Toute l’oeuvre romanesque de Dany Laferrière est frappée du seau de l’exil. Sa vie entière entre Haïti et le Québec a été déterminée par l’exil : tout d’abord celui de son père, contraint à quitter le pays à cause de François Duvalier, dit « Papa Doc » et de ses sinistres tontons Macoute, puis celui du fils poussé au même exil à cause de « Baby Doc », le propre fils du dictateur. Dans ce récit romancé, tous les thèmes habituels de l’auteur sont abordés : la filiation, l’écriture, le pays natal et donc, bien sûr, l’exil. Et les conséquences de l’exil sur le statut d’écrivain. « Le dictateur m’avait jeté à la porte de mon pays. Pour y retourner, je suis passé par la fenêtre du roman »
Le narrateur de cette histoire retourne en Haïti pour y enterrer ce père qu’il n’a pas connu mais qui a influencé toute sa vie d’homme, d’auteur et d’exilé. Trois conditions qui s’entremêlent : l’annonce du décès du père permet à l’homme de se remettre à écrire. Et de s’interroger sur tous les moteurs qui poussent un homme à continuer de vivre, à un écrivain de continuer d’écrire. Et puis bien sûr c’est le moment du retour en Haïti, si longtemps après l’avoir quitté, contraint pour échapper à la mort. Le moment de se confronter à tous les fantasmes que le temps a érigé en frontières floues entre le Québec et Haïti. Malgré les douleurs, les absences, les pères inconnus et les mères par delà la géographie des terres et le sang des hommes. « Écrit-on hors de son pays pour se consoler ? / je doute de toute vocation d’écrivain en exil » Dans ce roman récompensé par un Prix Médicis en 2009, Dany Laferrière laisse un peu tomber ses allégories sexuelles et fantasques à tout va de ses précédents ouvrages et se fait plus grave, plus introspectif, et peut être plus brillant encore. Il y aborde les racines d’un être et les limites d’une conscience politique autant qu’intellectuelle. Il y convoque Aimé Césaire bien sûr : l’exil et la négritude rassemblent à travers les âges ces deux écrivains et ces deux poètes avant que l’auteur ne prenne ses distances d’avec le chantre martiniquais du retour au pays natal. Très différent de ses romans précédents, L’énigme du retour est à mon sens le plus réussi des romans de Dany Laferrière, peut-être le plus vrai - si l’on considère que la réalité est une notion dotée de sens.
Dany Laferrière - L’énigme du retour, Grasset, 304 pages, 18.3 €