Au début du XVIIIe siècle, le personnage du « bon prêtre », sensé avoir renoncé aux débauches et à la luxure des ecclésiastiques des siècles précédents, est communément célébré en France. Pourtant, dès la Régence, le soi-disant clergé des Lumières voit son image écornée par la littérature libertine et le comportement de grands prélats tels que l’abbé Dubois, ministre de Philippe d’Orléans, le comte-abbé de Clermont, qui vit avec une danseuse de l’Opéra dont il a deux enfants, Arthur Richard Dillon, archevêque de Narbonne, ou Loménie de Brienne. Mais les membres du bas clergé font fi également de la chasteté cléricale et apparaissent comme de redoutables coureurs de jupons, la terreur de leurs paroissiennes ou de leurs servantes.
Vers le milieu du siècle, avec l’arrivée de Choiseul au ministère, après l’attentat de Damiens et avant le procès des Jésuites, la tolérance à l’égard de la délinquance sexuelle du clergé marque le pas. Étudiant les Archives nationales, les documents conservés à la bibliothèque de l’Arsenal ou les dossiers de la Bastille, Myriam Deniel-Ternant montre comment le pouvoir royal décide de mettre fin à la bienveillance complice à l’égard des clercs libertins. C’est comme si un invisible « seuil d’indulgence » avait été franchi, ouvrant la voie à une répression féroce. Des mouchards sont alors recrutés, chargés de surveiller les débauchés dans les bordels qu’ils fréquentent, ainsi que des policiers d’abord un peu surpris par les pratiques de ceux qu’ils traquent. Ainsi, l’inspecteur Berryer s’indigne en constatant que les prêtres « ont moins de dévotion et plus d’intempérance que les gens du monde » ; tandis que Meusnier s’interroge sur le cas d’un certain père Eustache surpris « culotte bas, robe retroussée », subissant le fouet de la part d’une mère maquerelle. Certains rapports indiquent cependant que les déviances sexuelles prisées par cette clientèle cléricale sont conformes à celles que cultivent les laïcs fréquentant les mêmes lieux : coït, bien sûr, mais aussi attouchements divers, pratiques masturbatoires, sodomie et flagellation.
Si Paris présente au XVIIIe siècle une forte attractivité pour les prêtres en débauche, c’est à la fois en raison du grand nombre de lieux de plaisir que l’on y trouve, mais également à cause de l’anonymat qu’offrent toutes les grandes métropoles. Des clercs de tous le pays ont l’habitude de s’y rendre pour diverses tâches ponctuelles en rapport avec leur fonction curiale et profitent de l’occasion pour satisfaire leurs goûts pour la prostitution ou l’homosexualité. Ainsi, l’abbé de Sade, l’oncle du marquis, grand lettré, ami de Voltaire et auteur d’un ouvrage sur Pétrarque, profitera d’une mission qui lui a été confiée par les États du Languedoc pour se livrer à un libertinage outré qui lui vaudra d’être surveillé de près par la police. D’autres qui n’avaient pas son rang se retrouveront en prison ou condamnés aux galères. Adepte du « loin des yeux, loin du crime», le pouvoir opte volontiers alors pour l’exil ou le bannissement du royaume. Mais l’impossible chasteté contre-nature imposée aux membres du clergé ne cessera pas pour autant de produire ses effets. Même le mariage des prêtres imposé par les révolutionnaires de l’An II ne risquait pas de transmuer durablement la paillardise en patriotisme. Ces questions ont perduré jusqu’à l’époque contemporaine.
Jean-Claude Hauc
Ecclésiastiques en débauche (1700-1790), de Myriam Deniel-Ternant Champ Vallon, 386 pages, 27 euros.
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