Où on se met à la place de l'astronaute Thomas Pesquet qui vient malheureusement de revenir sur Terre, et surtout en France. Où l'on réalise qu'Emmanuel Macron s'est envolé dans une autre dimension.
L'astronaute français Thomas Pesquet est revenu après 196 jours dans l'espace. Une éternité. N'en déplaise à Emmanuel Macron qui l'a félicité comme un ravi de la crèche, Thomas Pesquet était près de nous toute cette année durant. Il tweetait quotidiennement.
"Vous nous avez fait rêver. Vous avez coché toutes les cases. Vous ne réalisez pas à quel point vous avez inspiré tous ces mois. (...) "Il s'est passé pas mal de choses ici depuis que vous êtes parti" Emmanuel Macron.Mais oui, la Terre a forcément beaucoup changé en 196 jours.
Il y a 196 jours, l'Amérique se préparait à élire Hillary Clinton. En fait, c'est le milliardaire du mauvais goût Bling Bling qui l'a emporté non en suffrages mais en votes indirects. Donald, puisque c'est son prénom, a résilié l'engagement étasunien sur l'accord de Paris, pourtant peu contraignant, en matière de "réduction de la hausse de température" de la Terre. Il l'annonce jeudi, quelques heures avant l'atterrissage de Pesquet.
Incapable, par trouille, de l'avouer à ses collègues du G7 rencontrés quelques jours auparavant dans la petite ville italienne de Taormina, Trump a attendu d'être devant son pupitre de la Maison Blanche pour annoncer qu'il dénonçait l'accord de Paris: "L'heure est venue de quitter l'accord de Paris."
Pour justifier sa bêtise, Trump annone les arguments des climato-sceptiques les plus crasses et racoleurs ("À New York, mars a été le mois le plus froid de la longue histoire des relevés de température. Nous pourrions utiliser un peu de réchauffement climatique!"), il multiplie les contre-vérités:"La Chine va être autorisée à construire des centaines de centrales à charbon supplémentaires. (...) Nous, nous sommes supposés nous débarrasser des nôtres." Il ment quand il martèle que l'accord de Paris était contraignant pour les Etats-Unis. Il alterne les arguments clientélistes. Il masque l'action rémunératrice des lobbies de la filière pétrolière et charbon.
Il n'y a aucune surprise. Les indignations de nos dirigeants cachent mal leur incapacité à confronter publiquement Trump quand ils en avaient l'occasion, quelques jours avant, devant des centaines de journalistes qui ne demandaient que cela. Trump avait déjà nommé un climatosceptique reconnu, un certain Scott Pruitt, à la tête de l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis (EPA). Trump promettait déjà d' "arrêter tous les paiements des États-Unis pour les programmes de l'ONU sur le réchauffement climatique" pendant sa campagne. Trump avait déjà révisé à la baisse les standards d'émission de carbone pour les voitures. Trump avait déjà libéralisé la fracturation hydraulique des gaz de schiste.
Où est la "FUCKING" SUPRISE ?
Macron a préféré serrer très fort la main de Donald. Super. On nous a même dit que la poignée de main avait été "décisive".
Sans rire.
Puis quelques jours plus tard, quand l'inévitable sermon anti-climat de Donald Trump a déboulé sur nos écrans, les communicants ont propulsé Macron vers 23H un jour de semaine devant son pupitre pour dérouler son (court) discours en anglais tout prêt, et tout près. Et une certaine presse s'emballe, inévitablement. Voici Macron comparé à De Gaulle, nouveau "leader du monde libre". N'en jetez plus. Un peu de calme, un peu de recul. Le jeune monarque surjoue la séquence car elle lui profite. La décision de Donald Trump était évidente, sans suspense. Pire, elle n'a même pas été questionnée lors du G7.
Cette pièce de théâtre ressemble à vaudeville.
Emmanuel Macron s'envole ensuite pour la Bretagne. Il lâche une blagounette effroyable, sur ces canots de pêche comoriens qui tentent de rejoindre Mayotte: "C'est à Mayotte les kwassa-kwassas. Mais le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du comorien, c'est différent". Gros rire, gros malaise plus tard. Quelque 10 000 Comoriens meurent ainsi chaque année noyés. Le lagon de l'archipel des Comores est notoirement connu pour être meurtrier. Cécile Duflot relève la complaisance médiatique: "Si Sarkozy président avait prononcé cette phrase face caméra, le tollé aurait été gigantesque". Nadine Morano sombre: "Si j'avais tenu ces propos, ils auraient crié au "dérapage scandaleux, polémique". La pauvre, elle donne l'impression d'être déçue que Macron lui ait chipé une bonne formule.
Emmanuel Macron a dérapé, une blague de classe, une blague raciste, comme ça, sans filet, au détour d'une visite sur-médiatisée comme les autres.
Il y a 196 jours, la France pensait encore à un duel Sarko/Hollande pour l'élection présidentielle. Thomas Pesquet a suivi tout cela depuis les astres. Qu'a-t-il pensé de notre ridicule français ? Une primaire de droite qui terrasse Sarko puis Juppé, pour désigner triomphalement le plus cupide d'entre eux, François Fillon. Un président français qui abandonne en décembre la course à sa réélection, bloqué par deux traîtrises inédites, l'ambition de son premier ministre Manuel Valls et, surtout, la campagne anticipée dès l'été de son ex-dauphin Emmanuel Macron. Finalement, la seule non-surprise fut la qualification de Marine Le Pen pour le second tour, 15 ans après son paternel. Tous les sondages depuis 3 ans nous l'annonçaient. Mais pour le reste, que de surprises. L'affaissement de Fillon et la quasi-disparition du Parti socialiste ont permis à Macron de réaliser l'impossible, se faire élire sur une promesse fausse et artificielle de renouveau puisqu'il n'est que l'héritier des politiques du passé.
La percée de Mélenchon malgré les embûches, les caricatures et l'absence d'un appareil militant et politique puissant (se rappelle-t-on que Mélenchon a failli ne pas avoir suffisamment de parrainages à cause de ses disputes avec les dirigeants du PCF ?) a surpris également.
Thomas Pesquet a suivi tout cela. Mais Emmanuel Macron a voulu jouer la carte du changement comme si Pesquet revenait d'une galaxie sans communication avec la Terre: "Il s'est passé pas mal de choses ici depuis que vous êtes parti". Effectivement, le premier gouvernement Macron comprend un lot assez incroyable de "représentants de la société civile". Attention, n'imaginez pas trouver des ouvriers, des employés, des agriculteurs ni même des patrons de PME. Non, le gouvernement Macron comprend comme ministres ou directeurs de cabinet une foultitude d'anciens cadres dirigeants du privé (dont un ancien directeur de la com d'Areva désormais premier ministre), de Thales, Citigroup-HSBC, du Crédit Agricole, de Total, de Danone-Nestlé à Schneider Electric. Le prolétariat au pouvoir !
De l'espace, Pesquet a vu de haut Poutine reçu dans le Château de Versailles, et, il faut évidemment le reconnaître, un moment de courage de Macron quand il tacla les outils de propagande russe Sputnik et Russia Today à côté d'un président russe gélifié par une énième opération de chirurgie esthétique.
#Poutine à #Versailles : @EmmanuelMacron charge "les organes d'influence et de propagande mensongère" @RTenfrancais et @spoutnik_fr pic.twitter.com/zFLaocqBhW — LCP (@LCP) 29 mai 2017
Emmanuel Macron s'est qualifié de "jupiterien". Il est Jupiter, Jésus, de Gaulle et mère Théresa réunis, à en croire une presse complaisante trop ravie de cette incarnation de la fusion droite/gauche. En coulisses, il console les macronistes déçus de n'avoir été récompensés d'un strapontin ministériel: "il ne fallait pas être un mâle blanc". Pourtant, qui a vu dans le premier gouvernement Macron une équipe paritaire et colorée ?
Thomas Pesquet ne connaît pas Richard Ferrand. Le secrétaire général d'En Marche, nouveau ministre de la "Cohésion des Territoires" du 1er gouvernement Macron et, encore, député socialiste en Bretagne, subit une cascade de révélations: des locaux achetés par sa compagne grâce à l'argent des Mutuelles de Bretagne, un fiston employé 4 mois comme assistant parlementaire (parce qu'en Bretagne, c'est difficile de trouver de quelqu'un de lettré, a expliqué son cabinet), puis la gestion d'un établissement public pour personnes âgées confiée par le Conseil général du Finistère qu'il vice-préside aux mêmes Mutuelles de Bretagne qu'il dirige... Les révélations se multiplient. Macron tient à son ministre. Le premier ministre Edouard Philippe déboule sur France 2 pour expliquer qu'il n'y a rien d'illégal - même argumentaire désastreux que Fillon. Dans les confidences du Canard Enchaîné, on apprend que Ferrand visait la présidence de l'Assemblée nationale, rien que cela. L'hôtel de Lassay est effectivement une chouette demeure.
Mercredi, François Bayrou, le nouveau et si silencieux Garde des Sceaux, dévoile les principales mesures de son projet de loi sur la moralisation de la vie politique. Signe qu'il y a du stress en Macronista, Bayrou balance ainsi deux semaines avant que ledit projet soit présenté en Conseil des ministres. Ensuite, la loi a été renommée par Macron en "loi rétablissant la confiance dans l'action publique". C'est joli comme un slogan pour un yaourt aux vertus digestives.
De la com', de la com' jusqu'à la nausée...
Cette loi comprend plein de belles et bonnes idées: l'interdiction d'effectuer plus de trois mandats successifs, ou celle pour les ministres d'exercer des fonctions exécutives locales; la suppression de la Cour de justice de la République déjà promise par Hollande en 2012 (sic!); l'interdiction des emplois familiaux pour les parlementaires (coucou Richard Ferrand), une peine d'inéligibilité pour les atteintes à la probité, la fin de la réserve parlementaire et un remboursement sur justificatif des frais de mandat qui fait déjà hurler un jeune député #LR du Vaucluse. Le Conseil d'Etat en a commencé l'examen. Mais il manque, ô (fausse) surprise, l'interdiction des conflits d'intérêts. La seule proposition annoncée en la matière vise à contraindre les parlementaires en conflit d'intérêt à s'abstenir de voter des lois correspondantes. C'est modeste, très modeste. La loi Bayrou/Macron ne comprend rien sur le financement des campagnes. Mediapart, pourtant, s'interroge sur le financement express et réussi de la campagne d'Emmanuel Macron.
Jeudi, le parquet se saisit enfin de l'affaire et lance une enquête préliminaire. Edouard Philippe, en déplacement à Montereau-Fault-Yonne (Seine-et-Marne) répète: "L'ouverture d'une enquête préliminaire ne change rien." Et une mise en examen ? "L'ouverture d'une enquête préliminaire ne change strictement rien à la position que j'ai moi-même formulée publiquement : aussi longtemps qu'il n'y a pas de mise en examen, il n'y a aucune raison de demander à M. Ferrand de quitter le gouvernement".
Thomas Pesquet atterrit quelques jours avant le premier tour des élections législatives. Il a vu l'espace, la petitesse de notre planète, la petitesse de ses hommes. Il a vu Emmanuel Macron le rejoindre dans l'espace.
Qu'en pense-t-il ?
En avril, le taux de chômage a encore battu des records. Macron a sa loi travail, un joli choc par ordonnance promis pour l'été prochain. La pilule du renouveau, pour faire passer le suppositoire du choc libéral, s'incarnait dans la promesse d'une nouvelle éthique. La présidence Macron commence au contraire avec les mêmes travers de l'ancien monde, le dîner au Fouquet's en moins, mais les mêmes amitiés et les mêmes facilités en coulisses.
Ami(e) citoyen(ne), marche ou crève.