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Féministe, inclusif, voire subversif… les critiques américaines n’ont pas tari d’éloges pour Wonder Woman. Pourtant, à bien y regarder, au-delà d’un fatras numérique mâtiné d’un pâle féminisme plus nocif qu’autre chose, on ne distingue toujours aucune lueur d’espoir du côté de DC Comics et des gros studios hollywoodiens.
L’amour à grands coups de poings dans la gueule
Au milieu d’une mise en scène qui brille par sa platitude se distinguent les scènes de combats : ralentis, cascades en série, effets numériques à l’envi… La production a mis les gros moyens pour pondre des bouses. Trois grosses batailles rythment le film : s’y succèdent coups, tirs, bombes et morts dans une surenchère spectaculaire. Et pas une goutte de sang ne vient tâcher cette fanfare du carnage. Wonder Woman (Gal Gadot) et ses compagnons sont des êtres purs qui tuent sans verser le sang, sans corrompre leur blancheur chevaleresque.Une mise en scène complaisante envers la violence qui semblerait entrer en contradiction avec les idéaux pacifistes et romantiques de la guerrière amazone, qui comprend finalement que « seul l’amour sauve le monde ». Du moment que l’accompagnent des troupes d’élites chargées de répandre sa bonne parole. Le film de super-héros nage encore une fois en pleine hypocrisie, alors que le dernier film du genre, Logan (James Mangold, 2017), avait relevé le pari d’affronter la violence dans sa brutalité même, d’accepter la fatalité de la mort comme une condition nécessaire à la vie.Mais il n’y a de contradictions qu’en apparence. En d’autres temps (mais dans les mêmes lieux) circulaient – et circulent encore aujourd’hui – certains discours politiques invoquant l’intervention militaire au nom de la « civilisation », de la protection des « innocents », voire de la « paix ». Wonder Woman s’inscrit dans cette tradition impérialiste et messianique : en vertu d’idéaux supérieurs complètement désincarnés, l’héroïne – dont la sortie de l’île paradisiaque évoque la sortie de l’isolationnisme américain durant la Première Guerre mondiale – et son compagnon yankee Steve Trevor (Chris Pine) pacifient l’Europe et instaurent de manière tacite l’hégémonie états-unienne. Dont cette nouvelle superproduction confirme la prééminence.
L’Histoire est écrite par les vainqueurs
Ancrer Wonder Woman dans la Première Guerre mondiale n’a donc rien d’anecdotique : le conflit marque la première grande intervention américaine en-dehors de « son » continent. Le film sert ainsi à justifier l’engagement du président Woodrow Wilson, en faisant des soldats américains – figurés métaphoriquement par Wonder Woman et Steve – les preux chevaliers sauvant la damoiselle Europe retenue captive dans sa tour. L’image est presque littérale : après tout, la dernière partie du film se déroule bien dans un château-fort…Mais plus pernicieuse que cette auto-glorification a posterioriest la représentation de l’armée allemande. Le film opère en effet une relecture de l’armée impériale d’alors au prisme de la Wehrmacht du second conflit mondial, emblème dans le cinéma hollywoodien du Mal absolu : anachronisme dangereux, qui accouche d’une représentation manichéenne de la Première Guerre mondiale. Sous l’influence d’Arès, l’Allemagne apparaît dans le film comme la seule responsable dans le déclenchement du conflit. Une vision qui rejoint la pire propagande anti-allemande de la guerre : bestiale, sanguinaire, monstrueuse, à l’image du docteur Isabel Maru (Elena Anaya) au visage ravagé et du général Ludendorff (Danny Huston) imbu de lui-même. Image propagandiste qui culmine dans la scène du village belge, que les Allemands tiendraient en « esclavage » : s’y déploie une rhétorique pathétique à grands renforts de femmes éplorées et d’enfants larmoyants – qui n’ont d’autre rôle que de justifier l’action belliciste des Alliés –, exacte copie de la propagande franco-britannique qui fantasmait les massacres de civils belges au début de la guerre.Sans aller plus loin dans des considérations historiennes, on peut cependant mettre en doute cette accusation, qui sert plutôt à dédouaner les Alliés de leurs responsabilités. « Je ne suis pas coupable », dit Wonder Woman. On n’est pas loin du discours des vainqueurs obligeant l’Allemagne à signer le traité de Versailles.
Wonder Woman, super-infirmière
Venons-en au caractère « subversif » du film. Balayons tout d’abord sa prétendue inclusivité. S’il y a bien des personnages secondaires issus des minorités – sans aucune importance dans l’intrigue – qui accompagnent Steve et Wonder Woman, ils ne font guère que remplir les quotas des grands studios. Chaque minorité a droit à sa caricature : Samir l’Oriental (Saïd Taghmaoui) est un beau parleur machiste et peu combatif, le Big Chief amérindien (Eugene Brave Rock) un sage taciturne, Charlie l’Écossais (Ewen Bremner) un ivrogne hanté par les spectres... Quant à Diana/Wonder Woman, est-elle vraiment si féministe ? Certes, elle défie les hommes, ne comprend pas la mode féminine et sait se battre : mais elle ne remet jamais frontalement en cause la domination masculine et les valeurs dites « féminines ». Son combat se mène au nom des « innocents », des « femmes », des « enfants » : elle appartient au domaine du soin, traditionnellement réservé aux femmes. L’image puissante de super-héroïne cache mal le rôle de super Nanny.
Wonder Woman, de Patty Jenkins, 2017Maxime