Richard Brautigan a sa place dans les nuages. Et depuis qu'il a décidé de nous quitter un jour funeste de 1984 du côté de Bolinas, personne ne l'a vraiment remplacé. C'est peut être tant mieux, du reste... Parce que Brautigan, c'est Brautigan et que vous pouvez faire ce que vous voulez, l'aimer ou le détester, ça reste Brautigan, unique et à part dans la littérature américaine. Romancier ? Beat ? Poète ? Un peu des trois sûrement, mais surtout poète. Oui, poète assurément. Et qu'importe les quelques romans qu'il a écrits, qu'importe les milliers de textes ultra courts qu'il a produits, il reste avant tout un poète. Brautigan disait de ses poésies qu'il s'agissait de « fleurs de papier avec de l’amour et de la mort ». Insolite au possible, original jusqu'à la caricature, il a signé quelques poèmes tout à fait incroyables, avec une économie de mots et de moyens qui force le respect. Car derrière cette apparente décontraction, l'homme souffrait et savait témoigner de cette incompatibilité chronique de caractère avec l'existence. Obsédé par la mort, il a survécu jusqu'à la révérence finale en se gavant d'amour et de mots, de whisky et de rêves. Il est temps que tu t’entraînes
à dormir de nouveau tout seul
et c’est foutrement dur.
Ses productions poétiques sont doucereuses et amères, cyniques et vibrantes, loufoques et désespérées. Elles soufflent le chaud et le froid des émotions humaines, sont vibrantes de vie et nostalgiques du temps qui passe. Lire la poésie de Brautigan, c'est comme monter dans un wagon de montagne russe avec un inspecteur des impôts. Avec trois fois rien, Brautigan nous emporte dans ces poésies. Vers des acrobaties syntaxiques, des folies métaphoriques et surtout dans une incroyable puissance stylistique, émouvante et folle.
Le Castor Astral a publié en novembre 2016 un immense pavé de 800 pages en version bilingue de l'intégralité de la poésie de Brautigan. Il faut réaliser l'ampleur de la tâche car c'est une première mondiale. Ceci n'a à ce jour jamais été fait, et dans aucun autre pays du monde. Même aux USA, il n'existe aucun recueil de l'intégralité des poésies de l'auteur. Alors merci au Castor Astral pour ce beau cadeau.En fan de Brautigan, j'ai lu ce pavé sur plusieurs semaines, y picorant chaque soir avant de m'endormir quelques lignes pleines de couleurs et de dinguerie. En lisant directement en VO parce qu'il s'agit d'une poésie jouant sur un vocabulaire simple. Il y a tout là-dedans, toute la production poétique d'un homme en marge de tout et il s'agit d'un bouquin essentiel, à coup sûr la plus grande publication poétique de toute l'année 2016 en France. Alors investissez les 32 euros nécessaires pour cette bible ou demandez-le à votre bibliothèque mais faites bon accueil à ce formidable bouquin.
Tous surveillés par des machines d’amour et de grâce
Il me plaît d’imaginer (et
le plus tôt sera le mieux !)
une prairie cybernétique
où mammifères et ordinateurs vivent ensemble dans une harmonie mutuellement programmée
comme de l’eau pure effleurant un ciel serein.
Il me plaît d’imaginer
(tout de suite s’il vous plaît !)
une forêt cybernétique
peuplée de pins et d’électronique où le cerf flâne en paix
au milieu des ordinateurs comme s’ils étaient des fleurs
à boutons rotatifs.Richard Brautigan - C'est tout c'que j'ai à déclarer, Castor Astral, 780 pages, 32 €