La révolution numérique va-t-elle entraîner la raréfaction du travail, et donc la nécessité de créer un revenu universel, comme le soutient Benoît Hamon ? Certainement pas ! Et voilà pourquoi.
Un article de l’Iref-Europe
Il faut reconnaître à
Benoît Hamon une certaine habileté pour avoir mis au centre des débats cette question. L’idée a séduit les électeurs de la primaire socialiste, mais elle est parfois aussi soutenue par des libéraux. L’IREF, par les analyses de Jean-Philippe Delsol et de Nicolas Lecaussin, a montré en quoi la thèse n’avait rien de libéral et n’était qu’un assistanat généralisé, un étatisme infinançable ; c’est une dévalorisation du travail et un retour aux sources du marxisme, avec le «
droit à la paresse » du gendre de Marx, Paul Lafargue !
Mais il y a un argument auquel certains ont été sensibles. B. Hamon évoque «
la raréfaction du travail liée à la révolution numérique » : l’automatisation détruirait massivement des emplois, ce serait peu à peu « la fin du travail » (Jeremy Rifkin), et le revenu universel serait une réponse sociale à cette loi inéluctable. La thèse n’est pas nouvelle. Chaque étape du progrès technique a été marquée par la peur de la disparition des emplois. Les révoltes des canuts de Lyon, dès 1831, brisant les machines par peur du chômage, ne sont qu’un exemple de
la peur de la machine «
mangeuse d’homme »,
dénoncée il y a cinquante ans par Alfred Sauvy (
La machine et le chômage).
La destruction créatrice visible à moyen et long terme
Le progrès technique détruit des emplois ; c’est ce qu’on voit. Mais il crée du pouvoir d’achat qui va s’employer ailleurs, et la main d’œuvre ainsi disponible permet de produire des biens et services nouveaux : c’est ce que l’on ne voit pas immédiatement. C’est la fameuse
« destruction créatrice » de Schumpeter, qui manifeste le fait que l’économie, c’est le changement permanent : le progrès technique libère du facteur travail, ce qui permet de produire autre chose et d’accroître production et consommation, tout en réduisant pour ceux qui le veulent la durée du travail. Il n’y a aucune raison que cela s’arrête.
Le phénomène est visible à très long terme. Le tableau ci-dessous, qui retrace deux siècles d’évolution des emplois, montre que l’immense majorité des Français travaillait en 1800 dans l’agriculture ; le progrès technique a permis de produire beaucoup plus dans ce secteur, avec une main-d’œuvre extrêmement réduite (moins de 3% aujourd’hui). Mais les anciens agriculteurs ou leurs enfants, passés dans le secteur secondaire, ont permis le développement des secteurs de l’industrie et du bâtiment. Le même phénomène s’est produit ces dernières décennies : le progrès technique a réduit l’emploi industriel et permet à la main-d’œuvre de se tourner vers les services : le tertiaire occupe aujourd’hui plus des trois quarts des emplois.
Répartition de l’emploi par secteur d’activité de 1962 à 2007.
Sur la période plus récente, une étude de l’INSEE a montré que cette évolution s’accentuait. Or, dans la période retenue, la population active occupée, celle qui a effectivement un emploi, est passée de 19 à 26 millions : il y a donc eu plus de créations que de destructions. Sous l’effet du progrès technique et de l’évolution des choix des consommateurs, le pouvoir d’achat ainsi créé a permis de diversifier nos consommations.
Source : INSEE, 50 ans de mutations d’emplois, INSEE première N°1312
Des destructions à venir pas si massives que cela
La question qui est posée par les débats actuels, c’est de savoir si le numérique change la donne. Il détruirait tellement d’emplois qu’inéluctablement le chômage de masse deviendrait la norme. C’est oublier un peu vite l’ampleur des évolutions passées, les millions d’emplois disparus dans l’agriculture, grâce à la mécanisation, et retrouvés ensuite dans l’industrie et plus tard le même phénomène entre l’industrie et les services. C’est aussi exagérer l’ampleur du phénomène. Une étude de Carl Frey et Michael Osborne estimait que 47% des emplois américains auraient disparu d’ici 2020. L’OCDE a contesté leur méthodologie et montré en 2016 que seuls 9% des emplois seraient détruits par le numérique et la robotisation. Un ordre de grandeur guère différent de celui des mutations précédentes. Cela ferait en France 3 millions d’emplois menacés en dix ans, ce qui est inférieur aux mutations d’emplois d’une seule année, puisque Pôle emploi enregistre en moyenne 500 000 entrées et sorties du chômage chaque mois (571 000 en décembre 2016, catégories A + B + C) ! L’emploi ne cesse de bouger.
Mais des mutations majeures qui nécessitent davantage de liberté
L’OCDE montre aussi que 30% des emplois, sans disparaître, vont évoluer sérieusement. Voilà le fond de la question : l’automatisation va modifier les tâches effectuées, plus que détruire l’emploi. Le numérique accélère les mutations. Cela souligne avant tout l‘importance de la capacité de réaction des uns et des autres et donc la flexibilité nécessaire pour s’adapter : seule la liberté économique peut le permettre. D’où le rôle de la formation, pas tant aux techniques, vite obsolètes, mais à l’adaptabilité, qui repose sur une bonne culture générale et une capacité à faire face aux changements. Parmi les emplois d’aujourd’hui, une large part n’était même pas imaginable il y a dix ou vingt ans. Si l’on peut évaluer les emplois qui vont disparaître, en revanche les nouveaux emplois de demain ne sont guère imaginables aujourd’hui.
Et donc la solution passe par moins d’État
C’est dire que l’État et ses techniques de prévisions et de planification sont totalement disqualifiés pour prédire ce qui n’est pas prévisible. Les emplois de demain seront imaginés par des entrepreneurs créatifs, pourvu qu’on les laisse libres de créer, et par les libres choix des consommateurs, ce qui nécessite moins d‘État, et non davantage d’État comme le pense M. Hamon ! Les besoins humains en santé, loisirs, éducation, culture, voyages, communication, services à la personne, etc. sont illimités, donc les emplois aussi.
Reste un autre argument de M. Hamon : le revenu permanent permettrait à ceux qui le veulent de s’orienter vers des services non marchands et le bénévolat. Celui-ci est nécessaire et crée du lien social. Mais il relève du libre choix de chacun et ne saurait être étatisé et rémunéré via le revenu permanent, au risque de perdre son âme et sa créativité, et de transformer les solidarités de proximité en une immense bureaucratie.