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1,2 Milliard, de Mahesh Rao

Publié le 26 juin 2017 par Francisrichard @francisrichard
1,2 Milliard, de Mahesh Rao

1,2 Milliard, c'est grosso modo la population de la République de l'Inde en 2015. Si Mahesh Rao en a fait le titre de son recueil de nouvelles, paru cette année-là, sous le titre One Point Two Billion, c'est pour exprimer cette multitude.

Le faire en en faisant le tour en treize nouvelles est une gageure. Et, pourtant, ces treize nouvelles donnent bien un aperçu de l'Inde d'aujourd'hui à travers de nombreux personnages, universels, avec, toutefois, une touche singulièrement indienne.

Béatitude éternelle se passe dans l'état de Mysore, qui a donné son nom à un style de yoga. Il n'est pas étonnant que l'héroïne en soit Bindu, directrice du Paramaskha International Yoga Centre, saisie de nausées à l'annonce d'une inspection du DOSA:

Tous les instituts disposant d'une licence autorisant à dispenser des activités spirituelles et des disciplines morales devaient s'assurer que leurs locaux et leurs pratiques répondaient aux critères homologués par le gouvernement.

Avant que la narratrice de Tambours ne soit personne déplacée dans un camp par des soldats, deux faits se sont produits aux abords de son village: l'implantation de la raffinerie puis la venue des naxalites. Elle aperçoit dans ce camp celle qui lui a volé son mari:

Même en un lieu comme celui-ci, il y a de la musique. Les sons s'élèvent au-dessus du massif sal et entrent dans la tente. J'entends la conversation entre deux tambours. Il y a le gros, le mâle et son roulement puissant. Puis il y a le petit, la femelle et sa résistance.

Le narrateur du Supplice des feuilles (c'est l'agitation de la tasse quand l'eau bouillante est versée sur le thé) est, malheureusement pour lui, amoureux de [sa] belle-fille. Il prend ses petits déjeuners avec elle, à la plantation, située non loin de Coonoor:

J'ai dit que mes sentiments ne se fondaient pas sur le désir charnel et je le maintiens. Mais il faut ajouter que Meera est belle. Parfois quand elle est perdue dans son propre monde, son visage me rappelle l'une de ces reines de tragédies des années cinquante.

L'évocation de ces trois premières nouvelles donne un aperçu du recueil: il y est question de yoga, de rebelles maoïstes et de thé, mais aussi d'atteinte de son niveau d'incompétence, de vengeance féminine et d'amours interdites: singularités donc, et universalités.

Il en est de même dans les nouvelles suivantes:

- flirts croisés au restaurant, où deux couples dînent sous le ciel nocturne de Pondichéry;

- charnier découvert sur une propriété au Rajasthan;

- rivalité entre deux pratiquants du kushti, la lutte indienne;

- discorde tragique entre une jeune belle-mère et sa belle-fille;

- avocat coureur de jupons qui finit par tomber sur une femme bien différente des autres;

- ancien acteur de Bollywood, qui se fait mentor, sans conviction, mais non sans succès;

- vieux fou, au sang maudit, que sa femme quitte pour prêcher l'évangile;

- femme qui voudrait, puisqu'ils inventent des journées pour n'importe quoi maintenant, qu'une soit consacrée à Minu Goyari;

- abécédaire interdit par la police parce que la dernière lettre, zoi(zoi se zalim signifie tyran) est illustrée par l'image d'un homme avec un bâton;

- lancement d'un soda typiquement indien, Shakti-Cola après refus d'autorisations administratives par les régulateurs de la planification...

Dans ces nouvelles, l'effet produit est bien celui d'une multitude de destins, qu'il s'agisse de femmes ou d'hommes, dans le cadre d'une immense Inde contemporaine, qui n'a plus que de lointains rapports avec les poncifs de naguère et qui est entrée de plain pied dans le monde moderne (et ses lourdes réglementations), tout en gardant des spécificités.

Francis Richard

1,2 Milliard, Mahesh Rao, 272 pages Zoé (traduit de l'anglais par Christine Raguet)


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