Nonobstant des avancées consistantes depuis l’accession du Maroc à l’indépendance, la liberté de presse y demeure encore en deçà des standards internationaux. Dans l’édition 2017 du classement mondial établi par Reporters Sans Frontières (RSF), le Maroc occupe le 133ème rang sur les 180 pays recensés. Une position qui atteste d’un recul constant de l’indice global de la liberté de presse dans le royaume, mais aussi d’un contraste frappant avec nos voisins nord-africains, notamment la Tunisie, fièrement classée 96ème.
Loin d’être convaincus des résultats du classement, les instances officielles marocaines tiennent un discours apologétique d’une liberté de presse qui se porte bien, et vont même jusqu’à accuser ledit classement de biais et manque d’objectivité. Devant le hiatus existant entre le discours des experts de RSF et le discours politique officiel, seule une confrontation des deux discours à la réalité observée sur terrain pourrait nous éclairer. Quelle est la situation réelle de la liberté de presse au Maroc ?
Se situant au carrefour des enjeux à la fois éthiques, juridiques et politiques, la liberté de presse est un concept matrice dont l’étude peut être ramenée aux cinq points suivants: le pluralisme, l’indépendance, le cadre légal, les censures et le niveau de répression. A l’aune de ces critères, l’on tentera d’identifier le degré de respect de la liberté de presse dans le cas singulier du Maroc.
S’agissant du pluralisme, il est vrai que le royaume a connu une certaine ouverture politique, accompagnée d’un foisonnement de titres de journaux, stations radios, presse électronique, etc. Seulement, ne confondons pas pluralité et pluralisme. A l’image un peu du multipartisme qui n’est guère indice de pluralité politique, l’abondance quantitative de la presse dans ses différentes manifestations est un trompe-l’œil, quand on constate qu’il en va tout autrement de la diversité qualitative. Ce qui nous amène à considérer le deuxième point, à savoir l’indépendance.
L’indépendance est un paramètre cardinal de toute presse libre digne de ce nom. Au Maroc, et outre le fait qu'une partie de la presse est politiquement partisane (étant la création de partis politiques, et donc vouées à la défense des intérêts de ces derniers); on peut relever une sorte d’unanimisme éditorial autour de questions importantes (à l’exception de très rares voix dissidentes qui font du mieux qu’elles peuvent pour survivre avec leurs moyens faibles), de même que des lignes rouges infranchissables persistent toujours (monarchie, religion, Sahara, sexe... etc.), et ce malgré un nouveau cadre légal se voulant libéral et en rupture avec les anciennes pratiques.
Relativement à ce dernier, l’arsenal juridique régissant la pressereprésente un modèle pour le moins bancal, car l'adoption du code de presse de 2016 avec toutes les avancées qu'ils comportent (principalement la suppression des peines privatives de liberté pour diffamation et leur caractère optionnel par rapport à d’autres infractions), sera neutralisée par l'existence d'un code pénal renfermant encore des dispositions liberticides. La démarche des autorités n’était autre que celle consistant à retirer d’une main ce qu’on donne d’une autre. Une réforme du code pénal s’impose donc d'urgence. Il est inadmissible que l’on continue à écoper de lourdes peines d’emprisonnement pour diffamation, insulte à un agent public lors de l’exercice de ses fonctions, incitation à la haine ou à la discrimination, apologie du terrorisme, alors que les chefs d’accusation ont été laissés flous et imprécis par le code, d’une façon telle qu’il serait facile de les instrumentaliser en alibis commodes pour étouffer une liberté d’expression légitime.
Les censures quant à elles sont l’exemple type de l'incohérence du régime ayant notamment battu un record en censure sous le gouvernement Benkirane. Loin de nous l’idée de défendre une presse irresponsable, étant admis que chaque liberté a son pendant de responsabilité. Autrement dit, la liberté de presse crée autant de droits (liberté d’exprimer son opinion, liberté d’accès aux sources de l’information et transmission de celle-ci…), qu’elle en impose de devoirs, principalement la conformité aux règles de déontologie (respect de la vie privée, exactitude de l’information, etc.). Seulement les censures dont il est question se veulent protectrices des bonnes mœurs, de la religion… Bref de la moralité des Marocains qu'elles placent caricaturalement sous tutelle. Suivant le même esprit de censure, nombre de journalistes étrangers se sont aussi vus expulsés du Maroc.
Enfin, la liberté de presse connait un durcissement de répression à son égard. Plusieurs condamnations dans des affaires de presse ont poussé des journalistes à l’exil. La sécurité des journalistes, surtout ceux couvrant des grèves ou sit-in de protestation, est aussi loin d’être assurée. Outre l’arrestation et la confiscation de leurs matériels, certains ont subi des agressions physiques. Le régime peine décidément à se débarrasser de son penchant à vouloir juguler la presse. En témoigne également les diverses pressions exercées par celui-ci (n'ayant a priori pas de caractère policier ou judiciaire) mais qui peuvent amener certains journaux indépendants à la fermeture, il s’agit des pressions d'ordre financier e.g. le boycott publicitaire, quand la presse libre se voit privée des revenues de la publicité sur ses pages par exemple.
Ainsi, putativement réputée libre, la liberté de presse au Maroc se cherche encore. Pour un pays en transition, le respect de ladite liberté est un élément central du processus de démocratisation. Un pouvoir qui se veut légitime ne peut exister en l’absence de contre-pouvoirs, les médias indépendants à leur tête. Ce serait se leurrer que de s'en prendre à des ONG (telles que RSF) connues pour leur travail professionnel et objectif, quand bien même les données du terrain nous sont défavorables et dévoilent clairement notre incompétence. Les réformes doivent se poursuivre pour permettre une véritable émancipation de la presse, solennellement baptisée "quatrième pouvoir" pour son rôle incontournable au sein de l’état de droit.
Asmâa Bassouri, doctorante en droit international, Université Cadi Ayyad Marrakech (Maroc) - Le 15 mai 2017.