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La réussite est un malentendu

Publié le 16 mai 2017 par Alexcessif
   La réussite est un malentendu« Assied-toi au bord de la rivière et tu verras passer le corps de ton ennemi » Proverbe chinois Super la sagesse orientale : il y a un ennemi quelque part, il est mort et il va passer d’un instant à l’autre. A la nage ! Il ne serait pas un peu parano le sage chinois sur ce coup-là ? Puis cette phrase  fit de l’écho dans mon crâne plein de questions et vide de réponses. Je sentais depuis quelques temps en effet que des forces obscures contrariaient mes projets. Un ennemi faisait parti des options, ou des prétextes. D’ailleurs il était temps de résoudre l’énigme car, des fameux projets,  il ne restait plus que des reliquats d’actions stériles. Alors je me suis assis. Au bord de la rivière. En tailleur, pour faire chinois, bras tendus les mains reposant sur les genoux, paumes ouvertes vers le ciel. Deux jours plus tard, déjà, la sagesse me vint. Avec pas mal de crampes et des énigmes: tenue d’été, tenue d’hiver, camping, pas camping?  Le  sage te refile de la sagesse mais pas des masses d’infos sur la date du prochain passage de ton ennemi. Alors j’ai remonté la rivière, parce que, un cadavre, c’est un peu dépendant du courant, non ? Donc, non seulement j’étais sûr de l’intercepter tout en  gagnant un peu de temps mais au risque de rater la rencontre. Je n’aurais pas du transgresser le conseil de mon pote Lao Tseu qui lui prône l’efficacité du  non être et du non agir. On te l’a dit mon Sergi : pas bouger, surtout ne pas bouger ! "La réussite est un malentendu" vous avez quatre heures ! 2009-Dérobade, saut dans le vide je lâche tout. Compagne, boulot, piaule….Sur la route je rencontre un mec, pareil : –« qui a tout vendu pour partir – moi j’ai rien vendu, je n’ai que mes fringues » On a rit, mais on a rit…marchés aussi ! Beaucoup ! Longtemps…. Bref, retour en ville, rencontre, ça matche, la femme de ma vie, encore ! Oui mais là, c’est pas pareil – pas fô : j’ai rencontré quelques leurres quand et parce que je n’étais qu’un mirage- qui se ressemble s’emboite,  l’amour toujours l’amour. Un an passe. Petits boulots manuels au black – la femme de ma vie aime mon Moi. Pas pour mon avenir, j’en ai pas. Pas pour mon fric, j’en ai pas. Pas pour mon corps, chuis moyen beau. Pas pour ma bite la friponnerie, chuis en travaux, le sensoriel en chantier de toutes mes dérobades qui finissent invariablement en débandades. – Puis un jour, la femme de ma vie, donc avec son cerveau intact, me lâche un discret : t’as vu « il cherche un commercial » Pendant que le téléphone sonne chez le « il cherche un commercial » je me fais un brain storming à moi tout seul. Première sonnerie- j’ai un trou de 7 ans dans mon CV. Deuxième sonnerie - je n’ai JAMAIS vendu de menuiseries. Troisième sonnerie – j’ai 56 ans et j’arrête là mes pleurnicheries parce que, dans le camp d’en face, ça décroche. Je vends ma salade, j’ai du stock, ça déroule jusqu'à : --« envoyez moi un cv ! J’en ai pas…… ! Oh temps suspend ton vol et si t’as une idée, je prends. Pendant l’arrêt sur image dans la nanoseconde avant l’interruption du son, j’ai eu le temps de placer : « Quand pouvez me recevoir ? Je ne suis pas un pro de la recherche d’emploi mais je vous amène un cv à jour….j’enchaine par un : demain ?  Je suis sur votre secteur ? » Bref, quatre ans à vendre du plastique, de l’alu, un peu de bois aussi en forme de portes et de fenêtres. Pro actif comme on dit : page blanche, pas de réseau, pas de portefeuille client, pas de pub, pas de logiciel pour fabriquer des devis – on n’est pas des marchands de devis- oui mais quand même-y a pas de mais, si vous ne vendez pas d’ici trois mois je vais être obligé de me séparer d’un poseur ! - Ça veut dire : faire du chiffre pour ne pas aller en pose ou aller en pose en cherchant du chiffre, j’ai fait du chiffre ! Une petite entreprise avec une bonne notoriété, mais un téléphone muet, le triple A à la banque et une trésorerie saine pour le moment avec comme objectif de conserver le socle de compétence, l’équipe de pose, en restant au seuil de rentabilité.  J’ai stabilisé le CA, valorisé sa boite, qu’il a pu revendre à un baltringue, qui l’a mise dans le mur. 2017-Port de Bacalan, un peu de limon m’éclabousse les godasses, soleil balbutiant entre crépuscule et nuages et un rayon me transperce. Celui de la vérité, sans aucun doute. J’ai un compte à régler avec ce quartier où je n’ai cessé d’avoir honte. Quand le père m’obligeait à porter les sous vêtements de mes nuits d’énurésie en primaire. Honte Quand le père m’attendait à la sortie du CM2 en bleu de travail souillé de cambouis devant une vieille voiture le capot levé. Honte Quand le père refusait tout les ans de payer un voyage de fin d’année avec les potes et les retours de vacances où je n’avais rien à raconter Quand le père hurlait sa jalousie à maman avec les voisins pour témoins du divorce devant des mioches blotties contre des murs de papiers. Honte Quand le père, me tendit des culottes courtes  et des lunettes cassées de chez Emmaüs pour mon entrée en sixième, à l’heure des pantalons. Honte Aujourd’hui, c’est toujours une version divergente de la honte qui plombe ma déambulation devant cet octogénaire fatigué, sans dents sans doute d’avoir annulé une et certainement plusieurs consultations chez le dentiste pour me payer un pantalon neuf. Vacherie que d’être édenté d’avoir trop dîné de vaches enragées. Pour l’heure, il va falloir choisir entre deux  hontes majeures. Avoir été ou être le pleurnicheur qui aujourd’hui remplace l’optimiste épuisé. La résilience, chez les matelassiers, c’est la capacité du produit à retrouver sa forme originelle quand le dormeur change de coté. La résilience, chez le psy, c’est la petite fille qui passe son bac l’année où son père taguait les murs de la cave avec sa cervelle un fusil à la main. Bref, retour en ville, rencontre, ça matche, la femme de ma vie…. et tu sais quoi ? Elle habite Bacalan ! A l’aube d’un nouveau jour de mai et de ma nouvelle vie, je décidais de marquer mon territoire à la manière des grands fauves dans le jardin. Sans doute avais-je au matin du doux combat cette fierté stupide de macho victorieux d’une  bataille sans ennemie. Pétrifié, j’ai failli lâcher mon arme - qui se tient très bien toute seule ceci dit-. Levant les yeux afin de ne pas vexer Coquette, très pudique, lors cette première miction matinale, au quatrième gauche, au verso du 104 rue Pascal Lafargue,  coté jardin, le logement où s’écrivit cette enfance escamotée, était là. Il y avait au balcon, sortit de la chambre trop petite qu’il devait partager avec sa sœur, le fantôme d’un marmot hirsute et malingre lorgnant avec convoitise la maison et son  jardin. Scolarité désastreuse et honte profondément enfouies jaillirent, déterrées, vêtues des haillons de  zombi du clip de Michaël Jackson. La charogne décomposée sortant de l’humus étendait sur ma mémoire son ombre maléfique. La main décharnée broyant mon crâne et son contenu confus, j’entrais en transe, et dans la cuisine, à la recherche de la cafetière italienne cachée dans un placard inconnu. Quarante ans et des poussières de passé dans la tronche. C’est frontal ! Une âme contre une autre. J'avais payé !.....Le prix du traître social décerné par le paternel. Je suis parti bosser, la fesse encore douloureuse de son coup de pied au Q, saisissant tous les petits métiers qui m’amenèrent  du bas de l’échelle  vers des postes de maîtrise puis de cadre.  Oubliant parentèle et études et sautant allègrement par dessus l’esprit d’analyse et de synthèse indispensable pour construire un raisonnement. Autodidacte, je m’embrouillais confusément dans le sophisme et quelques aphorismes assez raccord avec des réussites intermittentes. Puis un jour de 2016, la femme de ma vie, donc avec son cerveau intact, me lâche un discret : «  et si tu envoyais ton article au journal ? » Un article sur Vendredi 13 , l'ancien voilier d'Alain Colas abandonné contre la base sous marine. Un « Boudu sauvé des eaux » « une belle au bois dormant réveillé par un prince charmant » La belle histoire d’une résilience, en un mot.  Au comité de rédaction, j’ai rencontré des gens brillants à qui je fis subir les pesantes tournures d’élans qui se voulaient littéraires. La bienveillance de mes amis déplaçait une virgule alors qu’il fallait plus efficacement tirer la chasse sur ces étrons. S’ensuivit une orbite gravitant autour de mon nombril avec, à l’apogée d’un fallacieux succès dans la galaxie  des vendeurs de salades, la proposition de  présidence d’une association phare du quartier au périgée de mon instabilité professionnelle. Puis une nuit d’orage la lucidité me vint comme un éclair pour repartir aussitôt couverte par le tonnerre de ma vanité. Mon panégyrique sur le mécénat d’entreprise n’était qu’une première flèche en direction d’un promoteur immobilier cœur de cible des comptables en mal  de budget publicitaire et la présidence proposée tenait plus de la recherche d’un responsable pénal que d’un quelconque talent.   Que l’on ne voit pas une aigreur de mauvais joueur ou une stratégie machiavélique dans cette trajectoire de choix par défaut. Simplement, j’avais du mal à sortir de ce métier où ma réussite ressemblait de plus en plus à un malentendu. J’étais devenu un rat de laboratoire. Ne débordant pas sous les propositions, je rebondissais d’une entreprise à l’autre. L’une en redressement judiciaire, trois autres en défaut de conformité avec la réglementation et la dernière proche du dépôt de bilan. Une poisse pareille indique à l’analyse un inquiétant manque de prospective, soyons objectif. Rien n’est hasard tout est conséquences. Revenons sur l’ombre maléfique. J’étais sûr d’avoir déposé une dalle pesante sur le cadavre de cette enfance. Les jérémiades hideuses et décharnées s’immiscèrent à ma grande surprise dans une fissure de vulnérabilité. En situation d’échecs la tentation d’un statut de victime peut sembler confortable. Encore un leurre ! La réussite est un malentendu, disais-je, pourtant je reste sûr et certain de patienter dans la file d’attente pour une figuration dans « La grande bouffe » négligeant le premier rôle d’un « Dîner de cons » qui me serai destiné. Autre malentendu, cette vue de l’esprit: je n’avais aucun compte à régler avec ce quartier. J’avais entrevu chez ma compagne discrète, sa propre résilience partie de beaucoup plus loin avec d’autres blessures et qui s’était relevée sans se cacher derrière les mauvais prétextes du malheur pour ne pas rater son bac. Pour ma part, il me fallait identifier cette dépouille dérivant quelque part, sur la rivière. 1967-Le petit garçon à son balcon allait à l’école à reculons ce matin là.  Hier à la récré sans histoires de "la veille à la télé" - puisqu'il n'y avait pas de télé à la maison-je fus témoin de son isolement et  des impasses de ses affabulations,  pour faire semblant d’être comme les copains.
Nous étions ce matin d’après  "Folcoche" dans les turbulences de la conversation d’hier où, légitimé par la récente lecture de "Vipère au poing", il ramenât sa fraise. Mais là: Caramba! Encore raté. La version visuelle de Pierre Cardinal ne correspondait pas à son récit. Dans  la foulée le copain Vince en rajoutât : «  hé, les gars, il a même pas la télé ! » en oubliant le n’ de la forme négative. L’absence de télé qu’il avait remarquée à l’occasion d’une invitation, devint une affaire de plus s’ajoutant aux coupes de cheveux de la mère qui économisait sur tout et surtout le coiffeur, aux voitures en panne, aux lunettes cassées et aux culottes courtes. Elle résonnât bruyamment dans le cœur faible du minot et se répandit comme une traînée de poudre dans la cour des grands. La télé était un signe de modernisme et de richesse, son absence transformait le logement en une masure insalubre et ses locataires en minables. Ce fut une autre année dans la marge et encore de la honte! Sans compter cette forfaiture de la vie qui créditait ses  affabulations de Tartarin en soustrayant sa sincérité de lecteur.  Un coup à détester Bazin. Trop injuste ! Caliméro allait avoir un boulevard devant lui.
En 1967 Il y a bien aussi ce futur président de la régie de quartier, camarade de classe, scolaire mais pas sociale, jouant dans la réserve de l’épicerie de la rue Arago, en attendant la fermeture qui pourrait jouer le Vince d’aujourd’hui et dénoncer l’illégitime chômeur de maintenant candidat post pénultième à sa succession Après tout, il y a peu de chance que le fils de l’épicier reconnaisse le fils du soudeur attendant la fermeture dans la voiture que sa mère quémande en l’absence de témoins, les provisions à crédit  pour le repas du soir, histoire de bouffer un truc en attendant la paye. Il me faut  vous remercier d’avoir consacré quelques minutes à ce personnage dans le ventre mou de l’anonymat.  Je vous propose Madame, Monsieur d’en finir… Refusant l’immobilisme de Lao Tseu, j’avais donc remonté la rivière jusqu’au partage des eaux, au seuil de Naurouze sans rencontrer le cadavre de cet ennemi personnel promis par le sage. Sans doute avais-je raté ces retrouvailles en conséquence d’un bref assoupissement- un chemin blanc mystérieux gravi dans un rayon de lune où je vis "passer le diable dans son landau aux lampes de cuivre" -.Parvenu à la source les eaux de la fontaine de la Grave, située sur la ligne de faîte, entre le versant océanique et le versant méditerranéen, se divisent en deux ruisseaux coulant l'un vers la Garonne, l'autre vers l'Aude. J’optais pour notre chère Garonne et repris conventionnellement le chemin dans le sens du courant, comme tout le monde. …Et de boire le calice jusqu’à la lie : J’ai laissé un court instant la parole à Nicolas Bouvier qui dit mieux que moi que le carrosse était une vieille Saxo et que le rayon de lune éclairait un visage ravi de diablesse au regard humide tandis que je relevais mon pantalon. Je repris le droit chemin, plus bas à Saint Nicolas de la Grave à la confluence du Tarn et de la Garonne où des braseros, au loin vers Moissac, réchauffaient les rangs de pruniers pour défendre les bourgeons et mes instincts primaires contre les gelées tardives. Désormais convaincu d’avoir fait le bon choix, je couru à perdre haleine de longues années le long de la rivière complétant le fleuve s’achevant dans la mer, et c’est bien avant l’estuaire, là, au port de Bacalan, qu’enfin je le vis. Méconnaissable ! Le Mascaret l’avait drossé contre l’enrochement du Pont de Pierre et déposé un peu moisi plus au nord, dans les roseaux. Sans cela, durant mon détour du droit chemin, il aurait poursuivi sa route vers l’océan et nous n’aurions pas été présentés. Une médaille gravée d'un nom autour du cou ainsi qu’un tatouage sur le torse "Vanitas, vanitatum"et  "omnia vanitas" dans le dos, me permirent d’identifier…….
….le corps de mon pire ennemi, sa majesté Moi !

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