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Le marxisme et l'art. Par Roger Garaudy. 2/ Le mythe (suite)

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit

Pour un marxiste le mythe ne peut être conçu

Le marxisme et l'art. Par Roger Garaudy. 2/ Le mythe (suite)

seulement comme un rapport à l'être, mais commeun appel à faire. Le symbole ne renvoie pas à unêtre enveloppant en lequel nous vivons, nous nousmouvons et nous sommes. Il est le langage de l'exigence. Il nous révèle non une présence mais uneabsence, un manque, un vide qu 'il nous somme de

Ce troisième système de signalisation est essentiellement au sens le plus fort du mot :création continuée de l'homme par l'homme.

C'est en ce sens que le marxisme interprètecomme langage de l'existence et de la transcendance

les grands mythes de l'art comme de la religion.Ces mythes portent témoignage de la présence active, créatrice, de l'homme, dans un monde toujours

en naissance et en croissance. Chaque grande

oeuvre d'art est l'un de ces mythes. Ce qu'en eux,

de Cervantes à Cézanne, ou de Paul Klee à Brecht,

l'on appelle " déformation " du réel est en réalité

image mythique du réel.

Lorsqu'une nature morte de Cézanne ou une

oeuvre de Paul Klee, nous donne le sentiment d'un

équilibre prêt à se rompre et qui ne semble retenu

au bord de la catastrophe que par l'acte majeur de

l'homme, la composition de l'artiste, nous avons

là l'expression plastique de cette vérité inépuisable

que le réel n'est pas un donné amis fine tâche

à accomplir. Elle est un rappel ou un éveil de responsabilité,

un rappel de ce qu'est l'homme : un

créateur, et de ce qu'il peut. Tel est le sens de

l'axiome de Stendhal : " L a peinture n'est que de

Ainsi, au niveau du troisième système de signalisation,

Le marxisme et l'art. Par Roger Garaudy. 2/ Le mythe (suite)

au niveau du symbole, langage de l'exigence

et de l'absence, de la transcendance et de la

création, l'homme opère une conversion plus profondeencore que la précédente et le passage dupremier au deuxième système c'est-à-dire le passagedu vécu au concept exigeait une " décentration " de l'homme, l'abandon de la perspectivesensible et vécue, pour atteindre, avec le concept,une vision de plus en plus décentrée de l'univers :les images successives du monde données par Ptolémée,
par Copernic, par Einstein, nous fournissent

une illustration saisissante de cette
" décentration "opérée par la pensée scientifique.

Mais le passage du concept au symbole est plusexigeant encore : il est remise en question de tout ordre fini au sens d'achevé et conscience qu'il estsimplement fini par comparaison à l'infini . Il s'agit cette foisnous étions
d'une conversion au sens strict :
jusque-là, par les sens ou par les concepts,

tournés vers ce qui est déjà fait, le mythe nous

enjoint de nous tourner vers ce qui est à faire".Il

nous appelle à n'être pas seulement constructeurs

d'objets ou calculateurs de rapports, mais donateurs

de sens et créateurs d'avenir. Le symbole

exige ce décollement à l'égard de l'être, ce dépassement
de l'être dans le sens et dans la création.

Le troisième système de signalisation nous interdit

l'attachement obtus à ce qui est déjà. Définir le

mythe comme langage de la transcendance, ce n'est

point négation de la raison mais dépassement

dialectique dans une raison qui a conscience de se

transcender toujours elle-même avec les ordres

provisoires qu'elle a déjà constitués.

L'on s'étonnera peut-être de l'importance capitale

accordée dans ce livre au mythe dans la création

esthétique et dans l'expérience religieuse.

En lisant le mot mythe, il suffit de suivre la

pente coutumière pour confondre le mythique avec

l'irréel et le mythe avec la mythologie, l' un et

l'autre avec une fabulation arbitraire et puérile.

Sur quoi j'entends déjà l'intégriste catholique

[...] crier que l 'on offense sa foi. Pourtant, du père

Laberthonnière à Karl Barth, la théologie vivante

a permis de faire des distinctions nécessaires, et,

après Bultman, de montrer que la nécessaire
" démythisation" de l a foi ne pouvait conduire, ni à

la rejeter dans la mythologie en la confondant avec

les formes religieuses (culturelles ou institutionnelles)

qu'elle a pu revêtir, ni à exclure le mythe,

mais au contraire à en saisir la vraie nature. L a

mythologie c'est la déchéance dogmatique du

mythe comme le scientisme est la déchéance dogmatique

de la science. La mythologie c'est la prétention

de retenir seulement la lettre du mythe et

non pas son esprit, le matériel du symbole et non

sa signification. Antigone ne nous toucherait guère

si elle n'était qu'obstination à accomplir le rite des

funérailles de Polynice, et la résurrection du Christ

ne bouleverserait pas la vie des hommes depuis

deux millénaires s'il s'agissait d'un ; problème de

physiologie cellulaire ou de réanimation.

Le mythe, libéré de la mythologie, commence là

où le concept s'arrête, c'est-à-dire avec la connaissance

n'est pas reflet d'un être mais visée d'un acte. Aussi

ne s'exprime-t-il point par concepts mais par symboles.

Il est l'acte créateur saisi du dedans, par l'intention

qui l'anime. Cette connaissance, ce niveau

de connaissance, n'a pas pour objet l'universel

mais le personnel et le vécu. Elle donne sens à la

création et déclenche l'acte créateur. Elle est appel,

elle est acte, elle est personne ; Antigone, ou Hamlet,

ou Faust, ne peuvent se circonscrire en concepts,

mais seulement s'exprimer en un style de conduite

personnelle par une réactivation de l'initiative

Le mythe, en son sens le plus élevé, se situe donc

au niveau de la connaissance poétique et de la

décision responsable et libre de l'homme. A ce

niveau seulement, celui de la saisie de l'acte créateur

et du choix, l 'on peut à la fois instituer et

découvrir de la vie et de l'histoire. Car ce

sens on ne se contente pas de le découvrir comme

du sommet d'une montagne on découvre un paysage:
c'est tout un de ce sens par la connaissance

dans le mythe, comme savoir et comme responsabilité,
de parcourir par la connaissance de

l'histoire passée le panorama du développement

antérieur et de participer à la réalisation pratique,

militante, de cette signification. Dans le mythe se

révèle l'ordre, au double sens d'harmonie et de

Roger Garaudy
Suite du chapitre "Le marxisme et l'art" du livre "Marxisme du 20e siècle
Les illustrations de cet article proviennent du livre de Boris Rörhl "Philosophie marxiste et histoire de l'art", Ed du Croquant, 2016


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