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Jardins et Paysages, du semis au mystique

Publié le 25 mai 2017 par Les Lettres Françaises

Jardins et Paysages, du semis au mystique« Tout le bizarre de l’homme, et ce qu’il y a en lui de vagabond et d’égaré, sans doute pourrait-il tenir dans ces deux syllabes : jardin » (Aragon, cité en tête de l’exposition « Jardins »).  Cette saison d’expositions nous donne l’occasion de rapprochements et confrontations qui prêtent à réfléchir sur des thèmes qui semblent dépasser, ou sublimer, la simple condition humaine. Il s’agit de deux expositions majeures, l’une au Grand Palais, qui évoque les Jardins de façon interdisciplinaire et poétique à la fois ; l’autre au Musée d’Orsay s’intéresse au paysage pictural sous l’angle du mysticisme, principalement à la fin du XIXème siècle.

En passant de l’une à l’autre, on est surpris, ou non, de constater que notre rapport au paysage, à la nature, nous enveloppe totalement, parce que paysage et nature nous précèdent, nous accompagnent, nous survivent. Il y a dans un semis humble, presque fruit du hasard, mais porteur de vie, dans le dessin sophistiqué d’un jardin, qui ensuite perdure, dans l’éclosion filmée des fleurs, une volonté d’échapper à la contingence, à l’éphémère. Ainsi en est-il de la volonté de l’artiste, qui sublime, transfigure ce qu’il crée, pour exprimer d’une part une ardente aspiration à la vie, et une autre aspiration, au-delà de la sensualité, conceptuelle même, de l’existence.

L’exposition d’Orsay, concentrée sur le rapport de l’artiste avec un certain mysticisme est illustrée par le geste ample et prometteur du Semeur de Van Gogh (c’est l’affiche de l’exposition) et s’achève avec une toile étrange intitulée Le Semeur d’univers de Georges- Frédéric Watts. Sur ce dernier tableau, une des commissaires de l’exposition, Katharine Lochnan, écrit : « Dans sa robe bleue bouffante, [une] figure énigmatique (qui rappelle les personnages bibliques dans les œuvres du poète et artiste anglais mystique William Blake) tournoie dans l’espace en faisant jaillir de ses mains des étoiles, comme autant d’étincelles ». La référence à William Blake est justifiée. N’écrit-il pas : « Dans un grain de sable, voir le monde. Et dans chaque fleur des champs le paradis » ? Entre ces deux gestes, l’exposition présente des toiles souvent originales, célèbres ou non, qui expriment le saisissement de l’artiste devant le paysage qu’il essaie d’évoquer, en dépassant une simple reproduction esthétique. Du Monet des Cathédrales ou des Meules, ou des Peupliers, vus selon différents éclairages qui signifient des moments infiniment renouvelés, aux  Accords réciproques de Kandinsky – les deux noms qui surlignent l’exposition – s’étalent autant de visions qui cherchent à dire une part « mystique ».

On peut prendre par exemple le thème biblique de la Lutte avec l’Ange, qui s’inscrit dans des paysages que le sujet suppose tourmentés (comme celui de la célèbre fresque, qui vient d’être restaurée, de Delacroix à l’église Saint-Sulpice). Pour Maurice Denis, c’est presque une danse, sur un fond d’arbres roux et un paysage placide. Pour Gauguin, c’est une empoignade observée par des femmes en coiffe et prolongée par une perspective tronquée. L’environnement exprime ainsi sérénité ou angoisse. Le paysage peut ainsi être décrit comme une trouble évocation de la Nuit, du Ciel étoilé, rêve ou cauchemar. Le Musée d’Orsay possède lui-même des œuvres évocatrices (Van Gogh, Degouve de Nuncques). Mais d’autres sont venues d’ailleurs, de Stockholm par exemple (Eugène Jannsson). Le paysage peut encore être le lieu d’une destruction déshumanisante (les 2 paysages après la bataille en quelque sorte) ou comme celui des éblouissements que provoquent les merveilles naturelles, cimes, mers et Vagues (de Strindberg), levers de soleil, ou plus simplement « Rosiers sous les arbres » de Klimt. Les peintres du Nord, présents dans une exposition coproduite avec Toronto, mais aussi Arthur Dove ou Georgia 0’Keeffe, sont aussi présents en force pour élargir les lieux et modes d’observation. Large aussi est la conception du Jardin proposée simultanément au Grand Palais, avec l’emploi de beaucoup de disciplines, en mêlant heureusement les époques, les angles de vue et les sensations. Ainsi une salle montre l’invention des hommes pour entretenir, sarcler, arroser, cultiver le jardin (Arrosoirs, sécateurs et cisailles réunis durant quarante ans par Guillaume Pellerin).

Jardins et Paysages, du semis au mystique
Dès le début, une installation du japonais Koïchi Kurita montre la variété et l’élégance des terrains et alluvions de la Loire, ce fleuve nonchalant qui a inspiré les artistes l’ayant fréquenté (ainsi de Max Ernst, récemment dans une belle exposition sur Le Jardin de la France à Tours). Koïchi Kurita parle d’ « une terre que nous foulons chaque jour, sans véritablement en regarder la beauté. Terre primordiale et nourricière depuis quatre milliards d’années où germe et s’enracine la vie minérale, végétale et animale » (Soil Library / Terre). Cette attention à la permanence comme à l’éphémère renvoie aussi à Dubuffet, pour les matériaux empruntés au sol, à Constable pour les « merveilleux nuages », aux herbiers, aux écorces, aux dessins de fleurs, botaniques ou bouquets composés, aux végétaux, au minuscule et au sophistiqué – à ce dernier titre, les plans, les perspectives, les vues des Jardiniers du Roi, de Le Nôtre en tête. Mais aussi aux bosquets, aux fêtes, aux folies dans les Parcs, à Fragonard (La Fête à Saint-Cloud), à Watteau (Assemblée dans un parc), aux orgies presque abstraites de couleurs de Bonnard (son Jardin des hauteurs du Cannet), aux impressions vaporeuses d’été de Richter … et aussi à Klimt : Le Parc post impressionniste (1910) présenté au Grand Palais répond aux Rosiers d’Orsay (1905). In fine, l’artiste Wolfgang Laib présente deux petits tas de pollen de fleurs de châtaigniers, hauts de 7 cm, qu’il intitule : « The Mountains not to climb on ». Humble, et peut-être mystique éloge de la nature, immémoriale.

On a dit la part réservée à Orsay aux peintres du Nord, nord-américain et nord-européen. Cette évocation renvoie à l’exposition inaugurale de nouveau Centre de Création Contemporaine Olivier Debré à Tours, qui présente, à côté d’installations de la jeune création norvégienne, des paysages du nord ayant inspiré le peintre dont l’œuvre a participé des formes innovantes du temps – espace, geste, couleurs, travail sur les marges, sur l’imaginaire. C’est aussi une contribution à cette réflexion sur le paysage, qui à la fois est pour chaque individu constante, inconsciente, questionnante.  Parfois le paysage est purement descriptif. Parfois il est domestiqué – comme le voulait notamment le XVIIème siècle. Parfois sauvage, comme l’aimait par exemple Victor Hugo. D’autres fois humble, comme le devenir d’une plante, la plaisanterie de l’Arroseur arrosé. Parfois mystique. Encore porté vers une recherche d’éternité, de cosmique, comme le conclue l’exposition d’Orsay. Ceci renvoie à une autre citation, (bien) venue de Gilles Clément : « Pour faire un jardin, il faut un morceau de terre, et l’éternité. »

Philippe Reliquet


Exposition Au-delà des étoiles, le paysage mystique de Monet à Kandinsky 
Musée d’Orsay 14 mars – 25 juin 2017.
 
Exposition Jardins, Grand Palais, 15 mars – 24 juillet 2017. 

Olivier Debré, Un voyage en Norvège, 11 mars – 17 septembre 2017. 
Centre de Création Contemporaine Olivier Debré, Tours.


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