Magazine Cinéma
On avait vanté le caractère subversif de Tunnel, censé prolonger le souffle subversif du cinéma d’action sud-coréen. Les bandes-annonces laissaient présager le conflit politique entre une bureaucratie peu désireuse de claquer de l’argent public et la vie d’un homme coincé dans un tunnel.Et pourtant, on n’a sous les yeux qu’une horrible bouse mélodramatique.
Un film patriotard
Le scénario a pourtant de quoi attiser la révolte. Un père de famille (Ha Jung-Woo) en route pour retrouver sa femme (Bae Doona) et sa fille traverse un tunnel flambant neuf en voiture ; malgré les pompeuses enseignes « Construction. Sécurité. Bonheur » qui claironnent à l’entrée, la coûteuse construction s’effondre et ensevelit Jung-soo, qui réussit néanmoins à contacter les services de secours.Explosif, le pitch aurait pu attaquer de plein fouet la politique de Grands Travaux Inutiles qui gangrène les politiques de tous pays. Or, malgré quelques piques contre les médias-vautours qui s’affairent autour du tunnel détruit, le film choisit d’exalter l’héroïsme collectif, incarné par le chef secouriste (Dal-Su Oh). On a donc droit à l’éternelle musique pathétique pour souligner l’effort, aux non moins récurrentes séquences de coups de téléphone entre l’époux et la femme éplorée, et à quantité d’autres clichés tous droits sortis du cinéma américain le plus mainstreamet le plus mauvais.Quant à la critique politique, elle occupe à peine trois minutes du film. La question du budget, soulevée par un technocrate, se voit rapidement balayée par le chef secouriste, qui invoque pour sa défense les grands sentiments humains. Comme si, face aux politiques désastreuses d’un gouvernement libéral, la seule résidait dans le pathos, et non dans la révolte. D’où un heureux happy endqui ne cause aucun dommage au système politique à l’origine d’un pareil drame.
La contagion mélodramatique
Comme dans nombre de films catastrophes américains, Tunneléchoue parce qu’il intériorise les problèmes rencontrés par les citoyens au lieu de les critiquer d’un point de vue politique. Le pathétique plutôt que le polémique. Ou plutôt, pire encore que le pathétique – dont le pouvoir électrique et insurrectionnel, théorisé par Eisenstein, se manifeste encore dans Dernier train pour Busan et The Host –, le mélodramatique, où la crise sociale générale se concentre dans un individu particulier. Et n’outrepasse pas sa petite personne.On en arrive au point d’ignominie atteint par le cinéma commercial américain : se faire de la thune sur des larmes, au lieu de pousser aux cris de rage. En témoigne le personnage de Mina (Nam Ji-hyeon) : absolument inutile, visage constamment larmoyant, elle n’a littéralement pas d’autre rôle que de mourir de manière pitoyable. La situation d’une autre rescapée promettait pourtant de vrais développements : Jung-soo préfèrera-t-il, par souci de préservation égoïste, garder ses provisions pour lui ? un élan de solidarité le poussera-t-il ? Qu’importe, Tunneloscille mollement entre ces deux directions. Résultat : Mina disparaît aussi subitement qu’elle apparut, sans changer grand-chose au drame de Jung-soo.Le sacrifice de ce personnage secondaire illustre à merveille l’autre mal emprunté au cinéma hollywoodien : la fétichisation des acteurs. Ha Jung-Woo, récemment vu dans Mademoiselle, et Bae Doona, dont la carrière internationale décolle depuis Sense8, appartiennent au star-systemsud-coréen ; au lieu de les pousser dans les retranchements de leur jeu d’acteur, Kim Seong-hoon se contente de les filmer en plans serrés, sans l’être trop, de manière à capter les expressions pathétiques les plus clichées qui soient. C’est dommage pour les acteurs, et c’est dommage pour le cinéma sud-coréen.
Tunnel, de Kim Seong-hoon, 2017Maxime