L'Administration à Visage Humain

Luxembourg est tellement petit que vous pouvez mettre un visage, voire un nom, sur tout un tas de gens qui, dans un autre endroit, resteraient abstraits. Le facteur, le poissonnier à casquette de chez Auchan, le guichetier des P&T, le gérant de la station service qui distribue des bonbons, la caissière de la Coopérative, le mécanicien de chez Goedert... Vous avez l'impression d'être dans une émission de télé-réalité grandeur nature, où vous "connaissez" tout le monde, sans les caméras (à l'exception de celles de vidéo-surveillance). En général, c'est plutôt sympa.
Sauf quand vous savez qui est le type qui tourne inlassablement autour de votre pâté de maison, à l'affût de l'occasion de distribuer un PV de stationnement. Ce n'est pas faire injure à fonctionnaire en uniforme que d'ajouter, pour ne rien arranger, que cette incarnation grand-ducale de Longtarin n'inspire pas particulièrement la sympathie, nonobstant son acharnement à vous faire verser une obole régulière à la Ville de Luxembourg : petit, bouffi, rougeaud, boudiné dans son uniforme, dardant son regard sournois sous une casquette ne parvenant pas à cacher une calvitie déjà bien entamée. Il arpente de ses chaussures à semelles de crêpe (pour ne pas qu'on l'entende arriver), cigare à la bouche et montre en main, les trottoirs de Bonnevoie, quartier au stationnement résidentiel bénéficiant d'un régime particulièrement complexe (on y trouve, bien mélangées, des zones autorisées aux résidents, interdites, interdites sauf 2h même avec le disque, ou 1h, interdites sauf le dimanche, interdites sauf le samedi et le dimanche, et même avec des parcmètres à l'ancienne, vestiges totémiques auxquels il faut sacrifier un euro par tranche de 40 minutes). De temps en temps, quand il repère une proie, il se poste devant la voiture à la limite de l'expiration du temps imparti et termine son cigare en vérifiant à la fois sur sa montre, au clocher de l'église et à l'horodateur, que l'heure fatidique approche. Mais, comme le PV double si le dépassement excède 30 minutes, il arrive qu'il soit un peu plus joueur et, connaissant par cœur les habitudes des conducteurs du quartier, il choisisse le super banco et revienne une demie heure plus tard. Je lui sais gré d'avoir répondu, suite à une réclamation adressée rue Glesener, qu'il se rappelait bien que j'étais effectivement parti à 8h30 et que j'avais fait l'erreur d'indiquer sur mon disque un départ au plus à 10h alors que je n'avais droit qu'à 9h, et que donc, exceptionnellement, le PV était annulé. Je ne lui ai pas, pour autant, offert de boîte de cigarillos. J'imagine que, vu son âge, il fait cela pour le plaisir.
C'est bien simple, jusqu'à l'année dernière, en 7 ans de vie à Luxembourg, je n'avais pas récolté une seule contravention. Depuis que j'habite Bonnevoie, j'en suis à 8 "avertissements taxés". Le dernier aujourd'hui.
Bon, OK, j'ai qu'à mieux me garer, mais ce qui me rend dingue c'est le caractère systématique de la sanction, alors que, en toute franchise, il n'y a pas de volonté de frauder...