Une vente d’armes dans une usine désaffectée du Boston des années 70 tourne mal. Éclate une fusillade entre les vendeurs et leurs clients de l’IRA. Minimale, l’intrigue de Free Fire donne toute latitude à la mise en scène, qui s’émancipe du carcan narratif pour explorer les infinies variations du meurtre.
De l'art de la tarantinade...
Pour son premier film destiné au grand public, Ben Wheatley (High Rise, English Revolution) s’aventure sur la chasse gardée du maître de la série B artistique : Quentin Tarantino. Wheatley lui emprunte ses dialogues incisifs, ses situations grotesques et absurdes et ses personnages hauts en couleurs et forts en accents. Ainsi de Vernon (Sharlto Copley), businessmansud-africain obnubilé par son costume rose et blanc en pleine tuerie, dont l’accent à couper au couteau intrigue les deux idiots, Stevo (Sam Riley) et Bernie (Enzo Cilenti), ou du génial Ord (Armie Hammer), au sourire fringant et à la barbe lustrée et parfumée jusque dans les pires situations.Un même plaisir d’abîmer les corps parcourt les films de Tarantino et Free Fire. One-shot interdit pour faire durer la fusillade. En découle un jubilatoire festival de blessures à la jambe, au pied, dans le dos… et de cris, insultes et fanfaronnades. Néanmoins, Free Fire ne verse pas dans le nihilisme assassin des Huit Salopards (Quentin Tarantino, 2016) : il ne prend pas goût aux effusions de sang et aux meurtres sadiques.
... au ballet du chaos
C’est là que divergent Wheatley et Tarantino. Ce dernier tentait de justifier ses excès de violence par une moralisation de la vengeance : contre le machisme dans Boulevard de la mort, le nazisme dans Inglourious Basterds, l’esclavage dans Django Unchained, Les Huit Salopards dérogeant à la règle en proposant une orgie sanglante par pure fascination. À l’inverse, Wheatley a une approche prude de la violence : ce n’est pas tant le goût du sang qui l’attire que la chorégraphie du chaos.Il faut ainsi noter l’omniprésence du jaune dans la photographie. Mais un jaune sale, entre or et brun, qui mêle dans une commune indistinction les êtres et les choses. Dans cette ode au jaune, le sang, qui prend une couleur de rouille, ne se détache pas : il n’est pas l’objet d’un fétichisme macabre, mais il coule, de manière presque naturelle, dans le décor industriel ambiant.Ce brouillage des limites que permet le jaune s’ancre dans un processus plus large de déconstruction de l’espace. Sans plans d’ensemble, la fusillade se fragmente en une série de gros plans sur des personnages séparés les uns les autres ; il n’existe plus vraiment de camps, mais des portraits d’individus qui s’efforcent de ne pas mourir. La décomposition de l’espace atteint son point culminant dans le montage alterné des duels : la logique héroïque du combat singulier s’y perd dans un tourbillon de balles et d’explosions. Comme son titre l’indique, Free Fire rend gratuit l’acte de tuer. Non par apologie du meurtre. Car la dépolitisation de la fusillade ramène la guerre à son état brut : une situation anarchique aussi dangereuse qu’extatique.
Free Fire, de Ben Wheatley, 2017
Maxime