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La France a peur

Publié le 28 février 2008 par Dalyna

Chaque jour, c’est le même rituel pour la majorité des français. A peine levé ou dans les transports que l’on tente de s’informer sur ce qui se passe dans le monde : journaux, télé, web… Chacun sa méthode. Et en retour, nous trouvons également ce même automatisme des infos divulguées à la chaîne, rarement analysées ou contextualisées. Résultat : panique à bord.

Ainsi, dans l’édition de ce matin, le Figaro* nous en annonce une bien bonne, enfin… une bien mauvaise : en moyenne 60 enseignants par jour seraient victimes de violences. Petite précision : pour bien faire passer un message, rien de tel qu’un bon chiffre qui sort de nulle-part, histoire de l’appuyer. Les chiffres, c’est sympa, ça fait scientifique, ça fait je-maîtrise-mon-sujet, du coup, on est crédible. Le problème, c’est que souvent, ils ne veulent rien dire et que nous pouvons en tirer n’importe quelles interprétations.

La première question à se poser, c’est d’où proviennent-ils ? Dans le cas du Figaro, ces chiffres proviennent de l’Observatoire national de la délinquance. Il faut savoir que cet institut a été créé en 2003 par Nicolas Sarkozy himself. A sa tête, un conseil d’orientation qui décide des études et recherches à mener (y compris celles du ministre de l’Intérieur). Dans un climat de « tolérance zéro » et de principe de précaution, nous nous doutons bien que le ministère de l’Intérieur ne risque pas de leur commander une enquête sur les bienfaits du cannabis. De plus, à la tête de ce fameux conseil d’orientation figure un certain Alain Bauer, qui n’est autre que le PDG d’AB Associates, une société de conseil en sécurité. Bonjour l’indépendance. Là encore, on ne s’imagine pas d’un patron d’une société dont le fond de commerce est la sécurité nous dire que la France est un havre de paix. Et pour cause… Si la France est un havre de paix, sa société coule purement et simplement. L’intérêt est donc simple : faire peur.

Faire peur pour des intérêts financiers, mais aussi pour mieux faire passer les lois. C’est tout de même drôle que cette enquête (dont je n’ai trouvé aucune trace sur internet malgré mes longues recherches) arrive au même moment où se déroule le procès du dramatique incident qui a coûté 7 coups de couteau à une jeune professeure de dessin. Alors soit les membres de l’OND sont particulièrement intuitifs, soit ils ont calculé au jour près la date possible de l’ouverture du procès pour nous balancer leur enquête au moment T. Ces enquêtes sont donc loin d’être innocentes.

De toutes les manières, je trouve vraiment regrettable qu’il soit impossible d’en obtenir les détails. Il est annoncé 24 329 faits recensés en un an, dont 2275 sont des violences sans armes. Qu’est-ce qu’un fait ? Qu’est-ce qui est considéré comme une « violence » dans cette enquête ? Une insulte ? Un retard ? Le refus de livrer son carnet de correspondance ? Entre le coup de couteau et le soufflement d’agacement, tout le monde conviendra de dire qu’il y a un monde. Soit, on dit tout, soit on ne dit rien. De plus, j’aimerais bien savoir comment ces chiffres ont été recueillis. Uniquement sur les sources de la police ?

Seuls les chercheurs indépendants, ne défendant pas des intérêts personnels, politiques ou financiers, devraient être habilités à faire des enquêtes de ce type. Laurent Mucchielli, sociologue et directeur du Cesdip (Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales) et spécialisé en sociologie de la déviance l’explique très bien dans l’un de ses livres.* Effrayer toujours… pour mieux proposer des solutions derrière : plus de caméras de surveillance dans les écoles ? Des flics dans les bahuts? Un check point à l’entrée des écoles avec passage des cartables au laser ? Qui sait ce que les sociétés de sécurité nous concoctent pour demain. Et ce genre d’enquêtes n’existe que pour mieux préparer le terrain. La peur agit directement sur la raison, elle fait tout accepter. Pour preuves, Sarkozy en a été élu et Le Pen lui doit carrément les joies du second tour.

* http://www.lefigaro.fr/actualites/2008/02/28/01001-20080228ARTFIG00018-soixante-profsagresses-chaque-jour.php

* Violences et insécurité, fantasmes et réalité dans le débat français, par Laurent Mucchielli aux Editions La Découverte, Paris, 2002.


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