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L'actualité de Benjamin Constant, Colloque à Lausanne, pour le 250e anniversaire 1/2

Publié le 07 mai 2017 par Francisrichard @francisrichard
Olivier Meuwly, Cercle Démocratique de Lausanne, et  Pierre Bessard, Institut Libéral

Olivier Meuwly, Cercle Démocratique de Lausanne, et Pierre Bessard, Institut Libéral

Le Cercle Démocratique de Lausanne et l'Institut Libéral organisaient ce samedi 6 mai 2017 à Lausanne un colloque sur le thème: L'actualité de Benjamin Constant. Les actes de ce colloque paraîtront prochainement, d'ici la fin de l'année.

En attendant cette parution (le texte fera l'objet d'un volume des annales de l'Association Benjamin Constant), un aperçu de ce qui s'est dit permettra déjà de se rendre compte pourquoi le grand philosophe politique est plus que jamais d'actualité.

Si ce colloque a eu lieu à Lausanne, ce n'était pas fortuit. Comme l'a rappelé Pierre Bessard, le directeur de l'Institut libéral, dans son propos introductif, Benjamin Constant y est né, au n°7 de la place Saint-François, où se trouve aujourd'hui le Cercle Littéraire.

Mais c'est aussi à Lausanne, plus précisément à Montchoisi, que Benjamin Constant a rencontré, le 18 septembre 1794, Germaine de Staël, dont on sait quelle place elle a occupée dans sa vie personnelle...

Plaque apposée promenade Derrière-Bourg, à Lausanne

Plaque apposée promenade Derrière-Bourg, à Lausanne

Dans la capitale vaudoise, une avenue et une place portent le nom de Benjamin Constant, qui, à Paris, n'a eu droit qu'à une petite rue dans le nord du 19e arrondissement: il s'en est fallu de peu qu'il ne se retrouve en banlieue, dans le neuf trois...

A Lausanne, Promenade Derrière-Bourg, une plaque fut apposée par Me Agénor Krafft, fondateur des Amis de Benjamin Constant. Le texte reproduit sur cette plaque devrait donner à réfléchir à tous ceux qui parlent de liberté:

Par liberté, j'entends le triomphe de l'individualité tant sur l'autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les masses qui réclament le droit d'asservir la minorité à la majorité. Le despotisme n'a aucun droit.   

Léonard Burnand, Vincent Valentin, Damien Theillier, Alain Laurent, Jean-Philippe Feldman et Pierre Bessard

Léonard Burnand, Vincent Valentin, Damien Theillier, Alain Laurent, Jean-Philippe Feldman et Pierre Bessard

En début de matinée, Léonard Burnand, président de l'Institut Benjamin Constant, retrace, en 20 minutes, un peu moins de 200 ans de postérité de l'auteur d'Adolphe. Il commence par ses funérailles à Paris, le 12 décembre 1830, auxquelles 150 000 personnes assistent...

Cette apothéose est éphémère... Car, au libéralisme individualiste de Constant, s'oppose très vite le libéralisme étatiste de Guizot et des Doctrinaires. Sainte-Beuve ne ménage pas non plus ses attaques ad hominem contre Constant... 

Deux associations Benjamin Constant naissent et disparaissent: une première en 1924, avec Guy de Pourtalès, une deuxième en 1954, avec Me Agénor Krafft. La troisième, en 1979, sera la bonne: elle compte aujourd'hui 200 membres.

Depuis la mort de Constant des personnes aussi différentes qu'Edouard Laboulaye, Paul Bourget, Maurice Martin du Gard (Actualité de Benjamin Constant, 1928), Isaiah Berlin, Friedrich Hayek ou Ralph Raico ont dit ce qu'ils lui doivent.

Mais ceux qui se sont réclamés de son héritage idéel l'ont souvent malheureusement réduit à ce qui pouvait servir leurs propres causes de circonstance... en omettant de parler de ce qui pouvait éventuellement les contredire.

L'édition, par l'Institut Benjamin Constant, de ses oeuvres complètes et de sa correspondance, en une cinquantaine de volumes, dont une trentaine a déjà paru, devrait rendre justice de ce qu'il a réellement apporté à la philosophie politique.

L'actualité de Benjamin Constant, Colloque à Lausanne, pour le 250e anniversaire 1/2

Damien Theillier, fondateur de l'Institut Coppet, rappelle que Benjamin Constant a été confronté à des paradoxes qui n'ont pas laissé de le troubler et qu'il a essayé d'élucider tout au long de sa vie.

Comment la Révolution française, qui avait été un espoir de liberté, a-t-elle pu échouer? Comment la loi, qui devait en principe lutter contre les privilèges, a-t-elle pu, par son hypertrophie, devenir un instrument de répression?

Rousseau était, à cet égard, le paradoxe personnifié: il était à la fois l'apologiste de la liberté et de l'assujettissement à la volonté générale, faisant les lois.

Montesquieu avait eu le mérite de dire que la justice préexistait à la loi, mais Constant regrettait qu'il se soit fait le chantre de la multiplication des pouvoirs plutôt que de leur limitation.

En fait, en prônant l'obéissance à la volonté générale, Rousseau n'a fait que déplacer le pouvoir du roi au peuple, avec pour défauts:

- de ne pas voir que le droit est antérieur à la loi

- d'affirmer que la volonté générale ne peut pas se tromper, ce qui suppose que le corps social:

   . veuille sans intermédiaire

   . soit uni quand il s'exprime

   . exerce le pouvoir et le subisse.

En réalité la volonté générale n'existe pas. C'est un mythe. Sans limites, elle devient l'expression d'intérêts particuliers opposés à d'autres intérêts particuliers.

La volonté générale doit donc être circonscrite dans les bornes que lui tracent la justice et les droits des individus. C'est le principe de garantie.

Les droits individuels, c'est le principe de liberté:

La liberté n'est autre chose que ce que les individus ont le droit de faire, et ce que la société n'a pas le droit d'empêcher.

Les libertés qui doivent être garanties à chacun sont:

- le droit de dire son opinion: les erreurs ne doivent se détruire que d'elles-mêmes

- le droit de professer le culte qu'il préfère

- le droit de ne pouvoir être ni jugé ni détenu arbitrairement

- le droit de propriété illimité: d'en abuser même

- le droit de choisir son industrie et de l'exercer.

A ce sujet Damien Theillier observe que l'enrichissement personnel ne nuit pas à autrui, alors que l'État nuit toujours.

L'actualité de Benjamin Constant, Colloque à Lausanne, pour le 250e anniversaire 1/2

Vincent Valentin, professeur de droit public à Sciences Po Rennes, se demande comment lutter contre une évolution i-libérale.

Il y a deux libertés:

- le droit à la vie privée

- le droit à la participation politique.

Pour défendre la vie bonne, une manière d'être (libre), il faut maintenir ces deux libertés, celle des modernes et celle des anciens.

Selon Vincent Valentin, ce qui est important, c'est la liberté intellectuelle et la liberté spirituelle. Et plus que l'État, c'est l'opinion qui peut être dangereuse pour la liberté.

La vraie garantie des droits est donc de se préoccuper de l'opinion: la liberté doit être entretenue. Car il y a d'importants mouvements anti-libéraux au sein de la société:

- le fondamentalisme religieux

- le droit à la reconnaissance

- le principe de dignité.

La méthode consiste:

- à défendre les deux libertés, à peser sur l'une comme sur l'autre

- et à plaider pour la supériorité de l'individualisme.

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Benjamin Constant écrit dans le Commentaire de l'ouvrage sur Filangieri:

Tout impôt inutile est un vol que la force qui l’accompagne ne rend pas plus légitime que tout autre attentat de cette nature ; c’est un vol d’autant plus odieux, qu’il s’exécute avec toutes les solennités de la loi ; c’est un vol d’autant plus coupable, que c’est le riche qui l’exerce contre l’indigent ; c’est un vol d’autant plus lâche, qu’il est commis par l’autorité en armes contre l’individu désarmé.

Pierre Bessard en tire les conclusions qui s'imposent à propos de la spoliation qu'est toujours l'impôt:

- en économie, l'État ne doit pas entraver les marchés (les prix sont des signaux qui guident l'offre pour qu'elle puisse répondre à la demande) et ne doit pas accorder de subventions

- les droits sociaux sont contraires aux droits individuels

- l'État doit se limiter aux tâches régaliennes.

En effet, même dans ce dernier cas, même lorsque les dépenses sont nécessaires, elles sont un mal et sont improductives. Comme aurait dit Frédéric Bastiat:

- il y a ce qu'on voit: les dépenses publiques

- il y a ce qu'on ne voit pas: les investissements privés qui auraient pu être faits (la solution la meilleure est de toujours laisser les ressources dans le secteur privé).

La motivation d'une grande partie des agents de l'État est leur intérêt, qu'il soit électoral, financier ou autre. 150 ans avant l'école du Public Choice de James Buchanan et Gordon Tullock, Benjamin Constant disait déjà que les intérêts des gouvernants n'étaient pas ceux des gouvernés et qu'il ne fallait pas présumer de leur altruisme...

Benjamin Constant:

- souhaite idéalement un système fiscal stable et prévisible

- opte pour un impôt proportionnel, parce que la progressivité de l'impôt est discriminatoire

- est sceptique à l'égard des impôts sur la consommation

- dit non à l'impôt sur les capitaux et la fortune, parce qu'il est contraire à la garantie de la propriété.

Pierre Bessard imagine aisément que Benjamin Constant serait pour:

- des taux maximaux

- le frein à l'endettement, tel qu'on le connaît en Suisse

- le combat d'idées

- la culture politique.

Il n'est pas sûr qu'il serait pour le droit du refus de payer l'impôt, mais il est sûr qu'il prônerait la primauté de la propriété individuelle pour parvenir à ces fins.

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Jean-Philippe Feldman, avocat à Paris, a publié un article sur Le constitutionnalisme selon Benjamin Constant sur le site de l'Institut Libéral. Il n'en reprend pas tous les termes et laisse aux auditeurs intéressés le soin de le lire.

Il va plutôt ce jour répondre à trois questions:

- qu'est-ce qu'une constitution?

- est-ce une garantie pour la liberté?

- une constitution est-elle utile?

La conception classique, celle de Hans Kelsen, est de dire qu'une constitution est la loi fondamentale et que son contenu est libre.

C'est incompréhensible pour Benjamin Constant parce que cela présuppose une confiance dans les élus. Or, d'une part il a une défiance à leur égard, parce que ce sont des hommes comme les autres et qu'ils sont malhonnêtes; d'autre part, à ses yeux, une constitution doit permettre au contraire à l'individu de se protéger du pouvoir. 

Pour Constant la théorie dite de séparation des pouvoirs de Montesquieu est insuffisante. Il lui reproche d'attribuer tout le pouvoir pour le morceler après.

Quoi qu'il en soit, dans cette conception classique, les normes les plus basses doivent être conformes à la norme fondamentale.

Pour contrôler l'application de la constitution, des institutions ont été créées: la Cour Suprême aux États-Unis, le Conseil Constitutionnel en France. Ce qui est essentiel, c'est de savoir:

- comment en nommer les membres

- comment la saisir

- quelles sont les normes de contrôle.

Une bonne constitution ne doit pas être changée et protéger du pouvoir: aux États-Unis, c'est le cas, la Constitution et les 8 premiers amendements sont restés les mêmes (sans doute, justement, parce qu'ils ne comportent pas de principes socialistes...); en France, les spécialistes se disputent encore sur le nombre des constitutions (15?)...

Comme Jean-Philippe Feldman est avocat constitutionnaliste, il ne va pas dire qu'une constitution n'est pas nécessaire, mais il constate que le constitutionnalisme classique est un échec:

- les hommes politiques ont été mus en distributeurs de richesse

- les représentants qui votent l'impôt ne le subissent pas.

Pour lui, il convient donc de dépolitiser nos sociétés actuelles. C'est certes insuffisant, mais c'est indispensable.

Francis Richard


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