André Dorais
Le salaire est le prix de la
main-d'œuvre. Si les autorités décrètent qu'il ne peut pas être établi en
deçà d'un seuil minimum, alors on risque d’obtenir un surplus de main-d'œuvre,
toutes choses égales par ailleurs. Cet effet n'est pas automatique, car
il dépend de plusieurs variables. Ce qui est certain, cependant, c’est
que plus le salaire minimum est établi à un niveau élevé, plus grande est la
probabilité qu’il provoque un surplus de main-d’œuvre. Autrement dit, le
travail, comme tous les biens économiques, est sujet à la loi de l’offre et de
la demande.
Sachant cela, toutes les
études empiriques qui cherchent à démontrer qu'une hausse du salaire minimum
n'a pas d'effet sur la quantité de main-d'œuvre constituent, au mieux, une
perte de temps. Au pire, elles démontrent ou bien un biais idéologique,
ou bien une incompréhension de la loi de l'offre et de la demande.
Il va sans dire qu'un salaire
minimum établi par la loi à 2$ l'heure, en un lieu où le salaire moyen est 10
fois plus élevé, risque peu d'engendrer un surplus de main-d'œuvre. De
même, un salaire minimum qui est sensiblement identique au salaire qui serait
offert par un employeur sans cette loi, risque de n'avoir aucun impact sur le
nombre d'individus en emploi, car les conditions de travail ne se résument pas
au seul salaire. Nul besoin d'études empiriques pour obtenir ces
résultats.
Doit-on conclure que ceux et
celles qui effectuent ces études remettent en question la loi de l'offre et de
la demande? Est-ce parce qu'ils la comprennent mal? Qu'ils
considèrent qu'une hausse du salaire minimum en constitue une exception?
Qu'ils cherchent à déterminer l'impact d'une hausse particulière du salaire
minimum sur le chômage?
La nature de la loi de
l'offre et de la demande
Un chercheur qui conclut
qu'une hausse du salaire minimum ne conduit pas à un surplus de main-d'œuvre
peut avoir raison dans la mesure où sa recherche est limitée dans le temps et
l'espace. Malgré cette possibilité, la loi de l'offre et de la demande
n'en demeure pas moins valide, car elle indique une direction ou une
tendance. Pour autant qu'on puisse la faire parler, on dira d'elle
qu'elle ne cherche pas la précision mathématique et conséquemment, un salaire
qui se différencie du salaire minimum à quelques sous près ne l'offusque
pas.
Cette loi n'a rien
d'automatique puisqu'elle ne relève pas de la mécanique. Elle n'a pas non
plus la précision de la physique ou des mathématiques, car elle ne porte pas
sur des objets inanimés, mais sur les actions humaines qui visent un but.
Celles-ci ne se conduisent pas comme ceux-là, par conséquent on doit en tenir
compte si l'on veut bien les décrire. Parce que trop d'économistes
envient la précision de la physique, ils utilisent les mêmes outils qu'elle
dans le but de décrire leur objet de recherche, qui pourtant s'y prête
mal.
Parce que les moyens
qu'utilisent les économistes sont précis, ils concluent que leurs résultats le
sont autant. Or, il va sans dire que les résultats des analyses
économiques ne pourront jamais être aussi précis que les résultats des analyses
de la physique étant donné que la nature humaine n'est pas aussi prévisible que
la nature inanimée. À trop penser que les analyses économiques sont
précises parce qu'on utilise des mathématiques et des statistiques pour les
effectuer, on finit par altérer la réalité pour la rendre conforme aux moyens
qu'on utilise pour la décrire. Un bon économiste ne modifie pas la
réalité pour l'adapter à la loi, il modifie plutôt la loi pour l'adapter à la
réalité.
Les impacts d'une hausse du
salaire minimum se font sentir uniquement lorsque la différence entre celui-ci
et le salaire envisageable par l'employeur est trop importante à ses
yeux. Dans ce cas, l'employeur cherche d'autres moyens d'améliorer sa
production, ou ses services, au détriment de certains chercheurs d'emploi.
L'imposition d'un salaire
minimum n'a peut être pas de conséquence automatique et immédiate sur la
quantité de main-d'œuvre d'une région donnée, mais elle ne risque pas moins
d'affecter plusieurs individus. En effet, d'une part elle limite les
choix que l'employeur peut faire de ses ressources, d'autre part elle réduit la
possibilité de certains individus d'être employés et salariés. Les
conséquences potentielles sont multiples et non immédiates, par conséquent
difficiles à constater et à mesurer.
Chose certaine, plus le
salaire minimum est établi à un niveau élevé, à la grandeur d'un territoire où
l'économie est diversifiée d'une région à l'autre, plus il réduit les choix et
des employeurs et des chercheurs d'emploi. Autre conséquence tout aussi certaine,
les choix des consommateurs sont réduits d'autant que les choix des uns et des
autres sont limités.
Si des économistes et
d'autres chercheurs tentent de démontrer, via des études empiriques, qu'une
hausse du salaire minimum n'a pas d'impact sur le nombre d'individus en emploi,
c'est entre autres raisons parce que les moyens qu'ils utilisent pour décrire
leur objet de recherche prennent le dessus sur celui-ci. C'est-à-dire
qu'il devient plus important, ou à tout le moins aussi important à leurs yeux, de
préserver leurs outils d'analyse que de bien décrire la réalité. Cela
permet à plusieurs d'entre eux de promouvoir leurs idéaux sous le couvert de la
science.
Par exemple, lorsqu'ils
disent que «de nouvelles dépenses gouvernementales sont favorables à la
création de richesse puisqu'on constate une augmentation du PIB», c'est qu'ils
considèrent que leurs observations et leurs mesures de richesse sont précises
et leur permettent de corroborer que lesdites dépenses conduisent à une
augmentation de richesse. Ils accordent la même confiance à leurs mesures
de chômage lorsqu'ils disent que «la hausse du salaire minimum n'a pas d'impact
sur la main-d'œuvre puisqu'on n'observe pas de hausse du taux de
chômage».
Trop d'économistes mènent
leurs études d'abord d'après un préjugé favorable aux interventions de l'État
dans les échanges économiques. Ensuite, parce qu'ils corroborent leurs
préjugés par des chiffres, donc de manière scientifique à leurs yeux, ils
concluent que leurs préjugés sont plutôt des faits incontestables.
À trop penser que ces mesures
statistiques sont précises d'une part et d'autre part, à trop considérer qu'il
y a injustice dès lors qu'un écart de richesse est trop grand ou qu'un salaire
soit trop bas à ses yeux, on finit par modifier la réalité, la décrire de telle
manière qu'elle soit conforme à ses idéaux plutôt qu'à la réalité même.
L'idéologie qui prend le
dessus sur la science
Une science mal comprise est
sujette à toutes les critiques. Dans ces circonstances, la tentation est
alors grande de l'utiliser à ses propres fins, d'avancer ses propres idéaux en
son nom, soit au nom de la science. Trop de chercheurs considèrent que le
salaire minimum doit relever de l’éthique égalitariste. Elle doit être
imposée à tous, car il en va du bien de la collectivité, disent-ils. Ils
ne peuvent pas s'imaginer qu'on laisse à des commerçants le soin de dicter les
salaires, par conséquent ils recommandent aux législateurs d'établir un seuil
minimum afin d'avoir la conscience tranquille.
Or, ce minimum est
constamment bafoué par les législateurs eux-mêmes. En effet, ceux-ci
offrent à pratiquement tous les employeurs les moyens d'engager des milliers de
travailleurs à un salaire plus bas que le salaire minimum. Pour ce
faire et sauver les apparences, ils subventionnent des
milliers d'emploi dont plusieurs se traduisent, pour les employeurs, à payer un
salaire moindre que le salaire minimum. Précisons que l'employé ne reçoit
pas moins que le salaire minimum puisque son salaire est payé à la fois par son
employeur et le gouvernement qui le subventionne. En d'autres mots, cette
entente permet à l'employeur de débourser moins que le salaire minimum pour
obtenir les services d'un employé qui recevra plus que le salaire minimum grâce
à une subvention gouvernementale. Morale de l'histoire, le gouvernement
impose le salaire minimum sous le prétexte d'éviter les abus des employeurs,
notamment du secteur privé, alors qu'il constitue le principal agent économique
qui ne respecte pas la loi. Sa propre loi!
Qu'un gouvernement soit
obligé de subventionner des salaires à un point tel que plusieurs de ces
salaires constituent, pour les employeurs qui les paient, un salaire moindre
que le salaire minimum, signifie d'abord que ce minimum est trop élevé non
seulement pour plusieurs employeurs, mais aussi pour le gouvernement. À
son tour, cela signifie que le gouvernement se donne le beau rôle, de justicier
ou de moralisateur, tout en étant le plus hypocrite.
Ces subventions tendent à
contrecarrer la loi de l'offre et de la demande en ce sens qu'elles évitent
d'augmenter, à court terme du moins, le surplus de main-d'œuvre (le
chômage). Toutefois, leur effet sur le chômage est éphémère, car ces
subventions ne constituent pas qu'un simple transfert de coût, des employeurs
aux contribuables et aux consommateurs, mais un coût additionnel pour ces
derniers. En effet, puisque l'administration de ces subventions n'est pas
gratuite, le gouvernement devant embaucher une panoplie d'agents pour les
administrer, tôt ou tard ces coûts se répercutent non seulement sur le nombre
total d'individus en emploi, mais sur la richesse globale d'une société.
La loi de l’offre et de la
demande demeure valide malgré les subventions salariales et on ne voit pas
l’idée d’effectuer des recherches empiriques pour essayer de démontrer que le
salaire minimum en constituerait une exception, car cette loi n’en souffre
pas. On conclut donc que ces recherches sont effectuées ou bien pour
promouvoir ses idéaux, ou bien par ignorance.