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Zodiac. Histoire d’un meurtre et histoire de l’Amérique

Par Balndorn
Zodiac. Histoire d’un meurtre et histoire de l’Amérique
Alors que bat son plein la sordide affaire du « Zodiac », tueur en série à la une de tous les médias américains au cours des années 70, un plan, apparemment détaché de l’intrigue, montre la construction en accéléré d’un gratte-ciel flamboyant.On peut voir dans ce simple plan le cœur de Zodiac. À travers l’histoire réelle d’un tueur en série, David Fincher brosse une histoire critique des États-Unis et de leur addiction aux médias.
Le récit d’un récit
Zodiac ne ressemble pas vraiment à un film policier. S’il y a bien une traque à l’œuvre dans le film, elle n’en constitue pas le cœur. Zodiacest d’abord un récit du récit médiatique qu’a engendré cette histoire de tueur en série. Ainsi, les trois meurtres ou tentatives de meurtres que nous voyons ne jouent pas le rôle pathétique qu’ils ont d’ordinaire dans les thrillers ; aussi macabre soit l’assassin et aussi innocents ses victimes, leurs histoires servent avant tout à lancer (le meurtre originel), compléter (le second meurtre) ou relancer (une nouvelle tentative) l’intrigue judiciaro-médiatique. Les réactions du San Francisco Chronicleimportent plus que le devenir des victimes, rapidement oubliées sitôt leur aventure terminée.Sept ans avant, Zodiactravaille déjà ce que Gone Girlcritiquera avec vigueur : la puissance dans la société américaine de ce qu’on pourrait appeler un complexe judiciaro-médiatique. C’est-à-dire qu’une enquête se déroule simultanément sur les champs judiciaire et journalistique, de manière concurrentielle ou non. Qu’on le cautionne ou pas, c’est le journalisme qui « crée » une affaire en la rendant publique : par conséquent, l’enquête avance, stagne ou recule selon les unes des différents médias. Si l’affaire du Zodiac s’éternise, c’est parce que d’une certaine manière elle profite au San Francisco Chronicleet autres journaux ; mais elle disparaît de la circulation dès lors qu’elle ne fait plus leurs gros titres. Dès lors qu’elle ne paraît plus rentable.Le goût de la fable et du profit. Ou l’Amérique moderne, fruit d’Hollywood et de Wall Street, mis en lumière par le Zodiac.
Donner forme aux signes
Sauf que l’appât du scoop et du gain peut se retourner contre le complexe judiciaro-médiatique. Fin connaisseur des mécanismes de la presse à grands tirages, le Zodiac se construit un personnage qui plaît aux médias avides de faits divers : lettres anonymes, menaces de mort, chantages à l’attentat… Toute une rhétorique du pathos déjà largement employée par des rédactions en quête de spectacle. Zodiacmet en évidence un phénomène malsain : la collusion entre faits divers et grands médias. Il n’y aurait pas de tueurs en série s’il n’y avait pas d’industries capables de relayer leurs exploits et de satisfaire leurs pulsions égocentriques.En un sens, le Zodiac est un pur produit de la « société du spectacle » que dénonçait Guy Debord en son temps. Sans se montrer aussi virulent que le philosophe situationniste, Fincher prend soin d’exhiber l’édification du Zodiac, qui va de paire avec celle d’un gratte-ciel moderne. Qu’importe son identité réelle ; seul son personnage, glaçant, inquiétant – séduisant – intéresse la rédaction. Être fragmentaire, qui se présente volontairement sous forme de dessins, de cryptogrammes, de voix-off feutrées, le Zodiac se laisse à dessein investir par les fantasmes collectifs. Car il sait que donner des signes, aussi énigmatiques soient-ils, mettra en branle la formidable machine à histoires états-unienne. Et que cette dernière préfère la pénombre du doute à la clarté de la vérité ; car des ombres naissent des fantasmes inavoués, des monstres séducteurs, des mythes profitables. Le Zodiac, qui a inspiré aussi bien le Scorpion, antagoniste de Clint Eastwood dans L’Inspecteur Harry, que le film éponyme de Fincher, alimentera sans doute nombre d’œuvres qui désireront explorer ce pan-là de la psyché américaine.Zodiac. Histoire d’un meurtre et histoire de l’Amérique
Zodiac, de David Fincher, 2007Maxime

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