Avec Macron, «il faut que tout change pour que rien ne change».
Régime. D’artisanat tâtonnant qu’elle était, la fabrique de l’opinion – ourdie par la technocratie contemporaine dominante, les médias, certaines élites, les «économistes» de la haute, les tenants des classes supérieures, les maquignons CSP+ et autres, etc. – serait devenue industrie lourde, programmable à souhait ; et la manufacture des choses de l’existence réelle, un commissariat au Plan rangé dans les marges, renvoyé au rencart. Les complaisants, sans parler des collaborateurs de fortune qui osent tout, ont suivi le mouvement, passivement, lâchement. La matrice en tant que domination peut décider de tout, du moral, du bocal, du local, du primal, du sépulcral et d’une partie de notre à-venir, qui, encore une fois, nous échappe cruellement, comme si l’Histoire et son cortège de désillusions devaient se répéter... Dont acte. Notre univers politique a changé de base. Au moins en apparence: il marche sur la tête. Regardons lucidement. Il y a trois, quatre mois encore, tout semblait en place, ou presque, pour que les Français puissent enfin renverser la Ve République. Et voilà qu’elle nous revient en pleine face, de la pire des manières. Du fait d’un seul homme, rien ne la calme plus. C’est même à se demander... Ceux qui pensaient que nos institutions héritées du gaullisme étaient usées jusqu’à la corde se seraient-ils trompés ? Pas du tout. Et c’est bien le problème, qui surgit comme un cas d’école: en quatre dimanches d’élections, Mac Macron a réussi la démonstration absurde qu’on peut réactiver par les urnes un système moribond. Et, par une véritable OPA sur la démocratie, réinstaller au cœur de la République cette verticalité absolutiste de la monarchie républicaine dont les citoyens, majoritairement, ne voulaient plus entendre parler. Comment un énarque libéral, fils de la bourgeoisie provinciale ayant lissé ses costumes chez Rothschild, a-t-il intégré de manière jusqu’au-boutiste la logique d’un régime inventé par un ex-général d’armée? Ou, plus exactement, comment a-t-il compris que le suffrage universel, version présidentialisme, procédait uniquement d’un homme par le double effet de l’élection d’un chef de l’État et du fait majoritaire, lui l’ancien collaborateur de Normal Ier, lui qui venait de nulle part, sans même un parti à sa disposition il y a un an à peine?
Crise. Nous mesurons déjà le chemin parcouru, en une fraction de temps concentré au regard de notre histoire politique, en nous souvenant que cette possibilité nous apparaissait inconcevable au début de la séquence électorale, tant le pays semblait travaillé par un basculement radical. Le changement est là, bien sûr. Mais le paysage politique a été remodelé par la volonté d’une sorte de bonapartiste providentiel soutenu par la finance, qui a utilisé tous les leviers des institutions, absolument tous, pour capter à son avantage exclusif l’unique ressort du «moment français», à savoir dégager les sortants – alors qu’il incarnait tous les sortants par son unique personne! – et laisser croire qu’il essaierait autre chose. Vous connaissez la célèbre phrase de Lampedusa: «Il faut que tout change pour que rien ne change.» Rarement formule aura été aussi pertinente… À moins que le pouvoir absolu de Mac Macron ne se retourne contre lui, sous une forme ou une autre, crise institutionnelle ou sociale. Il lui manque en effet un élan populaire de nature à lui offrir l’assurance d’un temps long. Pour l’heure, la faiblesse de ses adversaires le sert. Mais le taux d’abstention observé aux législatives (un record pour des élections parlementaires depuis 1848 et la naissance du suffrage universel) comme l’étroitesse de son score au premier tour (32%, contre 40% pour Nicoléon en 2007, par exemple) témoignent d’un manque d’adhésion à ses projets, peut-être même à sa personnalité. La crise politique, doublée d’une crise démocratique, entre juste dans une nouvelle phase. Elle s’annonce incertaine, brutale. Et surtout problématique pour l’exécutif. [BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 16 juin 2017.]