" Il semble que l'on soit moins jaloux par amour que par haine. " (Louis Scutenaire, dans "Mes Inscriptions").
Il y a eu une grande surprise médiatique le mercredi 14 juin 2017 avec l'annonce d'une triple garde-à-vue dans l'affaire Grégory, suivie d'une double mise en examen le 16 juin 2017 pour enlèvement et séquestration suivie de mort (accompagnée de détention provisoire jusqu'au 20 juin 2017). Nouveau rebondissement d'un fait-divers particulièrement sordide, l'assassinat d'un enfant que 4 ans retrouvé ligoté et sans vie au fond d'une rivière vosgienne le 16 octobre 1984.
En trente-deux ans, la science a énormément progressé. Pour s'en rendre compte, comme les enquêtes policières sont un genre très fréquent dans les séries télévisées, il suffit de regarder les deux séries américaines "Columbo" et "Les Experts".
Dans la première, le pauvre lieutenant est incapable de connaître les interlocuteurs des appels téléphoniques de ses suspects, analyse les empreintes digitales mais ne ramasse les résidus sanguins que pour connaître le groupe sanguin.
Dans la seconde, tout peut être connu des criminologues, impossible de ne pas laisser une petite molécule de sang malgré un nettoyage intensive de la scène du crime, et ce n'est pas le groupe sanguin mais carrément l'ADN qui est analysée, ce qui permet d'avoir beaucoup plus de renseignements.
Inutile d'ajouter que la société d'aujourd'hui peut mieux tracer la vie des personnes grâce aux nombreuses caméras de surveillance, à l'utilisation de cartes bancaires, des smartphones, de l'Internet, et même à des moyens très intrusifs dont se dotent les pouvoirs publics, etc.
Il y a donc le rêve de vieux juge d'instruction qui voudrait qu'on reprenne les anciennes affaires non élucidées avec les moyens technologiques d'aujourd'hui. Ce qui signifie que les pièces à conviction fussent conservées sans détérioration par le temps et que les témoins majeurs aient survécu à toute cette période.
Pour l'affaire Grégory, en 2008 puis 2010, des analyses ADN avaient été réalisées sur un résidu de salive retrouvé sous le timbre d'une des lettres de menace du "corbeau". Malheureusement, elles n'ont pas abouti à des éléments concluants.
Ce retour en surface de cette affaire serait la conséquence de l'utilisation d'un logiciel particulièrement efficace d'analyse de toutes les données factuelles, des témoignages, etc. donnant une vue d'ensemble sur les incohérences du dossier.
Cette affaire a eu une malheureuse victime, innocente, Grégory, devenu simple objet, devenu l'instrument d'une vengeance incroyablement bête et méchante contre ses parents. Au lieu de crever les pneus de la voiture, l'assassin a tué l'enfant pour nuire, simplement nuire. La lettre de revendication postée le jour même, avant la fermeture de la poste, est très significative. La plupart des meurtres sont motivés par l'argent ou par l'amour. Certains le sont aussi par la jalousie, c'est le cas pour l'enfant souriant au destin tragique.
Elle a eu une autre victime, Bernard Laroche, accusé dans un premier temps d'être l'auteur de l'assassinat (dénoncé puis innocenté par une belle-sœur adolescente), puis relâché, sans avoir de protection, et finalement assassiné par le père de Grégory après plusieurs menaces très claires. La mort de Bernard Laroche, s'il était l'assassin, empêcherait de le juger aujourd'hui, et même s'il était le coupable, il n'aurait plus mérité la peine de mort, abolie trois ans auparavant.
Dans le traitement de cette affaire, tous les protagonistes ont failli. La police et la gendarmerie, en concurrence pour l'enquête, avec des conclusions différentes. La justice particulièrement incohérente, avec une instruction menée par un juge débutant visiblement dépassé dès le départ par les événements (reconnaissons humblement qu'à sa place, je ne sais vraiment pas comment j'aurais agi et si je me serais mieux comporté de lui), on a d'ailleurs vu cette carence du juge dépassé se renouveler avec l'affaire d'Outreau. L'absence de protection d'un accusé relâché qui pouvait devenir la cible de la vengeance des parents meurtris. L'accusation vraiment abominable portée contre la mère de l'enfant. Les médias, aussi, qui ont joué un rôle odieux dans le but de vendre du papier ou de l'audience : certains journalistes étaient très partiaux, et même l'assassinat de Bernard Laroche devait faire l'objet d'un scoop journalistique (le père de l'enfant avait pris sur lui un magnétophone qu'il a finalement oublié sur les lieux du nouveau drame).
La médiatisation a été bien au-delà des frontières nationales voire européennes. Dans les villages reculés de Sibérie, on s'intéressait aussi à l'affaire ! Des paysans russes pouvaient demander à un visiteur français de passage : vous croyez vraiment que la maman du petit Grégory l'a tué ? (C'est ce qu'a raconté Philippe Vandel qui s'était intéressé à l'affaire au début des années 1990).
Car oui, l'un des drames dans le drame a été en effet l'accusation portée par la justice contre la mère de Grégory, celle d'avoir tué son propre fils, basée sur aucun fait et qui a rajouté de la souffrance à la souffrance. Une histoire d'infanticide devenait encore plus scandaleuse et donc plus sensationnelle pour les médias. Il n'y avait pas besoin de chaîne d'information continue, ni de réseaux sociaux sur Internet, ni de smartphone à caméra intégrée pour pouvoir voir, lire, écouter n'importe quoi sur le sujet.
Mais dans les failles, il faut aussi rajouter toute la famille qui a été particulièrement confuse et hostile, incohérente, divisée dans cette histoire. La mise en examen de deux des membres de la famille n'aboutira peut-être pas à connaître enfin la vérité et selon leur avocat, cette nouvelle mise en accusation ne repose sur pas grand-chose de factuel. C'est pourquoi il faut de l'extrême prudence et ne pas jeter de nouveau en pâture de nouveaux noms dans le cirque médiatique. La reconnaissance des erreurs anciennes de la justice n'empêche pas de nouvelles erreurs de celle-ci...
Néanmoins, le procureur général de Dijon a pu établir avec certitude que l'assassinat de Grégory n'était pas un acte individuel mais l'aboutissement d'un "complot" probablement familial (motivé par la jalousie et le désir de vengeance) car plusieurs personnes seraient nécessairement impliquées dans cet assassinat (ne serait-ce que pour exprimer les menaces écrites ou orales) : " À ce stade, les investigations corroborées par l'analyse criminelle de la gendarmerie montrent que plusieurs personnes ont concouru à la réalisation du crime. " (15 juin 2017). Le motif des garde-à-vue est d'ailleurs très clair : " complicité d'assassinat, non-dénonciation de crime, non-assistance à personne en danger et abstention volontaire d'empêcher un crime ".
C'est certainement cette caractéristique qui distingue cet assassinat d'autres assassinats d'enfant : l'implication de plusieurs personnes d'une famille qui a nourri, à un niveau très élevé, la haine et la jalousie, provenant peut-être de générations antérieures... Cette affaire si longue et encore si mystérieuse est une sorte de miroir de la société pour illustrer la fameuse formule du romancier sublime André Gide : " Familles, je vous hais ! ".
Mais plutôt que finir par la littérature, je finirais par la science : celle-ci est en train de permettre la résolution de certaines affaires anciennes. Il serait donc à espérer qu'on puisse à terme résoudre non seulement l'affaire Grégory mais aussi, par exemple, l'affaire Boulin, la thèse du suicide de l'ancien ministre étant peu compatible avec les faits, même si les pièces à conviction ont peu de chance d'être aujourd'hui exploitables. Pas sûr d'ailleurs que cet espoir soit partagé par tout le monde...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (20 juin 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
"Rebondissement" dans l'affaire Grégory.
Histoire encore à suivre.
Documents sur l'affaire Grégory.
Traçabilité de la vite privée.
Les drones.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170614-affaire-gregory.html
http://www.agoravox.fr/actualites/societe/article/affaire-gregory-la-technologie-au-194294
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/06/20/35402043.html