Un spectateur attentif – entendez par là qu’il aura su éviter les grosses machines médiatiques, celles fatalement « moliérisées » – qui se sera aventuré là où précisément se gardent bien de mettre les pieds nombre de « professionnels de la profession » et autres olibrius du même acabit, bref un spectateur attentif aura sans doute remarqué la présence, forte et insistante, dans plusieurs productions et à différents postes, sinon dans différents registres, de Noëlle Renaude l’hiver dernier.
Le temps de souffler après les représentations du spectacle à Dijon et l’on retrouvait Noëlle Renaude pour quelques jours seulement dans une salle du 104 où, en compagnie du metteur en scène Grégoire Strecker qu’elle couve depuis ses débuts, elle expérimentait une forme difficilement qualifiable dans la mesure où performance, dispositif vidéo, avec passage en chair et en os du comédien (étonnant et méconnaissable Grégoire Strecker) sur le plateau ou ce qui en tenait lieu, histoire de se confronter à sa propre image sur écran, se mêlaient allègrement… le tout sur un texte réjouissant de l’auteur, La Bonne distance. La lectrice opiniâtre qu’elle est passant ensuite le relais au même Grégoire Strecker pour qu’il œuvre avec Benjamin Condotti-Besson sur un texte choisi par elle, Zones de Jean Rolin. L’ensemble fut présenté sous le titre parlant de : Que ça y vive autrement… Une manière bien particulière de vivre le théâtre ailleurs, autrement. Et une façon d’affirmer une fois de plus l’amour de Noëlle Renaude pour tout ce qui relève de l’écriture… N’oublions pas, pour la petite histoire, qu’elle fut l’une des premières à redécouvrir il y a quelques années maintenant la trop oubliée Hélène Bessette (LNB7).
Troisième apparition de Noëlle Renaude, un mois plus tard, avec son texte fétiche, parce qu’emblématique d’une certaine manière de travailler, Ma Solange, comment t’écrire mon désastre, Alex Roux écrit entre 1994 et 1997 pour l’acteur Christophe Brault qu’elle mettait en scène au fur et à mesure qu’elle rédigeait son texte qui aboutit à la parution de 3 volumes pour 18 heures de jeu – pas moins. C’est bien 18 heures de spectacle que l’on nous donna à Théâtre Ouvert, mais découpées en tranches d’une heure. Soit 18 épisodes pour un feuilleton assumé par quatre comédiennes suisses épatantes – Heidi Kipfer, Valérie Liengme, Stefana Pinnelli et Anne-Marie Yerly – dirigées par le metteur en scène, suisse lui aussi, François Gremaud. La petite équipe, toujours dans le même espace scénographique nous fit donc revivre le monde avec délice et drôlerie avec sa foule de personnages, peut-être pas les 2587 du Drame de la vie de Valère Novarina, mais quand même… L’œuvre de Novarina, justement, Noëlle Renaude, la connaît sur le bout des doigts pour en avoir été l’exégète passionnée du temps où, entre autres activités, elle écrivait régulièrement pour la revue Théâtre/Public.Pour en finir avec l’hiver, on trouva dès le mois de mars le nom de Noëlle Renaude associé à l’expérience très singulière et très réjouissante de Notre Faust, saison 2 initié par Robert Cantarella, spectacle en quatre épisodes (décidément !) mêlant plusieurs écritures, celles de Robert Cantarella donc, de Stéphane Bouquet, de Nicolas Doutey, de Liliane Giraudon et d’Anaïs Vaugelade avec la sienne et quelques autres plus célèbres à qui furent faits nombre d’emprunts. Histoire de dessiner le portrait tourmenté d’un Faust (Nicolas Maury) des temps modernes. Dans ce qui fonctionne, et c’est là l’un des aspects qui relie ces quatre propositions hivernales, en un parfait décalage avec la production courante tout en continuant à creuser le sillon de l’écriture, qu’elle soit textuelle ou scénique. Ce dont on se réjouira pleinement.
Jean-Pierre Han
À consulter : Noëlle Renaude, atlas alphabétique d'un nouveau monde Dirigé par Michel Corvin. Éditions Théâtrales, 176 pages, 25 euros.