et sur lui-même.

Les faits, à moins de s'y être intéressé de près, ne sont pas forcément connus dans leur complexité et c'est le grand mérite de l'auteur de les rappeler, sans porter de jugement sur ceux qui en ont été les acteurs: il s'est visiblement agi pour lui de comprendre surtout comment une délégation suisse a pu se rendre, involontairement, complice d'assassins.

Bien sûr les coopérants, tels que David, ne pouvaient considérer la dictature du président Hab comme une option valable, mais cela leur suffisait de se dire: Nous étions des experts et nous savions qu'ici ce n'était pas le meilleur des mondes, mais que ce n'était pas le plus mauvais non plus, tout au plus le quatrième ou le cinquième plus mauvais...

Les apparences étaient trompeuses pour eux. Les gens auxquels ils avaient affaire, en effet, étaient honnêtes, très peu semblaient accorder beaucoup d'importance à l'argent, et il n'y avait pratiquement pas de corruption: La modestie était une exigence sociale et les bailleurs de fonds internationaux les aimaient bien pour leur modestie.

Il n'est donc pas étonnant que ce pauvre pays de montagnes ait reçu beaucoup plus d'aide au développement que bien d'autres. David ajoute: Nous autres Suisses, nous nous reconnaissions dans cette frugalité et cet amour de l'ordre. Cet amour de l'ordre ne suffira toutefois pas pour le maintenir, ce en raison d'un tabou qui a déterminé l'histoire.

Si les coopérants étaient incapables de comprendre ce secret, c'est qu'il fallait être natif du pays pour faire la distinction, parmi les habitants, entre Courts, Hutus, et Longs, Tutsis, dans toutes les combinaisons subtiles entre eux, et qu'ils ne pouvaient être sûrs de l'appartenance de quelqu'un à un groupe qu'en voyant la carte identité sur laquelle elle figurait...

C'est en tout cas ce tabou qui va petit à petit mettre le pays à feu et à sang pendant quatre ans (quand les Longs, les Tutsis, chassés du pays, voudront y revenir) et être à l'origine du génocide de la minorité tutsie, pendant cent jours, après que l'avion du président Hab, un Hutu, a explosé en vol le 6 avril 1994, avec à bord d'autres personnalités rwandaises et burundaises...

David, humain, trop humain, au milieu de ces troubles puis de ce génocide, vit, puis survit. Il en sort brisé non seulement par les événements auxquels rien ne le préparait, mais aussi par ses amours défuntes avec Agathe, la belle africaine, à laquelle il n'aura cessé de penser, depuis qu'il l'a vue à l'aéroport de Bruxelles au moment de son départ en mission... 

Francis Richard

Cent jours, cent nuits, Lukas Bärfuss, 224 pages L'Arche (2009)

Un livre suivant:

Koala, 176 pages Zoé (2017)


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